Fille et belle-fille de, actrice et mannequin… Le capital de crédibilité de Lou Doillon da ns la chanson était aussi mince que son tour de taille. Mais sa voix superbe et le parrainage d’Etienne Daho effacent tous les préjugés.
Tu ne t’es jamais sentie inhibée par le poids de ta famille ?
La raison aurait voulu que je devienne plombier, surtout pas actrice et encore moins musicienne. J’étais assez fière finalement de devenir mannequin parce que j’étais la première de la famille. Au moins, cela m’appartenait. Pour le reste, la musique a longtemps représenté la pièce sacrée, celle dans laquelle je n’avais surtout pas le droit d’entrer, du moins professionnellement. Avec ma mère, Charlotte ou le fantôme de Serge toujours très présent à travers toutes ces chapelles ardentes et le culte qui l’entoure, je savais que c’était le domaine à ne pas approcher. Là encore, Etienne m’a retournée avec des arguments très justes, me disant que n’importe quelle inconnue avec ces chansons aurait été démarchée par les maisons de disques depuis longtemps. Il m’a aussi dit : “Avec tout ce que tu as pris dans la gueule depuis quinze ans, tu ne risques plus grand-chose.” Il avait raison.
D’où vient ta culture musicale ?
Curieusement, d’abord de mon père. Serge a habité avec nous à la maison pendant huit ans mais au piano il ne jouait que des petites histoires de cow-boys et d’Indiens ou des chansons rigolotes pour nous amuser. Je ne l’ai jamais vu se mettre au travail, composer, jouer ses chansons. Avec ma mère, ils n’écoutaient jamais de musique. Je lui ai parlé une fois d’Hendrix, elle voyait vaguement de qui il s’agissait parce qu’elle avait prononcé son nom dans une chanson de Serge, Ex-fan des sixties. Serge avait tendance à penser qu’en dehors de lui et des compositeurs classiques, il n’y avait pas grand-chose qui valait la peine. En revanche, mon père, d’un tempérament très curieux, possède une grande culture musicale. Il m’a fait découvrir Leonard Cohen, Nick Drake, Siouxsie And The Banshees ou The Clash. Il écoute aussi beaucoup de musique indienne, pakistanaise, marocaine, il vit en permanence entouré de musique et je tiens ça de lui. J’ai toujours un iPod sur les oreilles et si la batterie se vide, je rentre d’urgence chez moi en taxi parce que j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Dès l’âge de 12 ans, j’étais la groupie de la famille, j’allais tout le temps aux concerts, je ne tombais amoureuse que de musiciens alors que je n’ai jamais été attirée par un acteur. Voir jouer des musiciens, c’est la seule chose qui me rende jalouse.
Tu n’as pas le même rapport au cinéma ?
A travers mon père, j’ai découvert très tôt des cinéastes importants mais difficiles. Je pense que le premier film que j’ai vu c’était Bonjour d’Ozu. Ensuite, je me suis tapé tous les Cassavetes, les Bresson, les Dreyer et pour nous distraire, de temps en temps, on avait droit à un Laurel et Hardy. Je pense que mon père voulait me donner les clés pour comprendre ses propres films. C’est très tard que j’ai découvert Alien, les gros succès américains. Quand mes potes voulaient aller voir un Cassavetes, je n’avais qu’une envie c’était de voir Die Hard en bouffant un McDo (rires) ! A 20 ans, j’ai découvert des films de merde qui m’ont fascinée. Ça m’a passé très vite et c’est seulement là que j’ai eu envie de voir les films de Jacques. En découvrant Les Doigts dans la tête ou La Drôlesse, je me suis rendu compte à quel point j’étais jusqu’au bout des ongles la fille de Jacques Doillon. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas son travail, il reste l’artiste le plus intègre qu’on puisse imaginer. Il a toujours refusé de vendre les droits de ses films pour des remakes, il s’est tiré sans arrêt des balles dans le pied, il vit au fin fond de la Normandie et il a encore hypothéqué sa maison pour faire un film en trois semaines. Il s’enterre depuis trente ans mais je trouve ça si beau, si admirable de garder une telle éthique…
Contrairement à ta mère, tu ne voulais pas dépendre de quelqu’un pour ta musique ?
Si j’ai une admiration sans limites pour des chanteuses comme Patti Smith, PJ Harvey, Beth Gibbons ou Lhassa, c’est parce qu’elles ont su écrire des chansons très au-delà de ce que les hommes étaient capables d’écrire. Ma mère a été à ce point la muse de Serge que lorsqu’elle a commencé à écrire, un film ou une pièce de théâtre, les gens n’ont pas compris : ils voulaient toujours la voir idéalisée à travers les chansons de Serge. Moi, j’ai longtemps été le vilain petit canard de la famille, j’étais pas spécialement douée, pas spécialement jolie et je ne montrais rien de vraiment intéressant. Aujourd’hui, on vient me féliciter pour les chansons parce qu’on a l’impression que je me suis trouvé enfin une place à moi. Cette place, je l’ai construite à l’écart du reste de ma famille mais ça a pris du temps. J’étais sur mon île mais tout le monde n’avait d’yeux que pour la péninsule (rires). Ma mère elle-même me dit que j’ai de la chance, ce qui m’aurait semblé incroyable il y a quelques années. Maintenant, au premier événement un peu dramatique dans la famille, on se retourne vers moi et on me dit : “Toi, tu pourras t’en sortir parce que tu vas en faire une chanson.”
ep : I.C.U. (Barclay/Universal)
Album : Places, à paraître en septembre