Fille et belle-fille de, actrice et mannequin… Le capital de crédibilité de Lou Doillon da ns la chanson était aussi mince que son tour de taille. Mais sa voix superbe et le parrainage d’Etienne Daho effacent tous les préjugés.
Le cinéma et le mannequinat représentaient-ils des solutions d’attente avant de pouvoir faire un disque ?
J’ai souvent construit mon parcours en réaction. Il y avait deux façons de gérer ma situation familiale particulière. J’aurais pu devenir quelqu’un de perdu et m’enfoncer dans la dépression comme ça arrive malheureusement à pas mal de personnes dans mon cas. Mais j’ai choisi de montrer un profil assez joyeux, même lorsque ça n’allait pas bien, avec le désir d’attirer l’attention comme lorsque je portais des dreadlocks et des piercings partout. La seule raison pour laquelle j’ai commencé à faire du cinéma, c’est pour être avec mon père. J’ai fait mon premier film avec lui et avec ce désir d’une petite fille qui veut plaire à son père. D’autant plus qu’avec un homme aussi raide que lui, il fallait partir au combat, provoquer la rencontre. Comme tous les artistes – j’ai aussi connu ça avec ma mère –, il avait trouvé ses grandes joies au travail, dans la création. C’est l’inverse des gens normaux pour qui le travail reste un travail et qui ne se sentent heureux que le soir en rentrant à la maison. Enfant d’artiste, je voyais mes parents tristes lorsqu’ils rentraient à la maison. Leur bonheur avait l’air de se situer ailleurs, un ailleurs que je ne connaissais pas et qui forcément m’attirait. J’ai donc commencé comme troisième assistante, assistante monteuse ou scripte sur les films de mon père parce qu’autrement, il ne m’aurait jamais autorisée à être là.
Ta carrière d’actrice n’a jamais été très simple…
A 19 ans, j’ai vraiment connu un trou d’air, après le film Blanche de Bernie Bonvoisin qui s’était planté. J’avais commencé très tôt dans les films de mon père, donc les gens avaient l’impression de me voir depuis trop longtemps, et moi-même j’ai admis que je n’étais pas forcément faite pour être actrice. J’étais très hostile à ce rapport de séduction qui existe entre les actrices et les réalisateurs, chose que mon père a beaucoup pratiqué. Je me suis sabordée dans un tas de castings pour écarter tout risque de carrière. Le mannequinat m’a sauvé la vie car j’avais besoin de bouffer et d’élever mon fils, mais c’est ensuite le théâtre et la rencontre avec Arthur Nauzyciel qui m’a redonné l’envie d’être comédienne. On a monté Beckett ensemble, j’ai aussi fait Lettres intimes qui prouvait qu’on pouvait poser dans les magazines ou défiler pour des couturiers et lire aussi des livres. Arthur, ça l’amuse beaucoup que je puisse me rendre à un défilé Dior le matin et porter 40 000 euros de fringues et que l’on se retrouve l’après-midi dans un TER pour aller jouer L’Image de Beckett à Orléans.
La chanson, c’était un aboutissement pour toi ?
Entre le cinéma, la mode et le théâtre, je pense que les gens ont eu du mal à me situer. En étant en plus la “fille de…”, ce qui commence à être lourd à porter à 25 ans lorsqu’on est soi-même parent d’un enfant, il fallait que je retrouve une forme de normalité. Cela a commencé il y a quatre ans : je vivais à l’écart du monde, une période pas forcément dépressive mais assez sombre. J’étais entourée de mes livres, de mes fantômes et je me raccrochais à mes chansons. Etienne m’a trouvée dans cet état. Ma grande joie, avec la musique, c’est qu’on commence à comprendre qui je suis vraiment, et que cet album peut même faire le lien avec le passé. J’ai l’impression d’avoir été floue pendant trente ans et qu’avec ce disque on me voit enfin nette.
Tu voulais aussi surprendre, notamment avec ta voix ?
Pour l’instant, j’ai du mal à réaliser qu’on parle de moi lorsque les gens se disent émus par ma voix. Je me bats pas mal avec elle, par moments elle m’échappe. Décider de chanter a été important pour moi : pour la première fois, j’avais l’impression de faire quelque chose que je ne cherchais pas à contrôler. Au cinéma, à part de rares moments de grâce qui peuvent t’échapper, tu as toujours conscience de ce que tu fais, tout est très réglé. Alors que quand je chante, j’ai la sensation de ne plus rien gérer du tout. Pour Etienne, cela semblait parfois compliqué parce qu’il m’arrivait de changer les paroles d’une prise à l’autre, ce que j’avais toujours fait jusqu’ici car ces chansons vivaient avec moi au quotidien. Le plus douloureux, c’était de devoir les arrêter dans le temps.