Le London Sinfonietta et l’Ensemble Modern sortent deux albums de Kurt Weill, où la fidélité côtoie le délire. Mis à part le fait que c’est le même éditeur qui a fait le travail, on est rapidement amené à se demander ce qui réunit les deux présents enregistrements, apparus à quelques semaines d’intervalle. D’abord, ils rendent […]
Le London Sinfonietta et l’Ensemble Modern sortent deux albums de Kurt Weill, où la fidélité côtoie le délire. Mis à part le fait que c’est le même éditeur qui a fait le travail, on est rapidement amené à se demander ce qui réunit les deux présents enregistrements, apparus à quelques semaines d’intervalle. D’abord, ils rendent hommage à deux pièces de la période allemande ; la première, on la croyait hyper-connue, alors que ce qu’on entend ici n’a rien à voir avec la sonorité colportée par les enregistrements légendaires. La deuxième, Le Lac d’argent, est quasiment inconnue en France, et on ne saurait trop conseiller aux fans de Kurt Weill d’aller voir et entendre début décembre à l’Opéra de Massy, puis en province, ce que la troupe d’Olivier Desbordes en a tiré, d’autant plus que c’est une première (en français). Ce chant du cygne du compositeur sous la République de Weimar se présente comme un tribut exemplaire à l’expressionnisme théâtral, truffé de références réalistes à la crise sociale. La deuxième grande caractéristique, c’est que ces enregistrements s’appuient sur un texte éditorial irréprochable et ne répugnent pas à certains effets lyriques qui pourraient paraître incongrus dans un tel répertoire. Mais Weill a tendu une perche empoisonnée en écrivant tout ça pour des « acteurs sachant chanter » très ambigu et forcément difficile à atteindre dans l’équilibre. On retrouve dans Le Lac d’argent deux chanteurs d’opéras huppés (Dernesch et Zednik) : ils sont épatants de coffre, tout en disposant de la gouaille féroce qui convient. Dans L’Opéra de quat’sous, c’est un peu la démarche inverse. Tout le monde aborde l’oeuvre (qui sonne quasiment comme en 1928 avec ses transitions instrumentales et autres contre-chants) avec ce mélange étonnant de rêverie et de férocité qui va à l’essentiel. Nina Hagen, qu’on attendait au tournant, est simplement parfaite : une performance de comédienne mais aussi une prestation vocale convaincante. Le chanteur de rue étonne : il n’a plus rien du Brecht cinglant car il chante. Et Gruber chante aussi. Il est même dans Le Lac d’argent et fait tout très bien ; il conduit un rêve qui, pour embrasser l’apocalypse, garde toute son épaisseur. Dernier lien qui unit les deux albums : le passage de témoin entre le London Sinfonietta, qui avait sorti en pionnier un double album historique il y a vingt ans, et son digne successeur, l’Ensemble Modern, devenu l’interprète incontournable de Weill et Eisler. Markus Stenz conduit parfaitement l’orchestre et le choeur dans Le Lac d’argent sait restituer l’ampleur symphonique de la partition, mais c’est bien l’ombre de Gruber qui plane. Après ces deux nouveaux piliers, solides et astucieux, on ne pourra plus faire n’importe quoi.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Kurt Weill, L’Opéra de quat’sous - Max Raabe, HK Gruber, Nina Hagen, Ensemble Modern, dir. HK Gruber & Le Lac d’argent - Heinz Kruse, HK Gruber, Helga Dernesch, Heinz Zednik, London Sinfonietta, dir. Markus Stenz (BMG)
{"type":"Banniere-Basse"}