Avec « Avenue de Saint-Antoine » Alonzo signe son quatrième album solo. Entre une séance de dédicaces et quelques dates en showcase, le rappeur marseillais revient sur la composition de son album, sa carrière, l’influence de sa famille et l’actualité hexagonale.
On est à Paris, c’est une ville que tu connais bien pour y avoir déjà clipé et enregistré certains morceaux. Comment tu te sens ici en tant que Marseillais et comment se passe ta relation avec le public parisien ?
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Alonzo – Je me sens très très bien à Paris. Je pense que c’est une vieille rumeur l’histoire du Marseillais mal reçu à Paris et vice versa. C’est un peu à l’ancienne. Avec mon public ça se passe toujours bien, ils sont très polis. Je pense que je suis un peu à l’image de mon public. Je suis quelqu’un qui a un minimum d’éducation et ça peut se ressentir dans mes interviews. Je pense que mon public le ressent.
Ça fait maintenant deux semaines que ton album Avenue de St Antoine est sorti , les chiffres sont plutôt bons. Quelle est ta première réaction sur sa sortie ?
Je suis très content des retours qui sont positifs. Il faut savoir que j’ai annoncé l’album un mois avant, le 20 avril pour une sortie le 20 mai. Les gens ont dû se dire : « Ça va être un album bâclé. » Moi j’étais sûr du contenu et à leur grande surprise, quand ils ont écouté l’album, ils se sont aperçus que c’était un album de qualité. Les chiffres sont tombés par la suite. Aujourd’hui avec le streaming la première semaine on a fait plus de 31000 disques vendus. Et là, lors de la deuxième semaine, on se maintient très bien. C’est une suite logique et c’est beaucoup de travail.
Est ce que tu es surpris de ce succès ou tu estimes que c’est normal au vu de ton travail ?
Sincèrement, sans prétention aucune, je trouve ça normal. J’ai encore de la marge car je peux encore progresser au niveau de mes albums. Et c’est pas donné à tout le monde à 33 ans. Certains à cet âge là sont déjà dans le rouge, tu vois. Je pense que je peux encore progresser et c’est ce qui me fait plaisir.
Toi qui aimes dire que chaque album est comme un enfant que tu ne peux pas comparer à d’autres, qu’est ce que tu as apporté de nouveau cette fois-ci ?
J’avoue que j’ai commencé par les morceaux à thème. Comparé aux précédents, Règlements de Comptes ou la mixtape Capo Dei Capi, j’ai eu le sentiment qu’il fallait que je me livre. Donc j’ai commencé par les cinq morceaux à thème qu’il y’a dans cet album. L’esprit c’était : « Ne vous inquiétez pas, je sais ou je vais, je sais écrire et écoutez. »
J’ai remarqué que tu évoques souvent ta femme dans cet album. Estce que ça veut dire que tu es plus amoureux ?
Je ne m’en étais pas rendu compte mais on me l’a fait remarqué. C’est vrai qu’elle est présente quand même (rires). J’écris beaucoup ce que je vis sur le moment. Donc peut-être qu’elle était présente dans la période où j’ai crée cet album. Elle est très investie dans ma musique. Elle me donne son avis souvent. Même si elle n’écoute pas beaucoup de rap, ses critiques sont très pertinentes. Ma femme ne me caresse pas dans le sens du poil.
Donc c’est elle qui valide ?
(Sourire). Non, je pense pas. Ce sont mes amis et mes enfants.
Dans le titre Comme avant, tu évoques ton évolution personnelle et professionnelle. Toi qui rappais en 2010 , « je suis le quartier », est ce que tu pense toujours rapper la proximité ?
Oui, oui, je rappe toujours la proximité. Dans le morceau Comme avant, je rappe du cœur. Et dans ce morceau, je parle de cette proximité que j’avais avec certaines personnes que je côtoyais avant. Aujourd’hui; le succès nous a séparés. Question d’ego, question de perception, donc je pense que oui, je rappe toujours la proximité.
Tu es encore souvent à Saint-Antoine ?
Ma mère habite à Saint-Antoine. Elle habite la cité Plan d’Aou. Celui qui ne visite pas sa mère est un lâche. Je visite la mienne minimum deux fois par semaine. C’est vrai que je travaille beaucoup, j’ai des enfants, donc j’essaie de mener ma petite vie un peu loin de l’endroit où j’ai grandi mais j’y suis toujours.
Tu penses que c’est le succès qui éloigne les gens ou est-ce que c’est juste une histoire de caractère ?
Je pense que c’est le succès qui éloigne les gens. J’ai l’impression que le succès effraie certaines personnes. Je sens souvent que des gens essaient de me mettre dans une case. Ils m’ont connu avant comme quelqu’un de simple et normal. Mais comme ils me voient dans les clips, surjouer ou jouer des rôles, ils pensent que je suis bouffé par ça. Alors que je suis tout simplement en train de faire mon métier.
Toujours dans Comme avant, tu dis « Je vous laisse croire que j’ai changé ». Mais n’est-ce pas normal dans la vie d’un homme de changer de point de vue, de quotidien et donc de fréquentations ?
C’est tout à fait normal et je le dis tout le temps. Et je dis précisément « Je vous laisse croire que j’ai serré ». « Serrer » en Marseillais ça veut dire « devenir fou ». Je leur dis ça et après pour les narguer je leur dit « Oui je suis devenu fou. » Fou de travail.
Comment tu décrirais tes rapports avec Jul avec qui tu as posé sur le morceau « Ils le savent » ?
Nos rapports sont humains et très sincères. On ne s’appelle pas tous les jours mais quand on se voit pour des clips, pour de la musique, ce sont toujours des bons moments. Même si on n’a pas le même âge, c’est quelqu’un qui en a dans la tête malgré ce qu’on croit. Nos moments musicaux sont toujours simples et magiques.
C’est Jul qui a enregistré la chanson. Pourquoi ?
Auteur, compositeur, interprète et ingénieur du son (Rires) ! Après quand c’est à moi d’enregistrer, il m’appelle et hop ! Tout est plié. J’ai jamais vu ça en 20 ans de carrière. Même Akhenaton je l’ai jamais vu faire ça. C’est une dinguerie ! Ce mec c’est un génie. Je lui ai dit dix milliards de fois et il le sait.
Il faut que tu m’expliques un truc. Comment on en est arrivé aujourd’hui à faire danser les gens en boîte sur du « ça vole, ça braque, ça vent du shit etc.. »
Il éclate de rire. Il y a tellement de galères dans la vie, que si les gens peuvent tout oublier pendant cinq minutes et écouter du bon son, ils le font. Le rap français en boite, ça marche comme jamais. Les gens ont besoin de chanter les paroles, danser et même parfois quand c’est pas un truc dansant, le morceau passe quand même. Par exemple, mon titre Finis les, ne se prête pas aux club et pourtant il a marché.
Qu’est ce que tu penses d’un mec comme SCH ?
On a toujours pas fait de feat ensemble mais c’est quelqu’un qui est sur mon label, je l’ai croisé plusieurs fois. Je l’apprécie humainement et musicalement parce qu’il fait du SCH. Pour moi, ça ressemble à rien d’autre. Il apporte un renouveau à un rap marseillais qui commençait à devenir un peu homogène Je dis pas qu’on était tous pareils mais on avait des codes qui nous ralliaient. SCH, c’est une nouvelle carte dans le jeu du rap marseillais et ça fait plaisir. J’ai vu ses chiffres, tout le mérite est pour lui et pour son équipe. Peut être, un feat un jour, on verra. Il ne faut jamais dire jamais.
Tu aimes la noirceur de cet artiste ?
J’aime beaucoup. Si tu savais tout ce que j’écoute. J’écoute même du rock. Tu sais, il faut s’inspirer et si tu écoutes que du rap, à un moment donné, tu vas tourner en rond.
Tu dis : « Nous sommes le reflet d’une société capitaliste ». Il n’y a pas un paradoxe entre le fait de critiquer le système et le fait d’en faire l’apologie avec les marques, l’argent ?
Ouais, c’est vrai. Il y a un coté paradoxal de fou. J’en suis conscient et j’assume. Malheureusement, on a grandi avec rien donc à chaque fois qu’on a un minimum, on veut le montrer. Comme si c’était un trophée, comme si on allait plus nous respecter parce qu’aujourd’hui j’ai une Audemars Piguet au poignet. Et ça j’en suis conscient. Je critique le système mais j’en suis son reflet. C’est de ma faute et c’est pas de ma faute en même temps. C’est la vie qui veut ça et malheureusement je ne m’en cache pas. On est des êtres faibles on essaie tous les jours de renforcer nos cœurs et nos envies mais moi je ne suis pas un exemple à suivre. Tous les jours et je me remets en question. Quand je dis : « Nous sommes le reflet d’une société capitaliste « , c’est la vérité. Aujourd’hui, il y a des gosses habillés plus chers que leurs profs : leurs mamans se tuent à la tâche pour les habiller. Et ça sera de pire en pire avec les générations à venir… C’est malheureusement comme ça qu’on a vécu et si on peut transmettre de nouvelles valeurs à nos enfants… Moi je ne suis pas un superhéros. Le plus important c’est de transmettre.
Comment tu t’y prends avec tes enfants pour leur inculquer ces valeurs ?
Je leur dis que tout se mérite dans la vie, que l’habit ne fait pas le moine. C’est bien beau de bien s’habiller mais il y a des valeurs plus importantes. Je les incite même à se documenter sur les religions, je dis bien « des » religions parce que nous on est musulmans mais je veux qu’ils se fassent leur propre idée de la foi. C’est très important.
En parlant de critique du système, ça fait des mois qu’on commence à voir des révoltes qu’on avait pas l’habitude de voir ces derniers mois. Qu’est-ce que ça t’inspire quand tu vois cette jeunesse dans la rue, cette violence policière qui se déchaîne et l’intransigeance de l’Etat ?
Il fallait s’y attendre. Tout simplement. A un moment donné, la loi Travail, l’autre (Sarkozy) qui nous bassinait avec le « travailler plus pour gagner plus » , on ne peut pas demander l’impossible aux jeunes d’aujourd’hui. Notre société c’est le bordel. Ca me surprend pas du tout ce qui arrive. Ca porte un peu le nom de l’album de SCH (ndlr : Anarchie).
Et les violences policières, ça ne te surprend pas ?
Non. Les policiers sont des êtres humains, ils peuvent aussi avoir des moments de faiblesse. Ils ne se sentent pas soutenus par le gouvernement. C’est ce qu’ils disent. Parce qu’on les envoie à la gachon contre tout un peuple. C’est un peu logique. Il fallait s’y attendre parce que les promesses ne sont pas tenues, parce qu’on est gouvernés par des gens qui veulent le pouvoir mais qui semblent se foutre du peuple. Si aujourd’hui, il y a des personnes qui ne votent pas c’est que personne ne comprend les programmes politiques. Pour ma part, je me sens pas représenté et je ne comprends pas leurs programmes, je ne vois pas où ils veulent en venir. Peut être qu’il faut que les politiques utilisent des mots plus simples. On ne comprend rien à part qu’il faut voter pour eux.
La victoire du Real en Ligue des Champions, ça t’a marqué toi qui es fan du club ?
Il lève le poing en l’air. « Hala Madrid ! » (Sourire). Je suis super content. C’est la victoire de Zidane ça veut dire que c’est un peu la victoire des quartiers Nord de Marseille. Rires. Non, je rigole. C’est vrai que Zidane, ce qui lui arrive, c’est un truc de fou. Il a remporté la Ligue des Champions, il la remporte aussi en tant qu’entraîneur sa première année. Qu’est-ce qui lui manque ? Il lui manque qu’il entraîne un club de basket et qu’il gagne un championnat en France, hein ? C’est beau. Pourtant l’Atletico sur le terrain, c’est des chiens. Si tu es pas avec eux, tu es obligé de les détester. Ils ne lâchent rien sur le terrain et comme moi je suis pour le Real, je les déteste. Rires..
Quelle place a le rap dans ta vie ?
Le rap c’est une passion. Je pense que je vais avoir du mal à m’en débarrasser. Le rap ne m’a pas apporté pas que du bien. Ça m’apporte aussi beaucoup de jalousie, j’ai perdu certaines relations à cause de ça. Il y a des gens qui fantasment sur le milieu de la musique mais je trouve ça des fois, entre guillemets, presque satanique. Je ne dis pas que plus tôt j’arrête mieux je vais me porter, parce que je kiffe trop ça bordel de merde. Faudra bien qu’un jour ça s’arrête. C’est depuis le succès que je m’en suis aperçu. Quand tu rappes que pour la passion, tu es comme un enfant, tu es passionné. Mais quand l’argent, le mariage, les enfants et le regard des autres entrent en considération, ça devient beaucoup plus compliqué : que tu le veuilles ou non, tu n’as pas la même vie que les autres. Je sais très bien que quand je sors de chez moi, même si je suis naturel, les gens vont voir le Alonzo des clips. C’est parfois épuisant de porter cette carapace.
Çe sera quoi le signal qui te fera arrêter le rap ?
J’aimerais que mes proches, connaisseurs du rap, me disent : « Raccroche y ‘a plus rien à faire. » Je compte sur eux et je pense que ce sera ça le signal. Parce qu’aujourd’hui mes ventes vont crescendo. Personne ne peut dire le contraire.
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