Pendant un mois, “Les Inrockuptibles” traversent, en 20 épisodes, six décennies de l’histoire du rock britannique. Episode 10 : Rencontre avec Hugh Cornwell des Stranglers pour la sortie d’un album live. L’occasion de faire un bilan best-of autour de ces punks à part.
Je suis assez satisfait du son de notre nouvel album live. Le choix des titres s’est fait assez simplement, puisque nous ne pouvions pas ressortir les chansons du premier live d’il y a huit ans. Ma voix est plus intégrée à l’ensemble, c’est le fruit de huit années de concerts et je trouve que le mélange des vieux titres et des nouveaux sonne bien. Bien sûr, notre catalogue nous permet aujourd’hui de varier à chaque tournée notre répertoire, sur scène, pour que notre performance soit nouvelle. Notre public a beaucoup évolué depuis cinq ans. Cela a probablement influencé notre manière déjouer. Nous privilégions plus les mélodies et notre musique est plus posée, plus intense dans un certain sens.
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Les Stranglers ont toujours travaillé le son de leurs albums. Qu’est-ce qui motive cette orientation ?
C’est un travail très intuitif je crois, nous travaillons beaucoup en studio, peut-être trop, faire un album nous prend énormément de temps. Je pense que nous allons essayer d’y consacrer moins de temps, en favorisant le travail du groupe avant d’entrer en studio.
La production t’intéresse ?
Pas beaucoup, je trouve qu’il est très difficile d’être satisfait quand tu travailles avec d’autres artistes. Je dois leur expliquer les raisons de mes décisions sur leur travail et en fin de compte, ça ne leur plaît pas. J’ai fait cette expérience deux ou trois fois et je préfère collaborer avec moi-même car je n’ai personne à convaincre. Tout mon temps libre est consacré à mes projets solos. Le dernier en date s’est construit autour d’un film, A Captain Beefheart draina, une démarche un peu marginale. Tellement démarquée que ce fut un fiasco. Je viens de terminer un album solo qui sort en mai et pour lequel j’ai trouvé un très bon titre en français (il sort un bout de papier)... « L’homme est un loup pour l’homme ».
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Les Stranglers ont toujours construit autour d’eux une imagerie zoologique…
C’est aussi intuitif. Les Chinois ont réalisé de nombreuses associations avec les bêtes depuis des siècles… Cette année est l’année du dragon, une année exceptionnelle, qui est supposée être très profitable à tous ceux qui travaillent. D’après ce calendrier, 1988 sera une année de récompense.
Comment vois-tu aujourd’hui la carrière et l’évolution du groupe ?
Je crois que c’est une évolution assez naturelle, une progression constante. Il y a des choses qui auraient dû être faites de façon différente, bien sûr, mais c’est normal et il faut faire au mieux avec ce qui s’est passé. J’ai, du fait de la position du groupe aujourd’hui, beaucoup plus de temps à accorder à d’autres projets. Nous ne nous voyons que pour travailler et c’est largement suffisant, nous sommes donc toujours contents de nous retrouver.
Tu as toujours été très sensible à l’avenir de l’Europe, es-tu toujours aussi optimiste ?
Le groupe, pour moi, est une expérience musicale européenne. Je vois maintenant un nouvel avenir pour l’Europe avec l’apport des pays de l’Est. Je me suis rendu plusieurs fois en Tchécoslovaquie cette année et je suis désormais convaincu que l’apport de l’Europe de l’Est sera très enrichissant pour nous, une bonne contribution. Je suis de culture anglaise bien entendu, mais en me déplaçant à travers l’Europe, j’ai pu constater toutes les similarités et les relations qu’il y a entre ma propre identité et le reste de l’Europe.
Et à l’ouest, rien de nouveau…
Aux Etats Unis, les Stranglers sont en fait plus un phénomène de culte. Nous n’y vendons pas assez de disques pour y être vraiment connus, mais nous y avons toujours un statut de groupe culte, ce qui veut dire qu’un quart de million de personnes vont acheter nos albums, ce qui est beaucoup mais ne représente pas grand chose aux Etats-Unis. Nous sommes préparés, si la situation s’y prête, à aller y passer six mois, mais ça n’aurait pas été raisonnable ces dernières années. Nous avons fait dix tournées américaines durant ces quatorze ans de carrière, cela représente beaucoup d’énergie, maintenant nous préférons consacrer notre temps à d’autres choses.
Le temps, c’est une obsession pour toi ?
Totalement, je pense que c’est normal. Ceci dit je suis assez confiant pour le futur, ce qui peut paraître paradoxal pour ceux qui connaissent le groupe depuis longtemps. Disons qu’aujourd’hui, je suis nostalgique pour le futur. C’est un changement, tout comme notre musique a changé. Si tu restes le même, quel est l’intérêt ? Il faut constamment chercher de nouvelles routes, cela permet de rester jeune.
Là-dessus, y a-t-il un consensus au sein du groupe ?
J’espère… Je crois que nous aimons tous le changement, c’est ce qui nous unit. C’est vrai qu’un groupe qui reste ensemble pendant quatorze ans, c’est une chose surprenante, disons inhabituelle. Paradoxalement, c’est peut-être le fruit de fortes personnalités.
Quelle est la part de ton temps consacrée à la musique aujourd’hui ?
Moins de temps qu’auparavant, c’est vrai. En fait, je passe surtout beaucoup de temps à travailler dans mon petit studio où je compose. J’y joue surtout des claviers, c’est un instrument plus riche pour écrire, moins limité qu’une guitare, qui offre plus de possibilités du point de vue mélodique. Les paroles sont écrites automatiquement. Si tu peux écrire quelque chose immédiatement sans avoir à changer quoi que ce soit, c’est comme un tableau que tu réalises. Un lien direct entre ta pensée et l’expression. Et ça se sent dans les textes. Quand je me sens prêt, il me faut dix minutes pour écrire un texte.
Sur l’album “The Raven”, il y avait ce titre sur l’Iran, “Cha-Cha a gogo”. Tu comptes écrire une chanson sur le Liban dans le prochain album ?
Non, je ne crois pas. J’ai de moins en moins tendance à écrire sur des sujets d’actualité. Je suis plus impliqué dans mes propres complexités. En vieillissant je sens plus que mon rôle d’écrivain est d’essayer d’exprimer les émotions humaines et les complexités de la respectueuse nature de « la bête humaine » (en français dans le texte). Je ne sais pas si c’est bien ou mal mais c’est aujourd’hui ma conviction. J’ai également tendance à aborder de moins en moins les problèmes politiques. La politique au sein d’un individu est bien plus effrayante.
C’est peut-être plus dangereux, n’as-tu pas peur de paraître narcissique en voulant intérioriser ces sentiments ?
C’est l’expression artistique, non ? La liberté doit être dans l’art !
Et l’as-tu trouvée ?
Parfois, c’est le travail de l’artiste.
Comment vois-tu aujourd’hui tous ces épisodes chaotiques qui ont ponctué la carrière du groupe, démêlés avec la loi, séjours en prison ?
En quatorze ans, beaucoup de choses peuvent arriver quand on est exposé médiatiquement. Si tu fais des choses à la frontière de la respectabilité, tu es voué au clash avec les autorités à un moment ou à un autre, c’est inévitable et plutôt bon signe pour un artiste.
Ce qui veut dire que les Stranglers sont plus respectables aujourd’hui ?
Oui, de la même manière que Picasso le fut à la fin de sa carrière, après s’être heurté toute sa vie à « l’establishment ». Nous ne cherchons pas à cacher cela, c’est notre histoire, notre pedigree.
Comptes-tu écrire l’histoire des Stranglers ?
Non, pas moi. Mais il y aura toujours des gens pour le faire. Peut-être toi ? En fait, il y a en Angleterre un ami à nous qui s’évertue depuis six ans à écrire les pages de notre histoire. Mais chaque année, il est obligé de rajouter un chapitre (rires)…
Est-ce qu’il y est traité des rapports particuliers du groupe avec le public français ?
Je fais toujours des blagues au public, c’est de l’humour. Lors de notre dernier passage au Zénith, nous avions un studio mobile derrière la scène pour enregistrer les concerts. Au rappel je leur ai demandé de repasser un extrait et nous avons prétendu que tout avait été fait en play-back ! C’est sans danger, juste une forme de jeu, il ne faut pas y voir du mal.
Considères-tu les journalistes différemment aujourd’hui ?
J’ai fini par les tolérer, ce qui est encore différent que de les comprendre. Je n’ai plus tellement affaire à la presse anglaise. Ce qui est sûr, c’est que plus les Stranglers continuent, plus les journalistes rajeunissent et sont plus
Tu te sens vieux et sage ?
Disons ancien, avec la sagacité d’un ancien.
LE MORCEAU “NO MORE HEROES” (1977)
Dans l’épisode précédent de notre odyssée, il était conté comment Oasis avait chipé le titre Look Back Anger à David Bowie pour le précéder d’un “Don’t” et composé ainsi un de leurs succès les plus massifs. La rencontre entre les Stranglers et David Bowie est d’une toute autre nature et fait du 23 septembre 1977 une amusante collision entre le groupe d’Hugh Cornwell et le Thin White Duke. En effet, en ce jour de 1977 paraît le single de David Bowie, Heroes, qui se voit contredit par la sortie du deuxième album des Stranglers, No More Heroes.
Si Bowie ne propose de n’être un héros que pour un seul jour, la tendance en cet an II des années punkes est plutôt à la tabula rasa. Quelques mois plus tôt, sur le morceau justement nommé 1977, The Clash prônait de brûler les vieilles idoles : “No Elvis, Beatles, or The Rolling Stones in 77.” Côté Stranglers, dans le morceau qui sert de titre à l’album, No More Heroes donc, même tendance et même interrogation : “What happened to all of the heroes?”. Et même réponse définitive : “No more heroes anymore”.
Sur fond de claviers propices à l’épilespie, No More Heroes n’y va pas de main morte, s’attaquant successivement à Trotsky, à ce “cher vieux Lénine” ou à Shakespeare et ses personnages (confondus dans le néologisme « shakespearoes”). Pendant ce temps, ce même 23 septembre 1977, David Bowie célèbre une de ses idoles en face B de Heroes : Florian Schneider, cofondateur de Kraftwerk sur V-2 Schneider.
No More Heroes est disponible sur le volume 1 de Rock UK, coédité par « Les Inrocks » et Wagram en CD ou en vinyle.
Retrouvez aussi Rock UK, volume 2 (en CD et en vinyle) et 3 (en CD et en vinyle).
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