DV8 et le chorégraphe Lloyd Newson montrent l’ambiguïté, l’ambivalence, l’impossibilité d’assumer son sexe, son identité.
Soit une bande de mecs anglais au pub. Ils s’enfilent bière sur bière, entrecoupées de plaisanteries grasses et de grosses tapes dans le dos, tâtant leur virilité, de peur qu’elle ne leur échappe. L’ambiance est à la fête. Donc, l’homme en bande, malgré son allure impeccable qu’il valide d’un rapide mouvement de mains dans les cheveux, se transforme en un sauvage de la dernière zone avec pour souci premier et essentiel d’être reconnu et totalement intégré par ladite bande de potes. Mais le même homme considéré individuellement a des fantasmes et des désirs qui ne correspondent pas nécessairement à ce qu’il prétend être en troupeau. Parmi ces joyeux lurons couillus, deux anomalies. La première, où l’on découvre que l’un d’entre eux entretient une relation étroite, faite de douceur et de tendresse, avec une blonde en plastique, gonflable. La deuxième, parce qu’un autre, très visiblement homosexuel, décide de jeter le trouble quant aux certitudes de ses congénères. Il s’impose, vire la brit-pop du juke-box pour la remplacer par un morceau de musique orientale, et entreprend un solo magnifique, plein de grâce et de force. De pinte en pinte, l’atmosphère dégénère. La soirée bat son plein, les hormones s’émoustillent méchamment, les corps se touchent de plus en plus à travers des jeux de bagarres. De chorégraphies dignes de quelques mêlées de rugby, on arrive à un strip-tease qui met n’importe quel Chippendale hors jeu. Mouvements félins, ruptures de rythmes, le chorégraphe Lloyd Newson raconte tout de l’ambiguïté, l’impossibilité d’assumer son sexe, son identité, le jeu du trouble et du désir.
DV8, prononcez en anglais « deviate », depuis sa création, n’a de cesse d’essayer de mettre en scène l’humain. Lloyd Newson, Australien d’origine, est une sorte de chorégraphe-sociologue. La scène ne l’intéresse que si elle lui permet d’y représenter une vision des rapports humains, une danse-théâtre naturaliste. C’était raté avec sa dernière création Bound to please, c’est totalement réussi avec Enter Achilles. Il prend à bras-le-corps le comportement masculin et ne craint aucun stéréotype. Les danseurs-acteurs sont tour à tour victimes et tortionnaires, humiliés et castrateurs. Lorsqu’ils finiront par trouver le secret de la poupée, s’ensuivra un viol collectif, d’une violence inouïe. La chair de plastique devient plus vraie que nature et on a les tripes en compote de la voir se transformer en ballon de foot, lacérée, jetée, défoncée. Le spectacle porte en lui une charge érotique dérangeante pour tout le monde et si les spectateurs peuvent avoir parfois l’impression de prendre de bons coups de pied dans les couilles, les spectatrices n’en sortent pas indemnes pour autant. Impossible de se réfugier derrière un trop simple regard sur la connerie machiste. Montrer ces hommes à nu, fêtant la quille tous les samedis soir, raconte une misère des rapports à pleurer. Sous la carapace musclée, Achille est par terre et la fête continue jusqu’à épuisement total du stock de bière.
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