Malaxé, concassé, détourné, le folk de l’Anglaise Liz Green est une des beautés les plus biscornues de ce début d’année. En attendant sa tournée française, rencontre sur ses terres de Manchester.
A marée très basse, à West Kirby, village cossu de bord de mer proche de Liverpool, on peut découvrir dans les roches des traces de pas de dinosaures. C’est sans doute plutôt Dinosaur Jr. ou Tyrannosaurus Rex qui passionnaient ici la jeune Liz Green, quand elle se planquait entre deux dunes pour, au coin d’un feu de camp, fumer des joints en écoutant inlassablement les cassettes qu’elle et ses amis se refilaient. Car Liz Green, et ça se devine sur son premier album, semble avoir tout entendu : la chanson française, le folklore polonais, le folk des Appalaches ou le blues de la préhistoire. D’abord à la maison, avec des parents curieux de tout (papa fut mod), puis sur des cassettes envoyées de tout le pays par d’autres fans, rencontrés sur un forum consacré aux Manic Street Preachers. “C’était à celui qui découvrirait le truc le plus obscur pour épater les autres ! C’est devenu un jeu de piste : chaque référence me renvoyait à un autre artiste, j’ai tout découvert comme ça, de la politique aux livres en passant par la musique.”
Sa musique, chaos de blues, de folk et autres musiques terriennes, jouée en douceur par une fanfare hardie mais déglinguée, n’est pourtant pas celle avec laquelle cette adolescente en pétard a grandi : elle cite plus The Clash que Tom Waits ou Kurt Weil comme fondations de son univers. Mais ce qui l’a réellement construite n’est pas la musique. Plutôt un atroce eczéma, qui l’a laissée les bras ravinés, les oreilles sans cesse menacées par une nouvelle attaque. “Je n’arrivais pas à comprendre, avant d’écrire ma chanson Bad Medicine, pourquoi les gens ne m’acceptaient pas : j’ai vraiment été ostracisée. Ce n’était pourtant que ma peau…”
Ça sera suffisant pour que Liz Green quitte le monde, s’enferme dans une bulle et ses chimères. “A 14 ans, je jouais encore aux Lego et lisais des contes de fées, sombres et effrayants. Avant les chansons, je ne savais pas vraiment comment me connecter aux gens.” De sa voix d’ogresse, détruite, dit-elle, par le tabac, elle se fait alors une spécialité de ces histoires à dormir debout, mi-contes, mi-cauchemars, qui deviendront les cruelles ritournelles de l’album O, Devotion! “Des contes de fées où il y a de la crasse, de la boue. Par mon éducation, j’ai les pieds sur terre. Mais la tête ailleurs.”
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On la retrouve à Manchester, où elle vit depuis dix ans, dans son café fétiche : le Fuel. Là, dans ce joli refuge bohème, elle a longtemps été cliente assidue des scènes ouvertes, puis cuistot, puis chanteuse donc, quand elle se décida enfin à monter sur la petite scène. “Je n’avais que deux chansons en stock, mais on m’a réservé un triomphe.” Dans le public, un jeune homme possède un petit studio d’enregistrement : il l’invite à coucher ces ébauches sur bandes. Sans prévenir Liz Green, il envoie les titres à l’énorme festival de Glastonbury, qui a lancé un concours de jeunes talents non signés. Elle ne le découvre qu’en recevant, incrédule, un coup de fil du festival lui annonçant qu’elle a remporté les présélections.
Sur scène, elle triomphe au concours amateur. Mais ça ne s’arrête pas là : un artiste important se désiste le lendemain et elle se retrouve sur la grande scène Pyramid, devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. Quelques semaines seulement après ses frêles débuts au Fuel, sa carrière est propulsée au kérosène. Nous sommes en 2007 et l’Angleterre est à ses pieds. Elle la repousse, farouchement : Liz Green ne veut pas quitter son emploi d’assistante dans une école pour enfants handicapés. Il faudra finalement quelques années et des singles à compte d’auteur à la distribution volontairement obscure pour qu’elle envisage un album.
“Dans ma caboche, j’entendais des versions très orchestrées de mes chansons, des cuivres, des cordes… Et peu à peu, j’ai trouvé à Manchester les musiciens qui entendaient eux aussi cette petite musique – je leur jouais mes idées d’arrangements au kazoo ! Finalement, tout a pris forme quand j’ai rencontré Liam Watson dans son studio londonien. Je ne connaissais ni son travail avec les White Stripes, ni la réputation mondiale de son matériel vintage, mais j’étais fascinée par ses vieux magnétos à bandes, très jolis…”
C’est cette absence d’ordinateurs, de règles cliniques, qui la séduit : la sensation d’enregistrer en live, comme à l’époque où, trop timide, elle s’enfermait dans un placard pour ses prises de voix. “Pour avoir l’impression d’être sur scène et pas en studio, j’avais dessiné des têtes sur les murs : des gens qui me souriaient.” Pour finir, on lui parle du romantisme tordu de ses paroles. Elle éclate de rire, gênée. Le mot “romantique” est un gros mot, dans ce nord de l’Angleterre. “Je suis une romantique, mais une histoire d’amour, ça ne fait pas une grande chanson ou un grand film. Il faut y ajouter des drames.”
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