Laisse passer, c’est une valse. Un vieux garçon bien éduqué reprend les recherches délaissées par Randy Newman : on le finance, sans hésiter. Partant du principe que la vie d’un artiste conditionne l’essentiel de son oeuvre, il suffirait d’extraire quelques lignes de la biographie de Lee Feldman pour boucler promptement la chronique de son premier […]
Laisse passer, c’est une valse. Un vieux garçon bien éduqué reprend les recherches délaissées par Randy Newman : on le finance, sans hésiter.
Partant du principe que la vie d’un artiste conditionne l’essentiel de son oeuvre, il suffirait d’extraire quelques lignes de la biographie de Lee Feldman pour boucler promptement la chronique de son premier album : enfance new-yorkaise, bercée par les chansons des Beatles, agrémentée de brillantes études de piano classique. Lee Feldman présente le profil type du songwriter façon Brill Building, cette usine à tubes où pointaient journellement les auteurs-compositeurs de l’ère Spector et dont Randy Newman perpétua longtemps l’esprit, avant de sombrer dans la suffisance. Comme lui, Lee Feldman affiche un air de vieux garçon sage, un fort penchant pour le ragtime et le jazz, une voix nasillarde, mal assurée, des mots tendres et acérés. Autant dire qu’il ne se nourrit pas tellement de l’air du temps. Ce qui, en l’occurrence, ne signifie pas grand-chose, attendu que Living it all wrong évolue bien au-delà des marges du temps.
Des chansons comme celles de Lee Feldman, il s’en écrit depuis cent ans depuis qu’on joue de la musique à La Nouvelle-Orléans, depuis que la pop est pop , mais ça fait une éternité que personne n’en avait pondu la moindre, comme si le secret en était définitivement perdu. Pas cachottier, Lee Feldman lève un pan du voile : « Des tonnes et des tonnes de mélodies ont glissé entre mes doigts, comme des symphonies. » Une profession de foi que Brian Wilson, Van Dyke Parks ou Harry Nilsson auraient pu faire leur on pèse nos références. Pour l’exécution de son épure musicale, Lee Feldman ne goûte pas davantage les avancées technologiques : l’essentiel de Living it all wrong relève de son piano joué en économie , d’une basse et d’une batterie à l’unisson. Pas l’ombre d’une guitare, à peine une clarinette bégueule, un accordéon et des cordes un alizé de cordes qui soufflent des refrains éoliens. A l’écoute de Living it all wrong, on pense beaucoup à l’excellent Ben Folds Five, sauf que Lee Feldman swingue en douceur et ne sait même pas qu’Elton John est encore en vie. Lui joue sur du velours une partition teintée de mélancolie, apprise chez ses maîtres en musicologie. Living it all wrong est un disque extrême, en ce sens qu’il ne fait de concession qu’à la beauté, un disque de fin de race, d’une élégance oubliée, dont chaque chanson semble cueillie à une roseraie paradisiaque. Qui s’y frotte s’y pique. Tour à tour romantique, caustique ou délicieusement suranné, Lee Feldman pose, en onze chapitres onze valses fragiles et essentielles , les bases d’une histoire d’amour à la Barbara, quelque chose d’intense et d’exclusif. Déjà, on ne jure plus que par lui.
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