Enregistrements mythiques pour Studio One au début des années 70, collaborations avec Massive Attack : Horace Andy, dernière figure emblématique du reggae, a imprimé sa troublante voix d’adolescent jamaïcain sur de délicieuses galettes. Nouvelle démonstration avec Living in the flood. Dans l’arrière-boutique d’un magasin de disques de Kingston, une console 8-pistes meurt de sa plus […]
Enregistrements mythiques pour Studio One au début des années 70, collaborations avec Massive Attack : Horace Andy, dernière figure emblématique du reggae, a imprimé sa troublante voix d’adolescent jamaïcain sur de délicieuses galettes. Nouvelle démonstration avec Living in the flood.
Dans l’arrière-boutique d’un magasin de disques de Kingston, une console 8-pistes meurt de sa plus belle rouille. Dernier vestige d’un studio d’enregistrement qui est fermé depuis 1982. Que reste-t-il des centaines de chanteurs qui sont venus tenter leur chance ici ? Quelques fantômes, des tonnes de poussière et quelques dizaines de 45t, 60’s et 70’s, entassés dans de vieux cartons éventrés. Le vendeur nous guide dans notre recherche désespérée des premiers disques d’Horace Andy. Un peu moqueur, il avoue s’être habitué depuis quelques années à voir débarquer dans son magasin de nouveaux fans, ceux qui ont découvert Andy à travers le trip-hop de Massive Attack…
Avant d’évoluer avec la Wild Bunch de Bristol, Horace Hinds, rebaptisé Horace Andy par Clement Dodd, a connu plusieurs carrières. Aujourd’hui, de l’Amérique au Japon, il s’affirme comme l’homme de la renaissance du reggae. Sans doute parce qu’il a su garder au fil des ans la même voix d’adolescent. De toutes ses carrières, celle de Studio One est la plus riche. Ses disques enregistrés à l’aube des années 70 sont les plus recherchés. Pour Studio One, où Lee Perry et Bob Marley ont également démarré leurs carrières, Horace Andy a enregistré quelques tubes. Got to be sure est le premier d’une longue série, de Just say no à Skylarking, son premier grand succès gravé en 1972, à l’origine d’une légende qui dure depuis vingt-cinq ans.
Dans ces premiers enregistrements, gardés jalousement par quelques chanceux collectionneurs, Horace Andy invente son propre style en voulant imiter ses aînés : Alton Ellis, Ken Booth, et surtout Delroy Wilson, prodige du ska entré chez Clement Dodd dès l’âge de 14 ans, au début de l’ère rock-steady. Ses chansons d’amour, qui traduisent à la fois la fierté rude boy et la philosophie rasta en pleine expansion chez les jeunes des ghettos de Kingston, s’imposent aux oreilles d’Horace Andy…
Cet automne-là, à Kingston, la pêche aux premières perles du jeune Horace Andy n’a pas été bonne. Mais on peut encore trouver les vinyles de l’après-Studio One. La période reggae-pop où Horace Andy joue les crooners torturés pour le producteur Benny Lee. Sa période américaine est tout aussi présente. A New York, où il s’installe dans les années 70, Horace Andy collabore avec Everton Da Silva (1977, In the light), producteur qui rassemble autour de lui d’anciens musiciens transfuges
de Studio One. Pionnier du reggae en Amérique, Horace grave une série de hits jusqu’à l’assassinat de Da Silva en 1979. Dans les années 80, il s’installe en Angleterre où sa voix va refaire surface avec la nouvelle génération de DJ. Il travaille aussi bien avec Sly And Robbie qu’avec les jeunes et bouillonnants DJ de la scène dub. Poison flour de Dr Alimentado va jusqu’à lui ramener une nouvelle vague de fans inattendus : les punks. Quand on lui montre ses anciens vinyles, Horace Andy sourit. « Je me souviens de la plupart des titres. »
Aujourd’hui, la légende du reggae est de passage à Paris pour présenter son dernier album, Living in the flood.
Dès le premier morceau, After all, des riffs de mélodica nous rappellent le regretté Augustus Pablo, dub-artiste par excellence avec qui Horace collabora autrefois. La voix d’Horace Andy se coule dans la mélodie la plus suave, la ferveur d’une prière rasta comme My Lord, lente, profonde et veloutée ; elle fait merveille sur une ballade soul comme Johnny too bad, ou sur un reggae classique comme Some people. Cette voix si troublante, fluctuant du chaud voilé au frais léger, capable de s’envoler dans des vibratos déchirants comme dans le joyau de l’album Seven seals , nous parle : « J’ai chanté ma première chanson à l’âge de 16 ans. J’étais à peine capable de chanter. J’ai été obligé d’apprendre, entre 1962 et le début des années 70. Même à l’époque de mes débuts à Studio One, je ne savais pas chanter. C’est seulement quand j’ai commencé à travailler avec Benny Lee que je me suis senti prêt. Mes influences et mes modèles ont été Delroy Wilson, Ken Booth qui est mon chanteur jamaïcain préféré, Alton Ellis, Bob Marley, et beaucoup d’autres. Sans oublier les chanteurs américains, qui sont à l’origine de la musique jamaïcaine moderne. J’ai au moins vingt albums de Sam Cook… J’adore Otis Redding, Smokey Robinson, Earth, Wind & Fire, les Isley Brothers. J’ai appris à chanter en les écoutant, ce fut mon seul apprentissage. »
Horace Andy a un répertoire très spécial : il a beaucoup écrit, des « conscious love songs » comme il les définit si bien, c’est-à-dire des chansons d’amour ayant un contenu spirituel ou socialement engagé, mais il a aussi chanté des chansons pop ou soul écrites et chantées par d’autres. « Déjà à mes débuts, à l’époque de Studio One ou quand je travaillais avec Benny Lee, j’écoutais à la radio des chansons qui me plaisaient, comme Delillah de Tom Jones, et je les traduisais dans mon style. »
Si à Kingston, où Horace Andy revient toujours se ressourcer, la violence continue de faire des ravages, c’est à New York, dans le milieu jamaïcain, qu’il est blessé au bras par une balle perdue au cours d’un règlement de comptes en 1981. On évoque Michael Wallace, le membre du groupe Chalice qui venait d’être recruté par Third World quand on l’a tué à bout portant. Et puis Dennis Brown. Et les milliers d’anonymes qui tombent tous les jours à Kingston : « Dans mon album, il y a une moitié des chansons écrites il y a longtemps et une moitié de nouvelles. Parmi les récentes, il y a Johnny too bad, qui est un appel aux jeunes des ghettos pour qu’ils laissent tomber les flingues. »
Pourtant, les bonnes paroles portées par la voix du légendaire rastaman ne sont pas totalement inutiles. Aujourd’hui, Horace Andy influence à son tour une jeune génération jamaïcaine comprenant Patrick et David Andy, Sanchez, Spanner Banner. « Certains adoptent mon nom, tel Patrick Andy, tout comme Clement Dodd de Studio One m’avait baptisé Andy à cause de Bob Andy, dit-il en retrouvant son sourire. Le son actuel de la Jamaïque est représenté par des gens comme Buju Banton, Capleton, Sizzla, Anthony B. Ils continuent à faire vivre l’esprit rasta le plus militant. Sizzla est le plus rebelle de tous, le plus révolté contre le système. »
Après sa tournée, Horace Andy retournera en Jamaïque. Il s’installera à Jonestown, pour voir sa famille, ses amis. Et préparer le prochain album avec Massive Attack. « Un jour, j’étais à la gare Victoria, lorsque j’ai rencontré un ami, très surpris de me voir à Londres. Il me dit alors qu’un de ses copains venait de monter un nouveau groupe et qu’il cherchait un chanteur. Le copain en question, c’était Cameron, que je connaissais déjà comme producteur et qui est devenu depuis le mari de Neneh Cherry. Il avait essayé de me brancher sur des plans pop, mais ça n’avait pas marché. Cameron m’a fait envoyer une cassette demo de Massive Attack, Daddy G était un fan. Je l’ai écouté de nombreuses fois, et j’ai écrit One love, et c’est comme ça que tout a commencé. » Le chapitre bristolien continue, et le livre d’Andy n’est pas encore achevé.