Le Liverpool Psych Fest tenait sa quatrième édition les vendredi 25 et samedi 26 septembre dans d’anciens entrepôts de briques rouges non loin des docks de la ville. Il y avait Spiritualized, Forever Pavot, Etienne Jaumet, Blanck Mass, Turzi, de la bière et beaucoup de rockeurs. On y était, on vous raconte.
« Hi Luv ! » Les syllabes sont avalées, l’accent nasillard, le sourire béat: pas de doute, nous sommes bien arrivé à Liverpool, terre des Beatles, de foot et de bière, où les Anglais(e)s donnent du « luv » et du « sweetie » à toutes les filles. N’en déplaise aux esprits chagrins (les mêmes qui pensent qu’il pleut en Bretagne), l’air est doux et le ciel d’un bleu radieux. Les kebabs et resto de burgers tournent à plein régime. La ville sent bon le graillon. Passé 2h, les filles vacillent sur leurs talons de 12, bras et jambes nus comme s’il faisait 30 degrés, les mecs ont le regard aviné et des écharpes du Liverpool FC autour du cou. C’est le week-end, les jeunes sont de sortis
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Non loin de cette beuverie généralisée, sur les docks, dans quatre bâtiments de briques rouges anciennement exploités par des activités portuaires, se tient le Liverpool Psych Fest, la raison de notre venue en terre étrangère. Deux d’entre eux constituent, à l’année, l’une des principales salles de concerts indé de la ville : le Camp & Furnace. L’endroit accueille environ 6000 personnes sur deux jours. Il n’en faudrait pas vraiment plus, même si l’organisateur principal et programmateur, Craig Pennington, un trentenaire originaire de Liverpool à l’accent à couper au couteau, serait prêt à en accueillir 10 000 à l’aise, jure-t-il dans un sourire.
S’il existe des Psych Fest à Austin et Paris, le nom ne constitue ni une marque déposée, ni une association, rien en fait. Peut-être juste un effet de mode autour d’un revival psyché, ou d’un néo-psyché mâtiné de garage qui fait chavirer pas mal de coeurs depuis quelques années maintenant. Craig Pennington préfère parler de « mind set », d’état d’esprit psyché, épris de liberté, de communauté soudée par un amour des mêmes groupes, par une envie d’authenticité et d’expériences IRL. Pari réussi. Pas mal d’expériences se sont avérées plutôt fantastiques pendant le festival. Et l’on ne parle pas du burger-frites à 5 pounds avalé samedi midi dans une cantine du coin, mais bien des concerts.
Des chemises trempées de The Octopus Project à l’électro hallucinée d’Etienne Jaumet
Le vendredi soir, on retiendra surtout The Octopus Project. Tout de blanc vêtus, les cinq membres de ce groupe texan dont l’acte de naissance remonte à 1999, sont tout simplement euphoriques et azimutés, martyrisant leurs guitares en souriant gaiement, trempant leurs chemises en se jetant dans le public, finissant à genoux au milieu de spectateurs surpris et amusés. Leur musique est à leur image : organique, fofolle, multiple, conçue pour le live. Ce n’est qu’en concert que l’on peut assister, subjugué, à l’utilisation de la thérémine. Conçu en 1919 par un Russe, cet ancêtre des instruments électroniques produit de la musique sans contact physique, à l’aide de deux antennes qui libèrent des sons en fonction des mouvements de la main de l’instrumentiste, en l’occurence Yvonne Lambert.
Ce sont les Turino-Bordelais de J.C Satan qui leur succèdent une demi-heure plus tard dans cette même petite salle aux murs blancs agrémentés de projections vidéo. Pas de thérémine ici, mais du rock brut, sauvage, violent, toutes guitares dehors. L’énergie est au rendez-vous, le public aussi. Petit pogo, et danses frénétiques ne tardent pas à voir le jour.
Quelques heures plus tôt, l’on découvrait avec impatience le duo formé par Anton Newcombe, leader du Brian Jonestown Massacre, et de la chanteuse canadienne Tess Parks. Rien de bien nouveau sous le soleil, mais beaucoup de classe quand même, quelque part au croisement de Patti Smith et de BJM, du psyché et du rock poétique new-yorkais, des sixties et des seventies.
Mais il faut plutôt aller chercher du côté de notre Etienne Jaumet national pour retrouver fraicheur et originalité. S’il n’est malheureusement pas venu avec Cosmic Neman (batteur d’Herman Düne avec qui il forme le très bon duo Zombie Zombie), Jaumet débarque avec ses machines et son génie. Moulé dans une marinière, un foulard noué autour du cou et une casquette de marin vissée sur la tête, le musicien dégage une bonhomie attendrissante, et semble produire des sons comme il ferait une pâte à crêpes : avec amour, naturel et douceur. Chez lui, l’électronique coule de source, sans nervosité aucune, pour se faire organique. Les histoires racontées en musique nous parlent de spectres et de vaudou, de délire drogué, et de jungle nocturne, d’animaux fantasmagoriques et de pyramides mayas, et célèbrent les noces d’une techno fluide et du psyché.
L’électro se fait beaucoup plus violente et radicale chez Blanck Mass, projet solo de Benjamin John Power, moitié des énormissimes Fuck Buttons. Mais violence et radicalité ne sont en rien synonymes ici d’inaccessibilité ou de mal de crâne: l’Anglais sait nous faire danser, vite et bien. Baignée de lumières rose, blanche, verte, surgissant de partout et de nulle part, inondant des écrans reliés au plafond, la salle semble irradiée. Le genre d’électro en forme de trou noir, qui accélère le temps irrépressiblement.
Des cavalcades de Forever Pavot à la folie de Turzi
Le samedi, notre attention se porte principalement sur les groupes français. A commencer par Forever Pavot, Emile Sornin pour l’état civil, accompagné de quatre acolytes. Le concert est bien trop court (25 minutes) pour accueillir leurs cavalcades hallucinées comme il se doit, mais ce manque de temps leur confère, paradoxalement, un empressement salutaire. Hautement inspirées par Jean-Pierre Decerf, François de Roubaix et Ennio Moricone, leurs pop-songs trempées dans un bain de psyché, prennent des allures de charge héroïque rythmée par les cris sauvages du batteur. Au premier plan, Emile Sornin, tête pensante du groupe aux cheveux longs, est vouté sur son clavier, prolongement mécanique de lui-même duquel s’échappe des accords cristallins dignes des plus belles mélodies sixties. Le tout ressemble à la b.o d’un roman d’apprentissage, plutôt Tintin et Indiana Jones que L’Education sentimentale, tout de même.
On passe un palier dans le zinzin avec le concert de Turzi. Personnage romanesque, à la fois étrange et fascinant, passionnant et volubile, Romain Turzi est le co-fondateur de Pan European Recording et l’auteur d’une trilogie belle et riche, complexe et cinématographique: A, B, et C, son dernier volet paru en mars et porté par la chanteuse lyrique Caroline Villain. Alors que l’on présente encore et toujours Turzi comme un projet électro, leur concert, lui, est résolument rock, tendance Stooges et Sonic Youth, d’autant plus que le claviériste n’a pas pu faire le déplacement, faute de papier d’identité. Mais peu importe, Romain Turzi, chemise entrouverte, l’air hagard, porte le live, martyrisant sa guitare avec fougue, se laissant aller à des impros sous les regards affolés de ses acolytes (basse, batterie, voix), s’emparant du micro pour raconter tout et n’importe quoi. Toujours sur le fil, à deux doigts de basculer dans le grand n’importe quoi, Turzi offre une performance surprenante et jouissive, un truc cabossé, loin des prestations ultra lisses servies à la pelle par certains groupes en mal de caractère.
Plus tard, une longue file d’attente se forme devant la salle Furnace, la plus grande du site. Normal, c’est là qu’est attendu Spiritualized, projet de l’ex-Spacemen 3 Jason Pierce, autant dire la star de ce festival dédié au psyché. Comme lors de son passage à La Route du Rock en 2012, le rescapé Jason Pierce – prononcé mort médicalement à deux reprises- ne déçoit pas. C’est pop et soul, 100% anglais, cotonneux et beau à pleurer, comme si Oasis, Primal Scream, les Rolling Stones et les Pink Floyd décidaient de former un super groupe tous ensemble, la folie scénique en moins (Jason Pierce est du genre statique, rivé à sa guitare).
Parmi les dizaines d’autres groupes plus (The Lumerians) ou moins (Mamuthones) intéressants de cette édition, on retiendra Black Devil Disco Club. Soit Bernard Fèvre, un des pionniers de l’électro française des seventies, auteur de trois albums (Suspense, Cosmos 2043 et Disco Club, sortis entre 75 et 78) qui ont fait l’objet d’une réédition cette année. Bernard Fèvre est culte, au point d’avoir été remixé à l’aube des années 2000 par Aphex Twin et les Chemical Brothers, pour ne citer qu’eux. Et franchement il y a de quoi : son inquiétante électro rétro-futuriste vaut toutes les séances d’hypnose. Mêlant dance et transe, elle invite au lâché-prise total.
Sous sa coupe au bol et derrière ses lunettes d’informaticien eighties, Fèvre affiche un sourire et une bonne humeur contagieux. La salle ne tarde pas à se transformer en dance-floor géant, les festivaliers se laissant aller à quelques pas de danse à mi-chemin entre Michael Jackson et le clubbing dans sa plus pure tradition britannique. Deux types aux cheveux longs font le geste du train qui part dans une chorégraphie saccadée et nerveuse absolument fascinante. De loin l’un des meilleurs moments du festival.
Sur le chemin du retour, éclairé comme en plein jour par la lumière des pubs et des réverbères, des jeunes prennent appui sur les bâtiments de briques rouges pour vomir leurs tripes, tandis que d’autres mordent avec entrain dans leurs burgers. Notre taxi édenté nous parle de sa passion pour les courses de lévriers. « Hey sweetie, imagine, tu payes 4,5 pounds et tu as une pinte, un burger, et l’entrée gratuite. C’est pas le rêve ça ?! » Liverpool, the one and only.
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