Depuis la parution de son clip « Hard Out Here » – qui se veut une charge contre le sexisme- Lily Allen est, le comble, accusée tour à tour de racisme et de sexisme. Énième polémique sans fond ou véritable plantage?
Une armée de danseuses twerkant frénétiquement, se tapant sur les fesses et se renversant du champagne sur les seins, des liasses de billet, une grosse voiture, beaucoup de bling-bling et de poses sexy: pas de doute, dans son nouveau clip, Hard Out Here, Lily Allen cherche à parodier les clips de rap et leurs habituels clichés sexistes. Au passage, la chanteuse se moque aussi du clip Blurred Lines de Robin Thicke en se trémoussant devant des ballons en forme de lettres qui annoncent « Lily Allen has a baggy pussy » (référence à « Robin Thicke has a big dick »), et du léchage de masse de Miley Cyrus, en mettant en scène une danseuse en train de sucer une ampoule. Les paroles du morceau suivent le même créneau: « “I don’t need to shake my ass for you because I’ve a brain” (je n’ai pas besoin de remuer les fesses pour toi parce que j’ai un cerveau).
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Comme prévu, le clip fait le buzz…. mais pas pour les raisons auxquelles on pense. Ce n’est ni sa charge contre le sexisme de l’industrie de la musique ni ses parodies de Thicke et Cyrus qui ont déchaîné les passions mais sa propension, selon certains, à faire pire que bien, aka à mettre les deux pieds dans le plat du racisme alors qu’il se veut une charge contre le sexisme.
Une chanteuse blanche habillée, des danseuses noires peu vêtues
Ainsi, sur le site Flavorwire, la journaliste Michelle Dean – qui collabore également avec Slate- estime que « derrière le cadre moqueur [de la vidéo, ndlr], le résultat pour les femmes qui dansent dans cette vidéo est le même que l’habituelle exploitation des femmes de couleur par Miley Cyrus/Gwen Stefani/Madonna« . Elle explique:
« Voici une femme blanche qui chante au sujet de son ressentiment résultant de son obligation de perdre du poids et d’être en général traitée comme un objet sexuel. Elle danse avec des femmes noires qui sont, en comparaison, muettes et anonymes. Leurs sentiments à propos de la situation dans laquelle elles se trouvent ne sont ni mis en lumière ni même explorés. La plupart du temps, elles sourient ou rient, comme si elles s’amusaient ».
Dans le Guardian, la chroniqueuse Ellie Mae O’Hagan avance le même argument:
« En surface, Allen essaye de se moquer de la façon dont les femmes noires sont traitées comme des objets sexuels dans les clips – pourtant elle met une distance entre les danseuses noires et elle. A la fin de la chanson, elle marche ostensiblement d’un air décontracté alors que les autres femmes restent derrière elle, comme des danseuses à demi-nue de second plan ».
Une journaliste du blog féministe Jezebel suggère, elle, que Lily Allen n’a pas assez travaillé le scénario de son clip et ne va donc pas assez loin dans la parodie pour que sa vidéo en soit réellement une. En d’autres termes: « Si le but de la vidéo était de montrer que les danseuses sont utilisées comme des accessoires et que c’est juste ridicule que l’industrie de la musique fasse cela, ils auraient pu leur donner une mini-histoire« . Exemple: les danseuses auraient pu être en train de lire un livre, ou de chanter dans un micro, que le manager aurait, dans chaque cas de figure, envoyé valser avant de leur demander de twerker. Et d’expliquer:
« Les intentions d’Allen n’importent pas si le résultat ressemble exactement à l’objet de la « satire ». Si je pousse quelqu’un dans les escaliers en disant que c’est une parodie, les os vont quand même se briser. (…) Si une vidéo qu’un artiste pense comme une critique anti-sexiste utilise des tropes que le public trouve racistes, ce n’est pas une satire du sexisme mais une consolidation du racisme ».
Pour le site musical Noisey, le problème peut être résumé en une seule scène du clip dans laquelle Lily Allen, habillée, essaye de twerker sur demande de son manager, sans succès, alors que les danseuses, très peu vêtues, twerkent à tout va. En même temps, Allen chante « Je n’ai pas besoin de remuer mes fesses pour toi/Parce que j’ai un cerveau ». La caméra se braque alors sur une des danseuses noires en train, justement, de bouger ses fesses. « Voilà pour la solidarité féminine » commente le journaliste.
« Si j’avais pu danser comme ces femmes, ça aurait été mon cul que vous auriez vu sur vos écran »
Lily Allen, elle, s’est défendu sur Twitter de tout racisme: « Le clip visait à être léger et satirique, et à traiter de la chosification des femmes dans la pop culture moderne. ça n’a rien à voir avec la race. » Elle ajoute:
« Si j’avais pu danser comme ces femmes, ça aurait été mon cul que vous auriez vu sur vos écran. J’ai en fait répété pendant deux semaines, essayant de perfectionner mon twerk mais j’ai lamentablement échoué. Si j’étais un peu plus courageuse, j’aurais porté un bikini aussi, mais je ne le suis pas et j’ai de la cellulite, ce que personne n’a envie de voir. Ce que je veux dire c’est que le fait que moi je sois couverte n’a rien à voir avec une volonté de me dissocier des filles, ça a plus à voir avec mon propre manque d’assurance et je voulais me sentir aussi à l’aise que possible sur le tournage ».
Réponse de Jezebel: « ce n’est pas aux artistes de décider ce qui est et ce qui n’est pas raciste, c’est au public« .
Vous avez dit sexiste?
Même problème concernant le message anti-sexiste que cherche à véhiculer Allen dans son clip: en reprenant au détail près tous les codes des clips sexistes, Lily Allen se retrouve à tourner un clip qui se veut parodique mais qui ressemble beaucoup (trop) à un clip sexiste. C’est également ce qu’avance le blog d’Indiewire « Women and Hollywood »:
« Le but évident d’Allen était de se moquer des clips qui chosifient les femmes en illustrant le sexisme dont elle parle dans sa chanson. Et pourtant, dans le même temps, Allen perd une bonne partie de la clientèle féministe qu’elle aurait pu gagner avec cette vidéo en chosifiant le corps féminin autant qu’elle propose une satire de cette chosification ».
Pour Ellie Mae O’Hagan du Guardian, ce n’est tout simplement pas à Lily Allen et son clip de parler au nom du féminisme, de représenter toutes les femmes. Elle explique: « les femmes sont régulièrement déshumanisée et homogénéisée, de telle façon que tous nos actes publics tendent à se refléter sur toutes les femmes, au lieu de refléter uniquement notre propre caractère. C’est un problème que les hommes n’ont pas. » Et d’ajouter, très justement:
« Le féminisme est tellement marginalisé en tant que pensée politique que lorsqu’une féministe arrive dans la sphère mainstream, il y a inévitablement une vague de panique et d’excitation, tout simplement parce qu’il y a très peu de voix féministes dans la sphère publique ».
Côté sexisme, notons pour finir que Lily Allen a tout de même ouvertement parodié l’horrible Robin Thicke et dénonce très clairement dans ses paroles le sexisme ambiant dans l’industrie de la musique. Reste à savoir si se moquer de Miley Cyrus ne relèverait pas, aussi, du sexisme. Voir à ce propos l’expression « slut-shaming ».
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