On finit par dénicher tellement de pitance abandonnée dans les poubelles de l’histoire du rock que, béatement rassasié de ce que d’autres incultes ont bêtement dédaigné, on oublie parfois qu’il existe des disques qui n’ont même pas eu l’heur douteux de transiter par ce purgatoire fangeux, cette ultime échappatoire vers le culte intime. Directement de […]
On finit par dénicher tellement de pitance abandonnée dans les poubelles de l’histoire du rock que, béatement rassasié de ce que d’autres incultes ont bêtement dédaigné, on oublie parfois qu’il existe des disques qui n’ont même pas eu l’heur douteux de transiter par ce purgatoire fangeux, cette ultime échappatoire vers le culte intime. Directement de la matrice au pilon, au mieux au dépotoir, à l’égout. En marge de la marge. C’est là que pourrissait lentement Like flies on sherbert, éclipsé par l’aura pourtant bien assez pâle de Big Star. En 1978, quand Alex Chilton entame les séquences chaotiques de cet album amnésique qui sortira en catimini deux ans plus tard, il n’est pas encore le has-been blême que l’on déplore aujourd’hui. Mais il n’est plus depuis longtemps le magicien fêlé de Radio city, le funambule abattu de Sister lovers. En 1978, laissé sur le flanc par le naufrage confus de Big Star, démâté par le tourbillon de l’héroïne et de l’alcool, Alex Chilton est un mort-vivant, une épave qui tente tant bien que mal de se remettre à flot. Pour lui, le petit Blanc de Memphis, un seul fanal, une dernière lueur : le blues. Mais si diffus, si livide, si lointain, qu’on peine sincèrement à le reconnaître. Sur Like flies on sherbert, c’est comme si Alex Chilton avait tout oublié. Big Star est loin derrière, le blues un souvenir filandreux, la guitare un instrument barbare, la rectitude une préoccupation mesquine. Jamais auparavant, hormis du fait de Captain Beefheart, cette musique-ci n’avait souffert comme ça. Chilton s’occupe de son cas à la façon de Richard Widmark, balançant une vieille impotente dans l’escalier. Sans enthousiasme tapageur, sans joie, sans peine, presque machinalement. Il y a des mouches sur le sorbet et une belle araignée au plafond. Parfaitement cinglé, méchamment déphasé, Alex Chilton déambule, nu, halluciné, dans les arcanes du Delta comme un décérébré dans les couloirs d’un Palace psychiatrique, dérape sans cesse, balbutie d’une voix démente des chansons au regard vide et marquées d’idées malmenées (Hey little child, My rival), des vieilles scies country en phase terminale, claudiquantes, envoûtantes (Waltz across Texas). Difficile d’entrer là, impossible d’en sortir. Disque sans issue d’un ange déchu, Like flies on sherbert, tant d’années après, s’écorche encore cruellement aux barbelés de la raison. Mais toujours, c’est nous qui souffrons pour lui.
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