Devonte Hynes, l’homme qui se cache derrière Lightspeed Champion, auteur d’un très beau premier album aux teintes folk, raconte son drôle d’itinéraire en interview.
Que peux-tu me dire sur toi-même ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Je fais des choses, mais je n’y pense pas réellement – ou en tous cas je ne sur-analyse pas les choses. Je sais comment je veux sonner, puis je fais ce qu’il faut pour atteindre ce but. Mais ce but varie tout le temps. Le processus varie. Mais je ne m’en rends compte qu’en écoutant après coup… J’adore écrire, j’adore enregistrer, je ne pense pas réellement à autre chose.
Les scènes et genres ne veulent pas dire grand-chose pour toi ?
Non, c’est vrai, je n’en ai pas grand-chose à faire. Le genre est souvent différent, quoi que je fasse ; et à chaque fois ça me choque, car je ne l’avais absolument pas planifié. J’ai des choses qui passent dans ma tête, et il faut que je les sorte au plus vite, que je les couche sur bandes. Et ce ne sont pas des bouts de trucs : ce sont souvent des albums entiers. Je passe du temps à les enregistrer, souvent pour moi-même, c’est un besoin, presque intime. Je pourrais sans doute un jour en publier une partie, un album de démo ou quelque chose…
Tu ne le fais que pour toi-même ?
C’est un plaisir égoïste : j’ai fait des albums cette année qui ne verront probablement jamais le jour, que je ne montrerai jamais à personne. Mais j’avais besoin de les faire. J’ai toujours été obsédé par le concept d’album, par l’articulation de plusieurs morceaux, l’installation d’une ambiance. Je suis fan d’écriture, de songwriters, de compositeurs ; et pour cette raison les genres ne signifient pas grand-chose pour moi. Des grands songwriters, on en trouve dans tous les styles… Je me concentre avant tout sur le squelette des morceaux, sur leur structure : une fois celle-ci établie, je vois ce que je peux en faire, quelle serait la meilleure manière de représenter la chanson. Puis le genre apparaît. Avec cet album, par exemple, les chansons étaient à l’origine très différentes de ce qu’elles sont devenues. Elles étaient plus grunge. Elles sont assez anciennes, certaines ont été écrites il y a plus de trois ans. L’album aurait pu ne ressembler à rien de ce qu’il est maintenant… D’ailleurs, en live, on le jour totalement différemment, avec beaucoup plus de guitares. Si je l’avais enregistré dans un endroit différent, à New York par exemple, il aurait sonné de manière différente. Mais j’aime le son qu’il a, au final. Je le trouve très musical.
Quelle est ta conception d’une bonne chanson ?
Je suis totalement fan des refrains, des accords ; aussi jeune que je puisse me souvenir, je les ai toujours un peu vu comme des choses extraordinaires, qui t’accrochent dix secondes pour ne plus te laisser tomber. Je ne sais pas d’où ça vient. J’ai regardé, en famille et étant jeune, beaucoup de comédies musicales. J’ai toujours écouté de la musique, la radio fonctionnait 24 heures sur 24 chez moi, je la laissais tourner la nuit… Toujours quelque chose dans la tête, à chaque seconde.
Ce sont surtout les comédies musicales qui t’ont influencé, n’est-ce pas ?
Le Rocky Horror Picture Show, l’une des premières comédies musicales que j’aie vu, m’a intensément marqué, par exemple. Certaines chansons, dans le film, notamment There’s a Light, te sautent littéralement à la gueule ; quand tu es jeune, ça te marque à vie. Hair a aussi été une très grosse influence. Et ça l’est toujours d’ailleurs… Je l’ai vu et revu, et les sentiments initiaux sont toujours intacts. Bon, en même temps, je l’ai revu très récemment, et pour être honnête ça n’était pas tout à fait aussi bon que dans mon souvenir. (rires)
Qu’est ce que les chansons de comédies musicales ont de particulier, comparées aux chansons traditionnelles ?
Dans une comédie musicale, tu mets tout ce que tu as. Si la chanson est mauvaise, tout se casse la gueule. Il y a quelque chose de très puissant, d’immédiat, qui doit capturer ton attention et ne jamais plus la lâcher. Et c’est assez difficile. Les gens se concentrent généralement sur des bouts de choses : la comédie musicale ne permet pas cela.
Et c’est quelque chose que tu recherches dans tes propres chansons ?
Oui, mais là aussi je recherche ça plus pour mon petit plaisir personnel que par rapport à une quelconque envie de contenter un public. Quand j’écris quelque chose, c’est de toute façon toujours parce que j’ai dans la tête une chanson que j’ai moi-même envie d’entendre. Je dois la créer pour l’entendre. Ca part souvent d’une forme de frustration. Je suis mon plus dur critique. Je me pousse à l’immédiateté. Je suis très égoïste quant à l’écriture…
Il y a toujours un lien avec l’image dans ta musique : ton album est aussi lié à une bande dessinée, n’est-ce pas ?
Oui. Je fais beaucoup de choses, dans des domaines différents. Mais je me rends souvent compte qu’elles mènent toutes vers le même point. Au départ, j’écrivais des chansons, mais sans penser à un album. J’avais parallèlement dessiné une histoire. Quand il m’a fallu écrire les paroles de l’album, je me suis rendu compte que beaucoup étaient étroitement liées à la bande dessinée ; les deux travaux se mêlaient, inconsciemment. Et j’aime, ou en tous cas j’aimais à l’époque car c’est un peu moins le cas maintenant, le fait que les paroles soient très liées à la musique ; c’est comme le lien entre les chansons et l’histoire générale dans une comédie musicale, ou comme l’histoire que racontent les cases d’une bande dessinée.
J’écris souvent des choses très liées, et c’est aussi vrai pour les chansons elles-mêmes. J’écris quatre, cinq ou six chansons qui sont au départ très similaires, avec les mêmes structures, les mêmes accords. Je dois ensuite en éliminer, les gens auraient l’impression d’écouter la même chose pendant une demi-heure…
Et cette chose vers laquelle tend tout ce que tu fais, qu’elle était-elle pour cette album ?
La même chose que pour la bande dessinée, qui parle d’un garçon totalement obsédé par son rapport à une fille, qui vit des choses dans sa tête, a du mal à faire la part des choses entre le fantasme et sa vie réelle. Quelque chose que je connais bien… Et même quand j’écrivais des chansons qui ne me semblaient pas reliées à ce thème, je me suis rendu compte qu’inconsciemment je revenais toujours vers ça –Midnight Surprise, par exemple.
Que peux-tu me dire de ton enfance ? Tu es né aux Etats-Unis, tu as déménagé en Grande-Bretagne ? Les deux cultures sont elles liées en toi ?
Je me sens un peu perdu entre les deux. C’est étrange. J’aurais du mal à l’expliquer, mais le fait d’avoir vécu des deux côtés de l’Atlantique affecte sans doute ma musique… Ces derniers temps, je n’ai pas été très fan des groupes britanniques, mais j’ai grandi avec eux. Bon, j’aime les Thrills… Mais ils sont irlandais… Et Idlewild… Ils sont écossais… Et Ash… D’autres Irlandais. Disons que je passe d’une fascination à une autre. Mais mon groupe anglais préféré a longtemps été Mansun, je suis un grand fan. Leur album Six est clairement été une influence pour le mien, notamment au niveau des structures -je sais, ça paraît étrange. Mais je peux voir dans tout ce que je fais d’où je tire mon influence, c’est à chaque fois assez clair. Et étrange. Vocalement, par exemple, je sens parfaitement que j’emprunte beaucoup à Weezer ces derniers temps. Pour les guitares, il y a beaucoup de Smashing Pumpkins dans la manière dont je joue –Siamese Dreams m’a beaucoup marqué, y compris les solos de Billy Corgan.
Que peux-tu me dire des Test Icicles ? Sur quelle base le groupe s’est-il formé ?
Notre point commun, c’était simplement la musique que nous faisions ; on trouvait un terrain d’entente dans l’action, dans les chansons elles-mêmes. On était bons copains, on montait des groupes, avec ou sans moi, avant même de penser à la musique. On la faisait, elle sortait comme elle sortait. On faisait tout très très vite, instantanément, c’était plutôt intense… On était là pour se marrer, on savait clairement qu’au moment même où on ne s’amuserait plus, on s’arrêterait. Et c’est venu graduellement, c’était de plus en plus compliqué, de moins en moins marrant, jusqu’à ce qu’on joue de très mauvais concerts, sans rien apprécier. Et sous aucun prétexte on ne doit faire quelque chose quand on ne l’apprécie pas. On s’est donc arrêté, et ça n’a même pas été trop dur pour nous.
Et quel souvenir as-tu, au final, de cette courte période ?
C’était cool. On s’est bien amusés. Je ne le ferais plus : j’étais pauvre, sans logis, j’habitais chez des amis, je déménageais tout le temps, d’un canapé à l’autre, et ce depuis des années. Mais on a passé du bon temps. Et le petit succès est venu sans qu’on l’attende ou qu’on le cherche, au départ, on faisait ça pour nous-mêmes, pour nos potes, on ne pensait vraiment pas que ça irait si loin.
Et ensuite ?
J’ai notamment fait partie des Naked Babes, avec Tom Vek. J’ai adoré ça. Rien à voir avec les Test Icicles, rien à voir non plus avec mon album actuel ; une sorte de lo-fi un peu bruyante… On a fait deux-trois concerts, excellents.
Quand as-tu décidé de faire un album seul ?
J’ai parlé à Mike Mogis, patron de Saddle Creek, l’année dernière au téléphone –un type de Domino lui avait filé mes démos. Il a aimé, et on a pensé que ce serait plutôt cool d’enregistrer ensemble, aux Etats-Unis. C’était un peu dingue, parce que je suis un grand fan de Bright Eyes, de Cursive. J’adore les albums sur lequel il a bossé. Et je ne me suis pas tout de suite rendu compte de la chance que j’avais de bosser avec ces gens –Tim Casher de Cursive qui chante sur un morceau, des membres de Bright Eyes, de Tilly & the Wall, Mike Mogis, tout ça est quand même incroyable.
Quelle influence a eu le Nebraska sur le son de l’album ?
C’est le Midwest américain, le milieu de nulle part, dans un bled très lambda, la maison où je vivais était décorée de manière très 70s, elle ressemblait à une cabane ; cet endroit me manque, d’ailleurs, c’était cool. Ce qui est marrant, c’est que je n’arrive toujours pas à savoir si mon album est plutôt un album d’hiver ou plutôt un album d’été –j’aime ces disques que tu peux relier à une période, à une saison, qui ont cette unité particulière. A New York, les choses auraient, je le répète, été très différentes.
Et à part les influences musicales et « locales », l’album a-t-il été inspiré par autre chose, des événements dans ta vie ?
Oui. J’ai rompu avec ma copine. Mais les chansons ont pour la plupart été écrites avant la rupture, elles ont en revanche été enregistrées plus tard –ça a donc peut-être eu un impact sur leur son, je ne sais pas… Et à cette période, je n’avais absolument plus un rond, je restais cloîtré dans mon appartement de l’est londonien, je ne sortais absolument jamais, à peine pour m’acheter de quoi vivre. J’avais besoin de cette coupure, besoin de ne plus voir personne. Je méditais, j’écrivais, j’expérimentais des techniques de relaxation.
Puis, juste avant de partir pour le Nebraska, je me suis mis à sortir comme un dingue, sans relâche, je ne rentrais presque jamais chez moi, je ne dormais presque plus. Je suis parti au Nebraska le 2 janvier : pas du tout la même ambiance. Pendant deux semaines, j’ai cru que j’allais crever ; deux semaines de gueule de bois sans fin, pendant les sessions. Je me suis même endormi au beau milieu de l’enregistrement d’une chanson –ce qui est étrange, car j’ai beaucoup de mal à dormir. Je jouais quelque chose, puis le trou noir, je relève la tête, je ne sais absolument pas ce que je suis en train de faire, quelle chanson je suis en train de jouer… (rires)
C’était un drôle de moyen terme entre l’épuisement et l’excitation et la joie… A la fin, j’étais content de ma petite routine, je me levais tôt, j’allais m’acheter un sandwich et boire un café, j’allais en studio, puis je rentrais le soir chez moi, je mangeais des chips… On jouait à un jeu de basket, toute la soirée, comme des dingues… (rires)
{"type":"Banniere-Basse"}