Idéaliste, témoin affecté du chaos ambiant, le saxophoniste Charles Lloyd, dont les périodes de retrait ont souvent dissipé la trace tout au long d’une carrière pourtant amorcée à la fin des années 50, personnifie aujourd’hui l’idée d’une certaine sagesse glanée au fil d’un périple long et tumultueux. Dans ses choix, dans son jeu, le natif […]
Idéaliste, témoin affecté du chaos ambiant, le saxophoniste Charles Lloyd, dont les périodes de retrait ont souvent dissipé la trace tout au long d’une carrière pourtant amorcée à la fin des années 50, personnifie aujourd’hui l’idée d’une certaine sagesse glanée au fil d’un périple long et tumultueux. Dans ses choix, dans son jeu, le natif de Memphis (1938), parfois réticent à se confronter au monde, revient au premier plan, avec ces deux heures de musique imprégnées d’une vraie sérénité, ses chorus mélancoliques, cette sonorité douce au service d’une esthétique délibérément dépourvue de toute agressivité dans le ton et dans la forme.
Pourtant, ce fils de pharmacien a commencé par les plus chauds big-bands de l’époque : ceux de Bobby Blue Bland et de B. B. King. Dans les années 60, on le retrouve dans le sextette explosif de Cannonball Adderley. Lorsqu’il se lie avec Keith Jarrett, Cecil McBee et Jack DeJohnette, le quartette rencontre un succès sans précédent pour une formation de jazz, il est vrai ouverte aux inflexions free, pop et psychédéliques ambiantes, et critiquée pour cela par les puristes.
Peu après la dissolution du groupe, Charles Lloyd se replie vers la méditation transcendantale. Quand, au début des années 80, le tout jeune Michel Petrucciani vient lui rendre visite, Charles Lloyd vit retiré dans sa campagne. L’enthousiasme du pianiste le convainc de reprendre la route, les deux hommes sillonnent les Etats Unis. Une nouvelle carrière s’ouvre pour le saxophoniste, plus harmonieuse, moins erratique. Cet admirateur farouche de Coltrane se tourne vers une expression colorée, chaleureuse. Sur le label ECM, ils signent des albums où souffle l’esprit d’un jazz traversé d’influences orientales.
Point culminant de ce retour en grâce, ce nouvel enregistrement où resurgit son attachement aux mélodies populaires, aux blues de son enfance. Reprenant le What’s Going on de Marvin Gaye avec une mélancolie tout autant liée à la nature du morceau qu’au souvenir du destin tourmenté de son créateur, Charles Lloyd, avec pudeur, laisse filtrer un peu plus de lui-même dans cette parenthèse de recueillement.