McKee dans le maquis. Revenue de Lone Justice et d’un safari éprouvant dans la jungle du rock-business américain, Maria McKee sort enfin un album solo parfaitement digne d’une telle personnalité, Life is sweet. Où une voix imposante trouve le ton juste dans cette country fin de siècle : passionnée comme chez le meilleur Bowie, ensorcelante […]
McKee dans le maquis. Revenue de Lone Justice et d’un safari éprouvant dans la jungle du rock-business américain, Maria McKee sort enfin un album solo parfaitement digne d’une telle personnalité, Life is sweet. Où une voix imposante trouve le ton juste dans cette country fin de siècle : passionnée comme chez le meilleur Bowie, ensorcelante comme chez Scott Walker. Une étoile aînée.
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On va finir par donner crédit aux avis malveillants qui prétendent que Maria McKee, chanteuse jadis promise au sort enviable des étoiles sans éclipses, n’aurait conservé de ce statut scellé à son insu par quelques plumitifs, éjaculateurs d’enthousiasme précoce que l’arrogance et les caprices. En somme, elle s’est fait un principe de n’être jamais là où l’attendent les badauds. Bonne fille d’Amérique, son visage se laissait lire comme l’image irréprochable de la dernière poupée aux yeux myosotis sortie des usines Barbie. Elle nous revient, les traits alourdis par une cure de chocolat suivie pour endiguer le déferlement des crises de doute qui meublèrent l’essentiel de ses dix dernières années. On s’était résolu à en faire une interprète de choix dans l’enclos rénové de la country fin de siècle, une source d’inspiration à laquelle viendrait s’abreuver le jeune cheptel des Freakwater, Tarnation et autres Geraldine Fibbers : elle s’adonne, sur son troisième album solo Life is sweet, aux joies flamboyantes d’une pop anglaise orchestrale qui tutoie non sans familiarité les précédentes incarnations de David Bowie (Ziggy Stardust, Hunky Dory) et valse dans les bras conquérants du Scott Walker des grandes eaux londoniennes. On la croit logée sur les contreforts d’Hollywood, menant la vie tiède et névrosée d’une « near to be famous » ; on la retrouve enrhumée dans sa petite maison chauffée à la briquette de charbon aux confins d’un quartier anonyme de Dublin.
Ces quelques contre-pieds, dans lesquels on doute pouvoir relever la moindre intention espiègle, annoncent en fait un tour bien plus futé joué à la barbe des observateurs, pour qui Maria McKee se situe dans un périmètre quasi fictif, non répertorié sur les cartes d’état-major musicales, quelque part entre Sheryl Crow et PJ Harvey. Une vallée perdue, traversée par la rivière de la versatilité. Or, tout laisse supposer que la jeune femme, âgée aujourd’hui de 31 ans dont douze consacrés à une carrière plutôt erratique s’étant essentiellement soldée par de faux départs et de vrais ratés , a enfin trouvé sa voie. Que sans oser prétendre résoudre définitivement des problèmes d’identité et d’entourage qui ont différé son envol, elle a su pour une fois prendre les choses par le bon bout. « J’ai souhaité me placer dans une situation de crise, dit-elle la bouche en cœur. Je tenais à enregistrer la musique dont j’avais envie et non celle à laquelle s’attendait mon public ou ma maison de disques. Il ne s’agissait pas d’une crise personnelle mais plutôt d’une prise de risque et du courage qu’il faut pour cela. » Discours lambda et sémantiquement lisse d’une artiste en promotion mais qui, cette fois, se trouve corroboré par les faits. Si son disque précédent, le très goûteux You gotta sin to get saved se voulait l’ultime vaccin censé la prémunir contre toute nouvelle offensive d’une fièvre infantile dont elle avait contracté le germe à l’époque de son premier groupe Lone Justice, dont deux membres participèrent à son second effort solo , Life is sweet peut être considéré comme son premier véritable album solo, celui d’une maturité chèrement acquise et enfin assumée. Elle en a composé toutes les chansons et n’a laissé aucune place aux reprises (fussent-elles du calibre d’un I can’t make it alone dont Dusty Springfield aurait pu jalouser l’amplitude émotionnelle). Elle s’est chargée de la production exécutive, quitte à se noyer parfois dans le dédale bureaucratique des contrats, des feuilles de paie et des budgets à ne pas dépasser. Elle a participé au mixage et, fait plus révélateur de cette soudaine et tardive crise de croissance, a joué toutes les parties de guitare. « Jusqu’à présent, je me contentais des parties rythmiques. Mais peut-être en raison de la mort de Mick Ronson, j’ai voulu aller plus loin. Quand j’ai commencé la guitare, Mick Ronson était le musicien que j’imitais. Du point de vue technique, il semblait d’un niveau accessible. Jimi Hendrix ne pouvait pas jouer ce rôle. » La sensation, après l’écoute de Life is sweet, d’avoir quelques araignées de Mars accrochées dans les cheveux n’est donc pas exactement fortuite. Mais le son d’une guitare sur une poignée de chansons, dont le spectaculaire Absolutely barking stars, n’explique pas tout. Dans la mesure où l’on peut estimer que la chose rock a épuisé, comme les chats, les sept vies qui lui étaient accordées, rien d’étonnant à ce que nous revienne sans cesse, en filigrane, la couleur de quelques grandes obsessions qui ont marqué ce courant. A la différence de celui du Velvet Underground, fait de minimalisme et de cette forme de détachement qui affleure à la surface des chansons, l’art de David Bowie requiert au contraire une certaine théâtralisation des sentiments et une recherche haletante de leur meilleure expression. Qui convient à merveille à la voix passionnée de Maria McKee. Paradoxalement, cette inflexion Bowie révèle les progrès étonnants accomplis par l’auteur McKee et en souligne les ambitions, qui louchent désormais vers le haut du mât. On la connaissait pour cette voix monstrueuse par laquelle prenaient vie des émotions non contrôlées, la voilà qui s’impose doucement comme une poseuse de bombes mélodiques dont les Smarter et Everybody explosent d’évidence. Des qualités peu communes de sa voix, Maria en a pris conscience très jeune.« On me faisait monter sur l’estrade où se trouvait le piano de l’école et l’instit me faisait chanter. Je me souviens que la première fois tout le monde a fait silence quand j’ai fini ma chanson. J’étais embarrassée et heureuse à la fois d’avoir provoqué pareille sensation. L’instit était bouche bée. » Mais ses premiers souvenirs musicaux remontent à l’époque où sa mère l’emmenait dans les whisky-bars de Los Angeles où se produisait Love, groupe du solstice psychédélique californien dont son frère Bryan McLean était guitariste. « Quand mon frère est parti, mes parents sont devenus adeptes de l’Eglise baptiste. Comme on n’avait pas droit au rock’n’roll, je passais mon temps à écouter de la musique religieuse. Plus tard, mes parents ont quitté les baptistes pour intégrer une Eglise plus tolérante, vaguement hippisante nommée Vineyards. » A 16 ans, Maria quitte l’école et fréquente les punks locaux qui, dans un brutal souci de réappropriation culturelle, se mettent à écouter des disques de blue-grass, de hillbilly, de la musique des Appalaches jouée avec des archets en crin de cheval grinçant sur des violons pourraves. A Los Angeles, quelques groupes comme Rank & File ou Tex & The Horseheads se risquent à mélanger la musique des racines avec la furie punk. Lorsque Maria rencontre Ryan Hedgecock pour fonder Lone Justice, le beurre est enfin mou pour que ce genre de concept intéresse une major. En 1985, Geffen les signe et les habille. « Nous étions vêtus avec les défroques des personnages des Raisins de la colère. C’était parfaitement ridicule. Nous récoltions toute cette presse élogieuse, les gens s’affolaient autour de nous. J’avais 18 ans et beaucoup trop de candeur pour ce métier. Nous étions fiers et conscients de ce que nous représentions, fiers de notre connaissance de la musique. Mais dans cette industrie, les choses sont très insidieuses. On vous fait croire que tout est possible. On vous offre toutes les facilités, pour le sexe, pour la drogue, on vous fait voyager. Si bien que, peu à peu, vos résistances commencent à fléchir, vous abandonnez progressivement vos valeurs et votre exigence artistique s’en trouve altérée. Jimmy Iovine (producteur du premier album de Lone Justice) a été déterminant pour nous. Il a investi beaucoup de passion dans le groupe mais il a voulu faire valoir sa vision personnelle. Non pas sa vision du groupe, mais sa vision de moi. Il voulait que je sois la nouvelle Stevie Nicks ou peut-être la version féminine de Bruce Springsteen. Mais je n’étais pas prête. Il n’y avait pas urgence, il ne s’agissait pas d’une putain de course. »
Après le premier album, unanimement acclamé, les membres de Lone Justice sont enfermés dans une chambre d’hôtel où l’on attend d’eux qu’ils pondent leurs futurs succès. Qui ne viendront jamais. Déboussolée, perdue dans un monde qu’elle imaginait simple comme une bonne mélodie, Maria craque, perd confiance. Tout ce qu’elle avait pu idéaliser s’effondre tel un château de cartes. Elle enregistre un premier album solo très académique, histoire de garder un pied dans la maison, de manifester une présence. Mais l’échec la cueille au ventre et la pousse à aller s’installer à Dublin qui, depuis les arrivées de Marianne Faithful et Elvis Costello, s’impose comme la parfaite villégiature pour rock-stars en (pré)retraite. C’est là qu’elle retrouvera « la faim » avant de retourner sur la Côte Ouest faire le décompte des amis, dont l’indéfectible Bruce Brody. A ses côtés, elle travaille des maquettes qui donneront les deux albums d’une renaissance à laquelle elle-même ne croyait plus. Mais qui aujourd’hui l’autorise à mettre une certaine distance de sécurité, la sienne, avec certaines choses de sa profession. « Faire ce métier, ce n’est pas un choix au jour le jour, c’est une tension de chaque seconde. Les gens que j’admire, comme Neil Young, sont ceux qui sont à la fois conscients de ce combat et parviennent à le dépasser pour créer. »
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