Disque électronique monstrueux et vicieux, album de dance martiale, Mess des Liars est en écoute en avant-première ici.
Un contre-pied, un contre-pied massif à l’électronique pâle du précédent et précieux WIXIW : c’est ainsi que Mess, nouvel album des intenables mais toujours passionnants Liars, pourrait être défini. Ou comme la bande-son, primale, d’une guerre mondiale de la danse. Ou comme un attentat électronique, un blitzkrieg maboul de dancefloors nucléarisé, l’explosion martiale de couleurs violentes, un disque aussi joyeux que maladif, aussi secouant que vicieux, l’utilisation outrancière des machines pour déformer les corps et uppercuter les âmes.
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Mess sort la semaine prochaine et fera, littéralement, beaucoup de bruit : il est en écoute en avant-première ici-même.
ENTRETIEN
Dans quel état d’esprit étiez-vous après WIXIW ?
Angus Andrew : J’étais très content de l’album, mais j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose au groupe. Et je pense que c’était la capacité de capturer à nouveau notre sens de l’immédiateté, du fun : c’est la première chose qui m’a attiré quand j’ai commencé à jouer de la musique. WIXIW a été un processus long, difficile, notamment parce que nous découvrions les instruments électroniques et les logiciels informatiques. J’ai voulu cette fois que les choses se passent beaucoup plus vite, avec beaucoup plus de spontanéité.
Revenir à quelque chose de plus punk ?
Je n’utiliserais pas forcément ces titres. Mais quand Aaron et moi avons commencé à écrire ensemble, nous le faisions avec beaucoup de plaisir, d’amusement, juste pour le plaisir pur de faire de la musique. Avec les années, nous avons fait des choses intéressantes, en particulier quand nous avons plongé dans quelque chose de plus intellectualisé, quand nous nous sommes concentrés sur l’aspect conceptuel de nos disques. Ca donne des choses intéressantes, mais c’est une approche particulière de la musique. Je voulais revenir à quelque chose d’instinctif, de primal.
WIXIW a été très bien accueilli, notamment par la critique : vous n’avez pas eu peur de prendre une toute autre direction avec Mess ?
Généralement, je capte assez peu de la critique qui accueille nos albums, et je ne pense pas qu’elle n’influence d’une quelconque manière la voie que je veux emprunter pour la suite. Je n’ai pas trop fait attention à la manière dont WIXIW, ça n’a eu aucun impact sur mon envie de changer de manière de faire. Je crois que cela s’applique à la plupart de nos disques : j’aime simplement suivre naturellement mes envies, sans me soucier de ce que les gens attendent de nous.
Les albums des Liars ne répondent-ils qu’à des désirs individuels, ou sentez-vous qu’ils comblent un vide, une envie que vous pourriez sentir autour de vous ?
C’est sans doute une combinaison des deux. Pour dire les choses simplement, quand tu travailles une année ou deux sur un disque, que tu pars en tournée pour une année de plus, que tu prends une pause, l’envie qui nous vient généralement quand on se remet à bosser est de faire quelque chose de totalement différent. On peut se lasser, pour ma part j’ai besoin de quelque chose de frais, de neuf pour conserver mon excitation. Mais il est vrai que ce qui nous entoure nous influence également. Pour ma part, je dis souvent que je suis plus influencé par ce que je n’entends pas que par ce que j’entends : il manque quelque chose à mon environnement, un manque qu’il me semble excitant d’essayer de combler.
Tu ne parles que de musique, ou de manière générale ?
Je parle plutôt de musique, mais le monde qui nous entoure, à différentes échelles, peut aussi nous influencer. Ca dépend de la manière dont nous voulons, justement, que cela se reflète dans ce que nous créons. L’influence du monde extérieur a parfois été assez forte, par exemple quand George W. Bush était au pouvoir, quand les Etats-Unis ont envahi l’Irak. Mais en ce moment, je ne pense pas que l’état du monde ait un impact sur notre musique. Bien sûr, ce qui se passe dans nos vies peut aussi jouer. Quand j’ai commencé à écrire pour Mess, j’ai proposé le mariage à ma petite amie, qui a accepté. Pour la première fois je pense, je me suis retrouvé dans un état de véritable confiance, ce qui a sans doute influencé la manière dont j’ai considéré l’écriture de l’album.
Tu ne t’étais jamais senti en confiance, auparavant ?
Si, sans doute. Mais le processus qui a mené à WIXIW était plein de doutes, au point où j’utilisais ces doutes comme l’un des éléments du concept, je me suis saisi de ce doute pour l’intégrer aux textes, à l’écriture des morceaux. Les doutes venaient aussi du fait, très pragmatique, que si nous avons utilisé des outils inédits pour WIXIW, qu’il a fallu apprendre à les maîtriser, de A à Z, nous travaillons avec les manuels des logiciels ou instruments ouverts dans le studio : ça peut inciter à une forme d’expérimentation, mais ça peut aussi constituer un frein. Il était important pour moi de sortir de ça, de redécouvrir la confiance. Et quand nous avons entamé Mess, je pense que nous en savions suffisamment pour pouvoir nous amuser, avoir entièrement confiance en ce que nous étions en train de faire.
Vous avez du apprendre pour désapprendre, et revenir à quelque chose de plus instinctif ?
Exactement. Et je pense que c’est quelque chose de primordial dans toutes les formes d’art : il est important d’apprendre quelque chose, pour ensuite la déconstruire, lui appliquer à cette chose sa propre approche. C’est particulièrement vrai pour la musique électronique : avant de savoir, de manière basique, faire sortir un son d’un instrument, on peut se sentir totalement bridé. Il faut donc apprendre à le faire correctement, pour ensuite déconner à volonté avec la matière.
Quelle était, en termes de son, l’idée de base quand vous avez commencé à travailler sur Mess ?
Je voulais clairement quelque chose de plus immédiat, quelque chose de vivant, d’énergique. C’est en fait ce qui ressortait du tout début de l’écriture de WIXIW, les choses allaient vite, c’était immédiat, fort. Mais nous avons alors senti que c’était justement trop immédiat, donc nous avons mis ces idées de côté et changé de direction. Nous voulions revenir à cette facilité pour Mess, je ne voulais pas que les idées soient trop travaillées. Faire Mess a été le retour vers quelque chose de très viscéral.
Vous avez joué les morceaux très tôt sur scène, avant qu’ils ne soient enregistrés…
Oui, c’est ce que fait généralement un jeune groupe, c’est ce que nous faisions aussi il y a encore quelques années : tu écris des chansons, tu les joues en concert, puis tu les enregistre. Mais nous avons pour notre part fini par entrer dans une autre forme de cycle, où les chansons enregistrées n’étaient pas jouées devant un public avant que l’album ne soit sorti. Pouvoir jouer des titres sur scène avant qu’ils ne soient finalisés est pourtant quelque chose d’immensément bénéfique, et nous l’avons fait, dans quelques festivals notamment. Jouer des morceaux inédits devant une grande foule est quelque chose d’un peu effrayant, évidemment. Mais la réaction a été positive, très énergique, et ça nous a offert un peu plus de confiance encore avant de retourner en studio pour finir l’album.
Vous aviez l’idée de tester les morceaux, avant de les raffiner ?
L’idée, à la base, n’était pas de tester quoi que ce soit, simplement de jouer ce que nous aurions plaisir à jouer. Reste qu’on découvre, de cette manière, des choses que nous n’aurions peut-être pas découvertes sinon. Certains sons, qui te semblent coller parfaitement aux morceaux quand tu es en studio semblent totalement inadéquat quand on les joue sur scène, et à l’inverse des choses qui semblent initialement sans importance peuvent se révéler finalement primordiales. Certaines chansons, que je ne pensais pas mettre sur l’album, ont provoqué de telles réaction que j’ai reconsidéré ma position.
Liars et toi en particulier ont toujours été très physiques, très intenses sur scène : les années qui passent ne te posent pas de problème, même inconsciemment ?
Je ne sais pas si cela a une influence. Mais ma relation physique à la musique, la manière dont mon corps réagit à ce qui se joue a toujours été pour moi au centre de la performance. Je ne pense pas que cela puisse changer. Il est en revanche peut-être plus difficile d’injecter quelque chose de physique quand on travaille avec des instruments électroniques, quand on crée le son avec un clavier et une souris. Il faut trouver une traduction corporelle à cela.
Pourtant, la dance music est faite pour danser… Es-tu d’accord avec ce terme, pour décrire Mess ?
Tous les termes et toutes les définitions que l’on appose sur la musique sont pour moi troublants : c’est la mettre dans de trop petites cases, c’est la définir trop précisément, en effaçant beaucoup de nuances. Reste que Mess est sans doute l’album le plus up tempo que nous ayons fait. Les gens le comprendront peut-être comme un album de dance music, mais je n’ai pas passé trop de temps à y réfléchir : si les gens réagissent physiquement, énergiquement à ce qu’ils entendent, j’imagine que le résultat est bon.
Il y a quelque chose de très coloré, de très joueur mais, en même temps, quelque chose de très violent, de très guerrier dans Mess.
Oui, c’est vrai. Tous ces mots me vont. Mess est effectivement certainement assez joueur, il est immédiat, il nous a excité : c’est ce que je cherchais. Mais il y a effectivement quelque chose de très violent. WIXIW est peut-être le seul album de Liars à ne pas disposer de cet élément de violence, de cette agression. Communique la violence dans notre musique est une chose avec laquelle j’ai toujours été assez à l’aise. Cette violence dérive d’une certaine forme d’anxiété, de peur, de paranoïa, qui finit par se transformer en une forme d’agression. Après WIXIW, qui essayait d’éviter tout cela en étant un peu plus sensible, j’ai senti qu’il était temps pour moi de lâcher un peu de cette intensité, de cette colère.
Que peux-tu me dire de ce titre, « Mess » (désordre) ?
L’idée même de désordre me plait, car elle dépend d’un point de vue totalement subjectif. Si je regarde ma chambre à coucher, elle me semble normale ; mais si tu la voyais, tu la considérerais sans doute comme un terrible bordel. Ca dépend de la manière de chacun de voir le monde : c’est une des beautés de l’humanité, chaque individu peut avoir sa propre perspective sur ce qu’il voit. J’aime quand cette idée est appliquée aux arts visuels, par exemple : un individu ne sera pas touché par une œuvre et se pensera capable de le faire lui-même, un autre considérera que c’est un travail réfléchi, unique à l’auteur. Je pense que l’idée s’applique de la même manière à la musique de Mess. D’un côté, elle peut être perçue comme un disque où beaucoup de choses ont été jetées dans un ordre un peu incertain, mais elle peut aussi être considérée comme une œuvre pensée, conçue, construite précisément, comme un tout.
Quels sont les thèmes abordés par tes textes ?
Ils sont je pense communs à pas mal des albums publiés par les Liars, et ont à voir avec ce que je mentionnais plus tôt : l’angoisse, la paranoïa, la peur, l’insécurité. On retrouve ces thèmes dans beaucoup de mes textes ou dans notre musique, depuis toujours : même si leur expression a parfois utilisé des concepts différents, ils sont je pense un fil rouge de l’œuvre globale de Liars. Pour la première fois sans doute, la différence est que nous avons essayé avec Mess de transformer ces sentiments en quelque chose de positif, plutôt que de nous complaire dedans comme nous l’avions peut-être fait avec WIXIW. Nous avons essayé de faire en sorte qu’ils ne nous clouent pas au sol.
Mess a constitué une catharsis pour vous ?
Oui, je pense. On me le demande souvent, pour chaque album. On m’a demandé pour WIXIW si, justement, je me sentais soulagé de mettre au jour ces sentiments de peur, de doute. Mais en l’occurrence, reconnaître leur existence n’a alors pas constitué une catharsis : je déclarais simplement que c’était un problème. Avec Mess, j’ai continué à reconnaître l’existence du problème, mais j’ai cherché à l’utiliser à mon profit, d’une manière plus positive, plus productive.
C’est le troisième album que vous enregistrez à Los Angeles, qui est justement une ville que beaucoup décrivent comme angoissante, effrayante : quel impact la ville a-t-elle eu, cette fois, sur l’album ?
C’est une question à double tranchant. Los Angeles est peut-être l’épicentre, le prototype d’un endroit où se créent le problème principal d’une partie du monde occidental : le fait de crouler sous l’information, les médias, les choix, ce qui peut mener à beaucoup de doutes, d’anxiété, d’incertitudes. Los Angeles t’impose cela, et ça peut parfois être difficile de vivre avec cette opulence. Effectivement, Mess est le troisième album que nous enregistrons à Los Angeles, et nous n’avons jamais enregistré trois albums au même endroit auparavant : deux à Berlin, un à New York, un dans le New Jersey. Passer tant de temps dans la ville nous a appris à la maîtriser, à gagner suffisamment de confiance pour apprendre à prendre un peu de recul. C’est un sentiment agréable : arriver dans une nouvelle ville oblige à prendre le temps de l’observation, de la compréhension, mais quand on commence à en connaître les rouages, à la dompter, ça permet beaucoup de choses. « Ok, on peut enlever nos pantalons, et voir ce qui va se passer. » (rires)
Considères-tu Los Angeles comme un « mess », un chaos ?
Oui, je pense qu’elle est un parfait exemple de ce que j’expliquais plus tôt. La manière traditionnelle de fonctionner ou de comprendre une ville ne s’applique en aucune manière à Los Angeles. En Europe, dans d’autres villes aux Etats-Unis, il y a un centre, un « downtown », une partie ancienne d’où se développe le reste. A Los Angeles, le centre est un trou, le centre est vide, et il n’est pas le centre : ça peut effectivement sembler être un chaos urbain absolu. Mais d’autres perspectives sont possibles, on peut aussi penser que c’est à l’inverse ce qu’une ville moderne doit être.
Et avec le temps, tu as appris à utiliser cette organisation particulière à ton avantage ?
Exactement. La géographie même de la ville peut-être source d’incertitude et d’angoisse. On peut au début se sentir très perdu, se demander en permanence où on est, vers où on se dirige, la destination finale de l’autoroute sur laquelle on roule. Mais maintenant, je sais. Ca me donne peut-être un tout petit peu plus de confiance quant à ma propre place au sein du lieu.
Que peux-tu me dire de la production et de l’enregistrement de Mess ? Vous l’avez fait seuls ?
Oui. C’était vraiment simple, c’est allé très vite. Dès le début, nous avons décidé de ne pas passer trop de temps sur les choses, de ne pas trop réfléchir. De laisser les choses arriver, spontanément. Nous nous sommes beaucoup amusés. Une des raisons pour laquelle nous avons décidé de jouer avec des instruments électronique, de composer par ordinateur est l’immédiateté que permet, quand il est maîtrisé, le processus : on peut facilement créer et modifier des sons pour qu’ils sonnent bien, exactement comme tu le veux. Quand on compose et travaille de manière traditionnelle, on joue chez soi, avec ses instruments, on enregistre une démo, et on part ensuite en studio, où il faut trouver un moyen, une traduction pour que cette démo sonne exactement comme on le veut. Mais on perd forcément quelque chose en empruntant ces chemins. L’électronique, l’ordinateur permettent de raccourcir le chemin, de conserver l’immédiateté des choses. Pas besoin de démo : la démo est le travail final.
Qu’en est-il de l’univers visuel de l’album, de ces fils de laine colorée, déclinés à l’infini ?
Julian avait pris pas mal de clichés de cette pelote, attachée à un ventilateur allumé : nous avons trouvé que ça collait parfaitement à l’idée que nous nous faisions du « mess ». Un désordre pour certains, ou au contraire quelque chose créé avec beaucoup de méticulosité, où chaque fibre est placée là où elle est placée pour une raison. Les couleurs nous plaisent, car elles illustrent la brillance de l’album, en parfait contre-pied par rapport à WIXIW, dont la pochette était noire, simplement noire. J’ai ensuite décidé d’utiliser cette image, ces fils colorés, en dehors du strict cadre visuel de l’album : je les ai apportés dans beaucoup d’endroits différents de Los Angeles et les ai photographiés. Là encore, deux possibilités s’offrent à l’interprétation : ça peut juste être un vague bordel sorti des détritus, ou ça peut être placé là pour une raison particulière.
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