Le fantasme de tout fan de rock anglais devient réalité : la voix d’Oasis et la guitare des Stone Roses s’allient pour un album exaltant. Rencontre avec deux légendes.
Certaines collaborations s’imposent comme une évidence. C’est le cas de la réunion au sommet entre Liam Gallagher et John Squire, qui ont tous les deux passé leur jeunesse dans le tourbillon Madchester – l’un en tant que fan de rock, écumant les concerts pour aller applaudir les héros qui ont déclenché sa vocation chez Oasis, l’autre, de dix ans son aîné, sur scène avec The Stone Roses, dont il était le guitariste et le principal compositeur.
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Quand le tandem a dévoilé son single inaugural, Just Another Rainbow, le résultat s’est avéré exactement comme on l’imaginait : un morceau rock, teinté de psychédélisme, toutes guitares en avant, où règne un timbre de voix reconnaissable entre mille autres. Le reste de l’album confirme cette volonté de s’appuyer sur leur savoir-faire. Sans se réinventer, sans céder à la tentation de faire une musique qui ne leur ressemblerait pas, les deux compères se sont appuyés sur leur expérience et leur respect mutuel pour élaborer dix morceaux hautement mélodiques, d’une énergie contagieuse.
Il fallait toute la force de persuasion de Liam Gallagher pour réussir à faire sortir John Squire de son silence et de ses pinceaux et endosser à nouveau ce rôle de guitariste et de compositeur qui lui va si bien. Quant au benjamin de la fratrie Gallagher, également en tournée cette année pour célébrer les 30 ans de Definitely Maybe sans Noel, sa carrière post-Oasis lui réussit et semble même lui donner une jeunesse éternelle, qu’il partage généreusement avec son mentor.
Leurs retrouvailles pour les concerts de Liam Gallagher à Knebworth en juin 2022
John Squire – Mon manager m’a appelé en me proposant de refaire Champagne Supernova sur scène avec Liam, la même chanson que j’étais venu jouer sur scène avec Oasis, au même endroit, en 1996. Je venais de voir Liam à la télé. On lui demandait qui seraient les membres du supergroupe de ses rêves et il a cité mon nom en tout premier. Ça m’a vraiment touché. Je n’avais pas sorti de musique depuis des années, je me consacrais uniquement à la peinture.
Liam Gallagher – Je crois que John s’est invité lui-même en fait ! Quand tu es aussi excellent, tu peux t’inviter partout, non ? [rires] C’était génial d’être à nouveau sur scène avec lui. J’adore le son qu’il sort de ses guitares. Il tente des trucs que plein de gens n’oseraient pas faire. Même s’il est très technique, on sent qu’il n’a pas froid aux yeux. Beaucoup de guitaristes du même style restent dans un jeu très planant – des putains de poids plumes à côté de lui. Je suis dégoûté que les Stone Roses n’aient pas continué et fait encore plus de musique, mais bon c’est la vie. En tout cas, je suis content qu’il ait repris sa guitare, qu’il compose à nouveau, qu’on parte en tournée ensemble bientôt. On ne fait pas ça pour l’argent ni pour la célébrité. On a déjà tout ça. On fait ça simplement par amour pour cette musique.
Faire un album ensemble
John Squire – C’est durant les répétitions pour ces concerts à Knebworth qu’est venue l’idée de faire un album ensemble. Après le second concert, en loge, j’ai demandé à Liam comment on pourrait procéder. Je croyais qu’on allait écrire à quatre mains, mais il m’a dit : “Non, c’est toi qui va tout composer. Tant qu’il y a des tonnes de guitares, je suis partant.” C’est une phrase que j’aime bien entendre ! Collaborer avec Liam est pour moi une association très naturelle. Je trouve qu’il y a un truc très agréable qui se passe quand il chante pendant que je joue de la guitare.
Liam Gallagher – Quand John m’a dit qu’il avait commencé à composer des chansons, j’ai répondu : « Cool ! Qui va les chanter ? » C’est là qu’il m’a demandé si je serais partant pour m’en charger. J’avais prévu de prendre une année sabbatique parce que j’allais me faire opérer [de la hanche, en février 2023]. Mais je me suis dit : « Et puis merde, j’adore John Squire, j’adore les Stone Roses, alors si les chansons sont géniales, on y va ! » Il m’a envoyé trois chansons : je crois que c’était I’m a Wheel, Just Another Rainbow et… J’ai un doute. John a une meilleure mémoire que moi parce que j’ai pris plus de drogues que lui. En tout cas, j’ai adoré les trois. On entendait juste la guitare et la voix de John, recouverte de plein d’effets donc je n’ai rien compris aux paroles. Il n’y avait pas de batterie ni de basse. C’était très brut, un peu comme les White Stripes. Ensuite, il m’a envoyé les textes et je me suis immergé complètement dans ces morceaux. Il m’en a envoyé encore trois nouvelles et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire on en avait dix.
John Squire – Liam vit à Londres et moi près de Manchester, donc dans un premier temps on a beaucoup échangé à distance. On s’envoyait des morceaux des Sex Pistols, de Bob Marley, des Small Faces… Peu après, j’ai commencé à écrire ce qui est devenu notre première chanson, Love You Forever. L’album ne comporte que des nouveaux morceaux. J’ai envisagé d’utiliser des choses que j’avais en réserve, mais finalement j’ai préféré faire table rase, rester dans la veine de ce que je créais sur le vif. Je crois que Mars to Liverpool a été la deuxième chanson que j’ai composée, en essayant de ne pas se baser sur un riff. Écrire à la guitare acoustique m’a beaucoup aidé dans ce processus de songwriting, chose que je n’ai pas souvent faite par le passé. Sentir la guitare vibrer contre ton torse, ça change un peu la dynamique.
Liam Gallagher – Quand John a fini d’écrire les morceaux et les paroles, je suis allé le rejoindre dans son studio, à Macclesfield pour ajouter ma voix sur ses démos. Notre rythme, c’était d’enregistrer deux chansons par jour, de prendre un thé ou un café, John me montrait ses tableaux et voilà, on a bouclé huit chansons en quatre jours et je suis reparti en tournée.
Enregistrer à Los Angeles avec le producteur Greg Kurstin
Liam Gallagher – Greg nous a apporté un peu de bon sens ! [Rires] Il joue aussi de la basse et un peu de claviers sur l’album. Son studio, c’est sûrement le meilleur au monde. On est restés trois semaines sur place et c’était vraiment sympa de passer du temps à LA. Je n’aime pas passer une éternité sur le mixage et le mastering, je préfère toujours laisser les morceaux tels quels. Je trouve qu’il y a trop de choses surproduites en ce moment, du coup la musique perd en puissance, en immédiateté, en saleté. Les guitares, ça déchire ! On n’avait pas envie de faire un petit album lo-fi bizarre. On voulait faire un classique du rock’n’roll.
John Squire – Greg a joué de la basse et c’est lui qui nous a conseillé Joey [Waronker] à la batterie. Eux deux nous ont énormément apporté au niveau du son. Leur section rythmique est remplie de passion et de mouvement. Greg est une personne spectaculaire. Avant de le rencontrer, je n’avais jamais été confronté à un tel niveau d’expertise.
Un album sans titre
Liam Gallagher – On aurait pu trouver un titre, mais je crois qu’on avait trop la flemme. On a juste collé nos noms. Si on fait un deuxième album ensemble, je suis sûr qu’on rassemblera tout notre enthousiasme et toute notre énergie pour inventer un titre. Ou peut-être pas ! En tout cas, je suis partant pour en faire un autre.
Tournée
Liam Gallagher – On va bientôt répéter en vue de nos concerts. En plus de John et moi, il y aura Little Barrie [Barrie Cadogan], Joey et peut-être un claviériste. Il suffit juste d’accorder les instruments et on y va. On ne perd pas de temps à trop réfléchir à tout ça, il faut juste se lancer. Je vais être en tournée une bonne partie de l’année. J’aime bien faire une pause de temps à autre, mais au bout d’un moment je finis par tomber de mon canapé, tu vois ce que je veux dire. Ça me fait du bien de me rappeler à quoi je sers. Je suis là pour m’éclater et grâce à la musique je vis une vie géniale, alors j’ai envie de continuer comme ça. J’ai parfois besoin de faire un break parce que sinon ma voix ne suit pas, mais si je fais un peu attention à moi il n’y a aucune raison pour ne pas continuer. Je ne suis pas un maniaque de la santé. Il y a des moments où je me comporte bien et d’autres où je ne me comporte pas bien, mais je trouve un bon équilibre. Je ne sors plus tous les soirs comme avant – je ne peux plus faire ça, bordel, j’ai 51 ans ! En tournée, je me conduis bien maintenant, pour que les concerts puissent fonctionner sur la durée. Je ne peux plus boire tous les soirs et fumer, ma voix finit par ne plus pouvoir suivre. Il n’y a aucun mot pour décrire ce que je ressens sur scène. C’est à la fois étrange, beau, spirituel et toutes ces conneries. Quand tout se passe bien, qu’on s’éclate, que je chante bien, que le groupe joue bien, que le public adore, c’est le meilleur endroit de tout l’univers. Mais quand ça se passe mal c’est un putain d’enfer.
Devenir un modèle
John Squire – Quand certaines personnes encensent ce que j’ai fait, ça me fait surtout me sentir vieux ! J’ai tendance à ne pas être d’accord avec ces déclarations. Je suis hyper critique vis-à-vis de mon propre travail.
Liam Gallagher – Ça me fait plaisir d’avoir influencé des artistes, mais je n’ai pas la moindre responsabilité envers eux. C’est sympa quand ça vient d’un groupe cool, qui a un look cool. Mais si ça vient de quelqu’un qui porte un putain de gilet sans manches, des santiags et un piercing au téton, ça fait chier. On ne choisit pas sa famille ni ses fans malheureusement.
The Stone Roses
Liam Gallagher – J’ai découvert ma passion pour les guitares le soir où j’ai vu les Stone Roses. Je crois que j’avais 16 ans, je venais de quitter l’école ou je m’apprêtais à le faire parce que je m’étais fait virer de toute façon. Quoi qu’il en soit, c’était en 1989 et j’étais très jeune. Ils jouaient dans une salle qui s’appelait International II, sur Plymouth Grove [à Manchester]. J’y suis allé avec mes potes, ma maman m’avait prêté de l’argent, £5 je crois, pour que je puisse acheter un ticket. Je suis sorti de ce concert estomaqué. À cause de leur musique, mais aussi de leur attitude, de leurs vêtements : tout était parfait chez eux. Les Stone Roses nous ressemblaient. Pas comme les Smiths, un peu avant, qui avaient beaucoup plus des looks d’étudiants. Pas grand-monde dans mon entourage ne s’habillait comme les Smiths, même si on adorait leur musique. Les Stones Roses avaient l’air de lads normaux. Ils ont été mon premier groupe préféré. Ils m’ont mis sur ma voie. À partir de là, je suis tombé amoureux des Beatles, des Stones, des Kinks, de The Who. Je leur dois énormément.
Madchester
John Squire – C’était une période géniale pendant laquelle il faisait bon être jeune, voyager, faire tout ce qui te passait par la tête. C’était un immense privilège pour nous, gamins du milieu ouvrier, qui avons pu nous échapper de cette façon. Pour beaucoup de gens, c’est important d’être divertis et inspirés pour oublier les corvées du quotidien.
Liam Gallagher – La période Madchester, c’est là que j’ai découvert The Stone Roses, la drogue, l’alcool et les filles. J’ai vécu les meilleurs moments de ma vie. Manchester était le centre de mon univers, entre l’Haçienda, le foot et tous les groupes géniaux. Je crois que je ne suis pas allé à Londres avant Oasis, je n’avais aucune raison de sortir de ma ville. Même la météo me semblait un peu mieux à cette époque-là, alors que c’est sûrement impossible, il pleuvait probablement chaque putain de jour. Mais c’était une pluie en couleur, pas une pluie grise et triste. Sans faire mon ringard, parce qu’une de nos nouvelles chansons a un titre un peu comme ça [le single Just Another Rainbow], on aurait d’il qu’il pleuvait des arcs-en-ciel.
Liam Gallagher & John Squire (Warner). Sortie le 1er mars. En concert le 2 avril à la Salle Pleyel, Paris.
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