Pour résumer trois décennies de carrière, Etienne Daho sort un double best-of agrémenté de deux inédits, dont un duo avec Daniel Darc. Entretien autour d’une trajectoire unique dans la musique française.
Etais-tu à Paris le 13 novembre quand s’est répandue la nouvelle des attentats ?
Etienne Daho – J’étais dans un bar avec des amis. A un moment donné, l’un d’eux a reçu une alerte sur son téléphone, avec des nouvelles un peu floues mais flippantes. Puis d’autres plus précises sont arrivées et le bar a commencé à se vider.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quel a été alors ton sentiment ?
Il y avait un mélange de stupeur et d’irréalité. Je n’arrivais pas à croire à l’horreur de la situation. Ayant connu enfant la guerre en Algérie, ça réveille forcément des choses en moi. Nous sommes allés finir la soirée à la maison et le cauchemar est devenu réalité puisqu’une des amies qui se trouvait avec nous a appris qu’elle avait perdu quelqu’un qu’elle connaissait.
Nous avons commencé les uns et les autres à appeler nos proches en espérant qu’ils soient sains et saufs. Nous étions tous anesthésiés. Frapper un lieu de culture où se trouvent des gens innocents qui veulent juste prendre du bon temps et ne sont pas responsables des politiques menées depuis cinquante ans est monstrueux.
Le quartier parisien ciblé par les terroristes t’est-il familier ? As-tu déjà joué au Bataclan ?
Je ne vais pas trop dans ce coin. J’ai joué au Bataclan une seule fois, avec Bill Pritchard, en 1989, mais c’est une salle mythique pour moi, car Lou Reed, John Cale et Nico y ont donné un concert mémorable en 1972.
Ton actualité, plus légère, c’est la sortie de ton best-of. Parmi les inédits, il y a un duo avec Daniel Darc.
Je l’appréciais beaucoup. On a été très proches à la fin des années 80. On se voyait généralement avec Bill Pritchard. On sortait boire des coups tous les trois à Montmartre. Je produisais un album de Bill. Daniel m’a demandé de lui en produire un aussi. Mais c’était un moment où je commençais à être un peu dépassé par ce qu’il m’arrivait, la notoriété, les tournées, etc.
Je n’avais pas le temps et lui ai proposé de faire juste un single. ça a été La Ville, sorti en 1988, qu’il interprétait seul. Pour se faire plaisir, on avait tout de même enregistré une version en duo. La bande est tombée aux oubliettes. J’ai revu Daniel deux ou trois mois avant sa disparition et on a évoqué l’idée de ressortir ce document. En allant chez ma mère et en faisant le tri de toutes les merdes que j’ai pu accumuler à mes débuts, j’ai retrouvé, sous du papier bulle, une cassette DAT. C’était La Ville.
https://www.youtube.com/watch?v=O8Y3PfbAcF8
L’autre inédit est un nouvel enregistrement d’une chanson de la même époque, Paris sens interdits.
Oui, c’est une chanson qu’Arthur Baker (producteur qui a notamment remixé New Order – ndlr) m’avait proposée pour un album-compilation avec plein de gens, Al Green, Jimmy Somerville… J’avais une frustration sur cette chanson, je trouvais qu’on était passés à côté.
J’ai demandé à Johnny Hostile (producteur de Savages – ndlr) d’en produire une nouvelle version et à Tony Visconti (producteur mythique de Bowie – ndlr) de la mixer. J’aimais bien cette rencontre du contemporain et du classique. J’avais écrit Paris sens interdits avec Caroline Loeb, dont j’adorais C’est la ouate, qui est pour moi une chanson parfaite.
C’est quoi, une chanson parfaite ?
Une chanson qui lorsqu’on la découvre donne le sentiment d’avoir toujours existé. Tu sais qu’elle est pour toi. Elle t’emporte.
Récemment, tu en as entendu ?
Oui ! J’arrête pas de tomber amoureux ! (rires) J’adore les deux derniers albums de Beach House. Notamment la chanson Majorette. Je les ai vus la semaine dernière à Londres. C’était onirique, étrange. ça me rappelle Badalamenti, Lynch… La prod est un peu old school mais les mélodies sont envoûtantes.
Beaucoup de jeunes artistes revendiquent ton influence : Lescop, Yan Wagner, Rone, The Pirouettes, Perez… Te sens-tu proche de la jeune relève pop ?
La pop, aujourd’hui, c’est la vraie résistance. On réinvente une manière de s’exprimer en français. J’adore Perez, par exemple. Sa chanson Gamine a tout pour être un tube. La grande interrogation, c’est pourquoi ce type d’artiste n’est pas relayé par les médias mainstream comme cela a pu l’être dans les années 1980. Mais ça pourrait venir, sur un malentendu. C’est un peu ce qui m’est arrivé.
Tu as l’impression que c’est plus simple ou plus difficile de débuter dans la musique aujourd’hui ?
Je pense que l’accès à la musique, la fabrication d’une maquette, la réalisation sont plus faciles. Il y a plein de jouets qu’on peut avoir chez soi. Les premières maquettes que j’ai faites, j’ai mis des années à les rembourser. Il fallait passer par le studio, ça coûtait très cher. Désormais, on peut faire ça chez soi.
La complexité, c’est qu’aujourd’hui tout le monde fait de la musique, alors qu’à l’époque on n’était pas si nombreux. J’avais trois maquettes et Hervé Bordier m’a invité aux Transmusicales. On m’a poussé sur scène, dans la salle il y avait des journalistes de Best et de Rock & Folk qui ont écrit des choses gentilles et un an plus tard je signais chez Virgin. ça a été vite. Le relais aujourd’hui est plus sinueux. C’est plus compliqué de se faire repérer, de trouver les bons modèles économiques. Mais le versant positif est qu’on revient à une forme d’artisanat, qui est ce que la musique doit toujours être.
Dans ton premier single, Il ne dira pas, qui ouvre le best-of, tu annonçais que tu ne révélerais jamais rien sur toi…
Oui, et je me suis rendu compte longtemps après que j’avais passé une partie de mon temps à faire le contraire ! Parler de mon passé, de ma vie amoureuse, de ma famille. C’est absurde, je n’ai parlé que de ça (rires). Quand j’étais enfant, que j’ai quitté l’Algérie pour m’installer en France, j’étais en revanche très secret. J’ai pris un pli pour me protéger, celui de l’extrême réserve. La sensation de l’exil est difficile à partager. Il m’a fallu du temps pour apprendre à parler de moi, penser que le monde n’allait pas me rejeter.
Aujourd’hui, tu vis toujours à moitié à l’étranger ?
Oui, j’ai une histoire d’amour avec Londres. C’est une ville parfaite pour marcher, prendre des photos. J’adore traîner dans les pubs. J’y suis aussi souvent qu’à Paris. Je crois que j’ai fini par faire de l’exil, ce sentiment qui avait pu me perturber enfant, un atout. Aujourd’hui, je ne peux pas rester longtemps au même endroit. J’ai vécu à Lisbonne, Barcelone, New York, Rome… J’ai appris à me sentir partout chez moi.
Dans le documentaire sur toi qu’Arte a diffusé, également disponible avec le double best-of, les images d’archives font défiler plein de looks qui furent les tiens, toutes sortes de coupes de cheveux. On retrouve souvent cette élégance minimaliste qui te caractérise, mais il y a aussi de vrais fashion faux pas comme cette incroyable veste blanche à franges western que tu portes dans une émission de Michel Drucker des années 80…
Oui, c’était mon sommet ! (rires). Récemment, un magazine de mode me parlait de ma supposée élégance. Je leur ai dit que non : à mes débuts j’étais habillé comme un as de pique. C’est Elli (Medeiros – ndlr) qui m’a donné le sens du style. J’entassais les couches de vêtements improbables. Peu à peu, je suis devenu plus sobre. Mais c’est vrai qu’elle est bien cette veste à franges (rires).
Tu regardes des séries ?
Oui, bien sûr. J’ai adoré une série anglaise, My Mad Fat Diary. L’histoire, dans les années 90, d’une fille obèse qui essaie de trouver sa place dans le groupe, dans l’amour. C’est très bien écrit et la BO est démente : Stone Roses, Pulp… J’aime beaucoup aussi une minisérie de six épisodes, The Runaway, avec pour moi le meilleur acteur du moment, Jack O’Connell. ça se passe à Soho dans les années 70, c’est dément.
Vas-tu aller voir le nouveau James Bond ?
Bien sûr ! Je suis devenu fan de Daniel Craig dans Love Is the Devil (1998), un film où il joue George Dyer, l’amant de Francis Bacon. Je suis parfois assez client de ce type de superproduction. A ce stade-là de stéréotype, la masculinité de James Bond devient un jeu. Et j’ai l’impression que les films récents jouent de plus en plus avec ce cliché viril.
Dans Skyfall, il y a même une punchline où on peut comprendre qu’il est bisexuel…
Ah bon ? Sacré James ! Il nous aura tout fait (rires).
album L’homme qui marche – Best-of (Parlophone, 2 CD + 1 DVD)
à voir Etienne Daho, une aventure pop moderne d’Antoine Carlier, en replay sur Arte+7
{"type":"Banniere-Basse"}