Dan Ar Braz a réussi le pari de fédérer toutes les tendances de la musique celtique sur un album, L’Héritage des Celtes, aujourd’hui devenu un succès commercial. Un spectacle qui remplit les salles achève de consacrer ce retour en force de la musique traditionnelle. En juillet 1993, le Festival de Cornouailles, fondé quarante-cinq ans plus […]
Dan Ar Braz a réussi le pari de fédérer toutes les tendances de la musique celtique sur un album, L’Héritage des Celtes, aujourd’hui devenu un succès commercial. Un spectacle qui remplit les salles achève de consacrer ce retour en force de la musique traditionnelle.
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En juillet 1993, le Festival de Cornouailles, fondé quarante-cinq ans plus tôt par l’écrivain breton Pierre-Jakes Helias, accueille un spectacle interceltique conçu et dirigé par le guitariste Dan Ar Braz: soixante-quinze musiciens bretons, irlandais, écossais et gallois se réunissent sur scène pour célébrer la vitalité d’une diaspora culturelle abusivement bornée aux kermesses folkloriques et f&es à boire. Un an plus tard, l’événement se répète lors des Tombées de La Nuit à Rennes et suscite un engouement doublé d’une attente. Que ce spectacle puisse avoir son prolongement sur disque. Jacques Bernard ? fondateur de BYG production et commanditaire du projet ? décide, en collaboration avec Keltia, label spécialisé dans le répertoire traditionnel breton, d’investir 800 000 F dans l’enregistrement d’un album fidèle à l’esprit du spectacle. Pour le réaliser, Dan contacte le producteur Donal Lunny dont le travail avec le groupe Planxty en a fait une référence du folk celtique. L’Héritage des Celtes sera recueilli au studio Windmill Lane, ancienne centrale électrique alimentant le réseau de tramways de Dublin, rendu fameux par les fréquentes visites dont l’honorèrent U2, Sinead O Connor, les Rolling Stones, Simple Minds et autres barons du rock en quête d’un lieu pourvu d’une âme et d’une machine à café. Les Ecossais du Shotts Pipe Band, le Bagad de Kemper, ensemble de cornemuses, la chanteuse du pays de Galles Elaine Morgan, les Bretons Gilles Servat et Yan Franch Kemmener, plus une sélection de
musiciens ? aussi renommés dans le cercle d’initiés qu’inconnus dès que celui-ci est franchi ?, tels que le guitariste Jacques Pellen ou le joueur de cornemuse Patrick Mollard, complètent le casting. Si l’album des Chieftains The Long black veil convoquait une pléiade de célébrités, celui-ci repose sur un anonymat partagé par tous les invités. L’Héritage des Celtes, avec 85 000 exemplaires vendus à ce jour, est une réussite commerciale inattendue que le maître d’œuvre goûte d’une sobre joie. L’homme a traversé de trop nombreux déserts pour laisser un oasis lui chavirer le biniou. « J’ai connu les années 70 et les premiers feux d’un renouveau culturel breton avec Alan Stivell. Et puis les années 8o sont passées par là, broyeuses de particularismes. Il a fallu faire le dos rond, s’accrocher à ses convictions. Il y aura un deuxième album parce que j’ai envie de poursuivre cette aventure. Mais j’ai d’autres projets dans mon tiroir si le vent venait à tourner. J’ai prévu le coup. » A 46 ans, Dan Ar Braz n’est pas né du dernier crachin. Guitariste rock épris de Hank Marvin et des Pretty Things, il épouse en seconde noce la musique traditionnelle bretonne à la suite de sa rencontre avec Alan Stivell. « Il m a révélé à quel point la musique celtique avait influencé la country et le rock. Il semblait me dire : « tout est là. prends-le. » Nous sommes à la fin des années 6o. Dan consolide son éducation en accompagnant pendant plusieurs mois Fairport Convention, le plus illustre des groupes de folk-rock britannique. Aujourd’hui, il présente une discographie riche de treize références, la plupart appartenant au catalogue Keltia, Sub Pop pour bardes finistériens, qu’un public de cinq mille fidèles acheta avec la tangible certitude des gens au caractère taillé dans le granit. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui se dirent agacés lorsque paru L’Héritage des Celtes, prétextant que l’on n’entendait pas assez celui qui enchantait jusqu’alors leurs veillées et nourrissait leur imaginaire comme le ferait un druide de Brocéliande. Argument recevable dans le sens où Dan avoue jouer un minimum sur les douze pièces d’une oeuvre mosaïque dont il a voulu avant tout servir de fédérateur. Ce projet consacre vingt ans d’une carrière en clair-obscur entièrement dévouée à faire connaître la musique de son pays. » J’ai composé Borders of salt, qui ouvre L’Héritage des Celtes, en 1991. Certains me font le reproche de l’avoir écrite en langue anglaise. Parler ou chanter anglais et être anglais sont deux choses différentes. Cette chanson est passée totalement inaperçue, même en Bretagne. Il n’y a qu’aux Etats- Unis où j’ai pu lire certaines critiques touchant juste, qui disaient « comme ce type semble aimer son pays ». Ça m a fait plaisir. Depuis, je l’ai f ait chanter par Elaine Morgan et on l’entend partout. C’est vrai que l’album dégage une certaine solennité, mais on n’a pas besoin de nous pour assurer le côté festif D’autres groupes remplissent fort bien cette fonction, comme Ar E Youank qui perpétuent la tradition des Fest Noz et vendent leurs disques comme des petits pains. On tombe trop rapidement dans les clichés quand on parle de la Bretagne: Bécassine, Jean-Marie Le Pen… J’ai toujours lutté pour donner une image de mon pays qui échappe aux schémas réducteurs. L’alcoolisme par exemple. Les gens boivent partout. En Allemagne, en Angleterre, aux Etats- Unis. En Amérique, ils s’en mettent plein le nez, ce qui n’est pas mieux. Il y a partout cet alcoolisme triste. Dans les campagnes, il y a des gens qui boivent. Je crois à une certaine aliénation, au fait que des gens se mettent à picoler parce qu’ils ont perdu quelque chose. Quand on a perdu son identité, il ne reste rien. Il y a une génération à qui on a interdit de parler le breton et qui, par réaction, en a interdit l’usage à ses enfants craignant qu’ils ne se retrouvent sans travail, qu’ils soient rejetés. Une telle chose marque un peuple. Je ne ferais pas la comparaison avec les Indiens d’Amérique parce qu’ils en ont autrement chié que les Bretons. Mais pourquoi l’alcoolisme a-t-il autant prospéré dans les réserves J’aime boire un coup, j’aime faire la fête, je ne suis jamais le dernier pour rigoler, mais c’est vrai que sur l’Héritage s’inscrit en arrière-pensée ces préoccupations et la relative gravité du disque vient de là.?
Ayant traversé la période du régionalisme militant, ses espoirs, ses excès, Dan témoigne aujourd’hui d’un retour au besoin d’appartenance qui ne passe plus par l’idéologie mais par la culture; un phénomène qu’il estime toucher non seulement les acteurs traditionnels de la défense de l’identité mais l’ensemble de la communauté. Pour certains, cet accomplissement se réalise à travers la langue, d’autres grâce à la danse ou la musique ou par le simple fait d’habiter la Bretagne. Ceux qui ont entre 15 et t8 ans manifestent l’envie d’affirmer un ancrage que les adolescents des années 8o ne revendiquaient pas aussi fortement. « Un retour sur soi qui ne veut pas dire repli », précise Dan, ajoutant: « C’est parce que je n’appartiens à aucune chapelle que j’ai pu réaliser un projet comme L’Héritage. Je ne voulais pas jouer pour une élite ou pour faire plaisir à mes copains. L’Héritage a une histoire, et c’est ce qui fait sa force et sa cohérence. Aujourd’hui on peut faire n’importe quoi, de la world music, du new age. L’album que j’ai enregistré en 85, Musiques pour les silences à venir, ma maison de disques aux Etats-Unis, ne sachant pas dans quel registre l’inscrire, l’a classé sous l’étiquette new age. Dans les boutiques commençaient à s’ouvrir quelques rayons spécialisés. Deux ans plus tard, on vendait ça au mètre comme du tissu. Je crois que c’est la même chose avec la world music. Si Peter Gabriel réalise des choses intéressantes, en revanche il existe une quantité de projets où le concept domine l’esprit. Aujourd’hui, c’est trop facile, tu prends un avion, tu envoies un musicien africain au Japon et tu fais un disque original. Je préfère lorsque les choses se fondent dans une histoire.?
Solitaire de nature, Dan aurait préféré la jouer profil bas. Il se refusait même à apposer son nom sur l’album. Sony Music qui en assure la distribution a fini par le convaincre qu’il lui fallait incarner le projet. Cette soudaine irruption du vedettariat dans son quotidien, sans le déstabiliser, lui donne des responsabilités, comme un devoir de représentation, pour ne pas dire une mission, qu’il ne souhaitait pas particulièrement assumer. Il honore pourtant ses engagements promotionnels avec une fraîcheur d’esprit et une disponibilité qui rendraient honteuses les poussières d’étoiles défilant dans un métier où l’humilité reste denrée rare. Contemplant son passé de rocker avec une certaine tendresse, il trouve dans le parcours exemplaire d’un Neil Young, solide, intègre et toujours intéressant, comme une autre justification de lui-même. S’il lui arrive d’être surpris par la violence des groupes qu’écoute son fils (Rage Against The Machine, etc…), il ne reconnaît pourtant plus au rock une démarche critique, cette capacité de remise en cause qui fut la sienne. » Il y a trop de structures. En France, je crois que depuis Jack Lang et sa politique de subventions, ce langage a perdu de sa colère. Les textes d’Alain Souchon me semblent aller plus loin par exemple. » Il lui arrive parfois de retrouver des amis dans un bar de Brest pour y jouer des reprises de… Joe Cocker. » Je crois qu’il faut prendre sa place dans sa génération « , répète-t-il, avec la sagesse de ceux qui se sont trouvés de puis longtemps.
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