Décédée à l’orée de la décennie, la magique Lhasa nous offrait il y a quelques mois une longue interview consacrée à son troisième album, éponyme et crépusculaire. « J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit » expliquait-elle lors de ce long entretien : ces astres sont éternels.
Pourquoi l’anglais était il nécessaire pour ces chansons en particulier ?
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J’avais surtout besoin d’un confort. J’avais besoin d’une détente. Au lieu de me projeter comme je le faisais sur mes autres disques, de lancer des missiles de passion, là je voulais au contraire atteindre une forme de sérénité. L’écoute de la musique d’Al Green m’a été très précieuse pour atteindre ce niveau là, pour dégager de moi même un chant qui soit à ce point léger et profond. C’est ça mon but aujourd’hui. J’ai toujours été quelqu’un de très intraverti et longtemps chanter en espagnol me permettait de sortir de moi-même, d’évacuer un trop plein. Maintenant que j’ai dépassé ce stade là, je n’ai plus besoin d’une autre langue que la mienne.
Dans La Llorona et The Living Road, tu chantais avec tes tripes…Où est passée la rage que l’on entendait dans des chansons comme El Desierto ?
A l’époque j’avais pour maître Chavela Vargas, aujourd’hui c’est Al Green. Ce chemin je l’ai fait consciemment.
Cela veut-il dire que tu es une femme moins passionnée aujourd’hui ?
Oh non. Je le suis peut être plus. Mais j’étais sans doute très immature à cette époque. La Lorona c’est un peu mon disque punk. La raison pour laquelle il s’écoule toujours autant de temps entre chacun de mes disques c’est que je veux avancer, je veux poursuivre une route. La chose la plus horrible pour moi ce serait de faire ce que les gens attendent de moi. Pour moi, ça c’est la mort !
[attachment id=298]C’est vrai : tout le monde attendait La Llorona 2 …
Et bien non, malgré le succès (380 000 exemplaires en France), j’ai senti comme une révolte, assez physique du reste, contre ça. Je dirais même une panique. Je ne voulais pas devenir une formule. C’était une hantise. Après La llorona je sentais que refaire le même disque aurait été une immense trahison envers moi-même. Et j’ai eu le même sentiment après The Living Road. Il n’était pas question de devenir une sorte de porte-parole du multi culturalisme simplement parce que je chantais dans trois langues différentes. Toutes ces formes d’enfermement me répugnent. Ce qui m’intéresse, c’est être moi, c’est à dire être honnête envers moi-même, avec ce que je ressens.
Tu évoques beaucoup Al Green comme influence majeure pour cet album. Mais il est difficile de ne pas songer également à la country- notamment sur Fool’s Gold– un genre qui finalement a toujours bien servi les femmes et la féminité, leur a toujours permis d’exprimer des émotions profondes, personnelles et libérées de la bienséance. Dans quelle mesure n’y a t’il pas là aussi une filiation…
Je n’ai jamais écouté de country. Quand j’étais petite ma mère écoutais un peu Patsy Cline mais pas beaucoup. Ces dernières années la chose qui m’a rapproché le plus de la country ce sont les disques de Bonnie Prince Billie, mais franchement en dehors de cela ce n’est pas un registre sur lequel je me suis penché, ou que j’ai étudié. Quand j’ai écouté Fool’s Gold après l’avoir enregistré ; je me suis même demandé: « mais d’où ça vient ça ? ». Dans ma tête c’était plus une mélodie irlandaise. Ma mère écoutait beaucoup de musique irlandaise quand j’étais petite. C’est quelque chose que j’ai du absorber à cette époque et qui ai ressorti comme ça.
Ton nouvel album fait aussi beaucoup penser à deux autres disques: Harvest de Neil Young et The Trinity Sessions des Cowboy Junkies…Ce lien fait-il sens, hormis le fait qu’il s’agit de deux disques canadiens ?
J’y vois effectivement un lien. Ces disques et le mien sont comme des atterrissages…
Neil Young a enregistré Harvest couché avec une minerve à la suite d’une hernie discale. Toi-même, tu as connu eu une longue période de convalescence…
Oui, après toutes ces années de tournées, de turbulences, je me suis retrouvé dans l’obligation de tout arrêter. Je suis tombée malade et j’ai eu des problèmes avec mes cordes vocales. J’ai du être opérée. De fait, ma nouvelle manière de chanter résulte aussi d’une réflexion. Ma voix était constamment au seuil de la rupture et je ne pouvais plus continuer comme ça. J’ai laissé à ma voix le soin de trouver son propre registre. C’est ce qu’on entend sur l’album, ce relâchement. Avant j’étais constamment dans la tension. C’était beaucoup d’effort. Aujourd’hui c’est redevenu un plaisir, une harmonie entre mon moi profond et mon être artistique. J’ai le sentiment d’avoir trouvé ma vraie voix.
Dans les textes de cet album tu parles beaucoup de prison, du désir de t’évader de prison ?
Je crois que les textes de mes deux précédents albums exprimaient ce même sentiment. C’est sans doute le reflet de ma nature profonde. Je crois ne savoir écrire que ce genre de choses. J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit.
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