En reportage dans la province de Québec pour couvrir le festival M pour Montréal, indispensable rendez-vous indie où se croisent professionnels du secteur musical et artistes émergents depuis 2006, notre journaliste François Moreau vous écrit.
Le SUV du pote file dans la province de Québec. Les grosses bagnoles ont déjà chaussé les pneus neige, même si pour trouver des paysages recouverts de blanc, il faut s’enfoncer loin dans les Laurentides : vous êtes sur Sirius XM, la radio par satellite.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Au programme, le dernier War on Drugs, Wilco, Courtney Barnett, ces tronches tordues de Replacements. Sortez de Montréal, vous êtes dans l’Amérique des grands espaces, des cours d’eau et des galettes de pomme de terre cheapos de chez Tim Hortons, cette chaîne de restaurants fondée par un joueur de hockey de l’Ontario dans les années 1960.
La soirée d’ouverture du festival M pour Montréal, hier soir, nous a emmené jusqu’en Alberta, avec détour par le Saskatchewan, en territoire anglophone. “I’m here. With beer”, nous rencarde par SMS Evan Ushenko. Cheveux longs qui dépassent du bonnet à la Cobain, barbe d’une semaine, dégaine de trucker de friperie, le kid de la petite localité de Three Hills, Alberta (3000 habitants) est venu jouer la poignée de chansons qu’il a mises en boîte sous son Ghost Woman moniker, dont le premier EP Lost Echo’s est sorti cette année chez Full Time Hobby. Perfusé à Pink Floyd et aux compilations Nuggets, Evan joue un rock psychédélique dans la droite lignée des 13th Floor Elevators, Black Angels, Ty Segall (surtout l’explosif Demons) et consorts.
>> À lire aussi : “Grunge, de musique & de rage”, un documentaire essentiel sur le grunge aujourd’hui – Les Inrocks
Un type talentueux, qui nous parle du Jacco Gardner époque Hypnophobia (2015) et de ses tournées en tant que guitariste de l’immense Michael Rault, lorsque celui-ci faisait les premières parties de King Gizzard & the Lizard Wizard. Evan ne s’en cache pas : malgré son envie de bosser de son côté sur quelques idées qu’il a en tête avant de donner naissance à Ghost Woman, il n’est pas hyper à l’aise avec l’idée de faire le frontman. D’ailleurs, c’est relégué sur le côté droit de la scène du Café Cleopatra qu’il chante et joue de la guitare, avec une voix à la Morgan Delt.
“Regardez, il y a du sang partout”
Juste avant lui, ce sont les Saskatchewanais de Beach Body qui sont venus présenter leurs chansons. Ces gosses en apparence sans histoire ont le syndrome The Thrills : à l’instar des Dublinois, ils jouent une pop sous influence Beatles, aux langueurs californiennes, smooth et blanchie par le soleil, qui n’a pas grand chose à voir avec les paysages glacées de leur province. Quinze minutes de show (même tarif pour tous les groupes ce soir), c’est peu, mais suffisant pour dire que, jusqu’ici, le plateau tient la route, d’autant qu’au Café Cleopatra, la soirée se terminera avec une revisite de cet autre rêve américain, le psyché hippie.
C’est au tour des Montréalais de Hippie Hourrah (une référence à Dutronc, on imagine), de s’y coller. Le trio, mené par Cédric Marinelli (des Marinellis) et constitué de membres de groupes locaux (Anemone, Elephant Stone), la joue millième degré côté storytelling, mais s’inscrit avec grâce dans le revival psyché sixities et garage, avec une approche plus pop qu’un Ghost Woman, à l’image de la plupart des bands que ces jeunes gens ont fréquenté. Leur premier album, Hippie Hourrah!, est sorti cette année chez Simone Records, le label, entre autres, d’Hubert Lenoir.
>> À lire aussi : Le rappeur Young Dolph abattu à l’âge de 36 ans – Les Inrocks
Ce bon vieux Hubert, que l’on a vu déambuler plus tôt dans les salles hier soir, et notamment à la SAT de Montréal (Société des arts technologiques), où son pote Robert Robert venait présenter Silicone Villeray (comme la Valley et le quartier du nord de Montréal), son nouvel album sorti chez Chivi Chivi.
Croisé à l’heure du brunch au Café Melbourne, Arthur Gaumont-Marchand, son nom à la ville, évoquait ses premiers pas dans les raves montréalaises au début des années 2010, aux abords des terrains vagues bordant les chemins de fer, et l’évolution de son travail vers un format plus pop.
Une formule qui cartonne sur scène (comme sur disque, à l’instar du brillant L’été je m’ennuie), où le type a réussi à rameuter un public pas encore habitué à remettre les pieds en concert – rappelons au passage que les concerts debout, sans distanciation, ne sont autorisés au Québec que depuis le 13 novembre.
>> À lire aussi : Alex Cameron est tout feu, tout flamme dans le clip de “Sara Jo” – Les Inrocks
Devant notre bagel au saumon avec supplément bacon, Arthur a rappelé l’importance de la langue, et notamment de l’usage du français, émettant l’hypothèse que pendant longtemps, les Queb’ avaient tendance à se tourner vers les publics francophones au lieu de s’ouvrir au reste de l’Amérique.
Dans les loges de la SAT, Laurence-Anne, qui sortait cette année Musivision, un deuxième album mis en boîte lors d’une retraite en Gaspésie, nous confiait prévoir une grande tournée, des États-Unis jusqu’au Mexique. La langue, ici (elle chante aussi bien en anglais, qu’en français et même en espagnol), sert surtout de support dynamique pour transfigurer son approche de l’écriture, autant que ses prestations sur scène, quasi punk.
La suite, demain.
{"type":"Banniere-Basse"}