Disque ovni et passionnant, Let the freak flag fly est l’œuvre hallucinée et solitaire d’un Américain de 29 ans. Une connaissance faisait récemment remarquer que le mot “bass” était devenu incontournable dans la grande encyclopédie des musiques actuelles Bomb The Bass, Motorbass, Tranquility Bass aujourd’hui. Peu à peu, le vocabulaire des fréquences sonores serait […]
Disque ovni et passionnant, Let the freak flag fly est l’œuvre hallucinée et solitaire d’un Américain de 29 ans.
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Une connaissance faisait récemment remarquer que le mot « bass » était devenu incontournable dans la grande encyclopédie des musiques actuelles Bomb The Bass, Motorbass, Tranquility Bass aujourd’hui. Peu à peu, le vocabulaire des fréquences sonores serait en train de remplacer le catalogue monosyllabique en vogue depuis quelques années, virage lexical logique pour une création contemporaine qui s’opère avant tout en huis clos, les yeux rivés sur les vumètres et le nez collé à la table de mixage. En déduire pour autant que la musique de Tranquility Bass serait aussi dépourvue de poésie et d’imagination que ce patronyme bassement sonique constituerait une grave erreur : c’est précisément parce que les trouvailles de Let the freak flag fly ont l’intelligence de s’avancer de manière anonyme, sous cette signature qui a le bon goût de ne rien révéler est-ce un groupe, un projet solitaire, un collectif de DJ’s ? , que le charme opère instantanément.
De basses, cette musique n’en manque pas : on aura même l’occasion d’assister à quelques habiles démonstrations d’occupation des fréquences graves. Mais c’est surtout dans ces inconcevables mélanges de sons tordus et d’influences enchevêtrées que réside l’incroyable spécificité de Let the freak flag fly. On plaint beaucoup le chroniqueur obsédé par les étiquettes, qui ne saura pas s’il doit ici parler de jazz fin de siècle, de funk détraqué, de folk psychédélique ou d’une musique électronique trop riche et bouillante pour se laisser enfermer dans le placard trip-hop. Précisément inclassable mais alors vraiment inclassable, comme on dit d’un plat qu’il est vraiment immangeable , le monde musical mis en scène par Tranquility Bass pourra dérouter les mélomanes certifiés comme il pourra enchanter un grand public pris par surprise. Sorte d’ovni discographique, sans descendance connue ni affinités revendiquées, cette collection de mélodies sang-mêlé et de rythmes composites devra se visiter sans préconceptions mal placées.
Puisqu’il faut absolument tenter d’y voir clair, tombons le masque : Tranquility Bass est l’œuvre claustrale et déglinguée d’un type de 29 ans, l’Américain Mike Kandel (barbu, hippie, amateur de substances hallucinogènes), cofondateur d’un label (l’obscur Exist Dance) et compositeur particulièrement avare de ses œuvres seulement deux titres sur des compilations en quatre ans. Depuis 1995, Kandel assemblait le plus surprenant puzzle musical depuis les premiers collages de Beck ou Luscious Jackson. Deux ans de travail : pas cher payé pour un disque qui ressemble à la bande-son de toute une vie, à une malle bourrée de souvenirs des photos de Talking Heads, un vieux Korg monophonique, quelques articles jaunis sur Pink Floyd ou Grateful Dead, une collection de disques Blue Note usés par le temps, l’intégrale de Bukowski. Du single fourre-tout The Bird au magistral We all want to be free bientôt remixé par les rois de l’underground U-ziq et Depthcharge , c’est une même impression de désordre rudement bien ordonné qui régente cet album à la richesse (mélodique, rythmique, technique) insolente. La petite histoire dit que Mike Kandel aurait quitté Los Angeles pour Chicago au lendemain du tremblement de terre de 94, trop secoué par le séisme pour imaginer un futur californien. Si c’est le prix à payer pour mettre de l’ordre dans ses idées, on veut bien se faire secouer pendant quelques secondes.
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