Quatre ans après le fantomatique
White Chalk, PJ Harvey revient
avec une fresque bouillonnante,
expressionniste et pop
autour du thème de la guerre. Rencontre.
C’est votre neuvième album. Avez-vous parfois peur de perdre votre créativité ?
Plus maintenant. Quand ça fait longtemps, comme moi, que l’on écrit, on apprend que ces peurs font partie du processus créatif. Malgré tout, j’ai encore peur, quand je commence à écrire, de ne pas parvenir à produire une oeuvre digne. J’écris tous les matins. Des poèmes, de la prose, des chansons : des mots. J’ai compris qu’écrire n’est pas naturel et que la seule chose à faire pour surmonter cette peur ou pour arriver à vivre avec elle, c’est de continuer à travailler. Je ne peux pas m’imaginer ne pas écrire ni enregistrer, même quand je serai très vieille. Je pense que je n’en aurai jamais fini avec ma curiosité pour le langage. Cela me semble être un territoire infini à explorer. J’ai la sensation d’avoir juste commencé.
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Aimeriez-vous écrire un roman ?
Je ne sais pas où les mots vont me mener. La clé pour moi, c’est de rester ouverte et à l’écoute de ce que je pense être la meilleure façon d’utiliser mes talents.
Qu’avez-vous appris avec les années ?
A l’époque où j’écrivais mes deux ou trois premiers albums, mon regard sur les événements était totalement différent. Je pense que j’essayais encore de comprendre. Aujourd’hui que j’ai atteint la quarantaine et que je me dirige même vers la cinquantaine, je suis intéressée par des choses très différentes. Je sais que s’il y a des pertes, il y a aussi des gains. Mais je ne me sens pas davantage apaisée. Je suis au contraire de plus en plus enragée par le monde qui m’entoure. En vieillissant, je pense qu’on analyse les choses avec plus d’acuité, qu’on parvient à une vue d’ensemble. Je regarde les autres pays, le monde, et je sens que j’en fais partie, que j’ai envie d’en faire partie. Je me sens plus frustrée, plus en colère. Mais paradoxalement, j’ai aussi davantage d’espoir que les choses s’améliorent. Je sais que ça dépend de chacun de nous. Il n’y a qu’à voir l’exemple récent de la révolution en Tunisie.
Vous écrivez chaque jour. Jouez-vous aussi de la musique quotidiennement ?
Je ne me considère pas particulièrement comme une musicienne : je suis un auteur. J’écris et j’aime dire mes mots à haute voix. Parfois, ça finit en chanson. J’utilise la musique comme un outil. Depuis vingt-cinq ans, ma relation à la musique a beaucoup évolué. J’ai commencé en étant vraiment une chanteuse, une songwriteuse. Progressivement, je me suis concentrée de plus en plus sur les mots, sur le fait qu’ils sonnent, fonctionnent ensemble. C’est devenu mon obsession. Alors je ne sais pas si je suis une poétesse… A mes débuts, la musique me venait en premier. J’écrivais la mélodie, la rythmique, ensuite les mots. Avec les années, cette dynamique s’est totalement inversée.
Captain Beefheart, qui vous a énormément influencée, est mort peu avant Noël. Etiez-vous proches ?
Il occupait une grande place dans ma vie. Cela m’a donné beaucoup de force d’écouter sa musique ou de regarder ses peintures quand j’ai eu le sentiment de me perdre, de ne plus savoir quelle direction artistique je devais suivre. J’ai toujours admiré et trouvé une grande inspiration dans la façon qu’il avait de tout dédier à son travail et de rechercher la pureté. Je n’ai jamais rencontré Don – ce n’était pas une personne facile à rencontrer (elle rit)… Mais j’ai parlé très souvent avec lui au téléphone. Il aimait avoir de très, très longues conversations.
Propos recueillis par Géraldine Sarratia
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