Quatre ans après le fantomatique
White Chalk, PJ Harvey revient
avec une fresque bouillonnante,
expressionniste et pop
autour du thème de la guerre. Rencontre.
Noël 2010 a failli être exceptionnel. On devait passer les vingt-quatre heures précédant les fêtes en compagnie de PJ Harvey, dans le Dorset. Au programme : falaises, éléments déchaînés, lits à baldaquin et découverte de son nouvel album. Mais l’Angleterre s’est retrouvée paralysée sous les tempêtes de neige. Reportée, la rencontre a eu lieu mi-janvier à Londres, dans un hôtel cossu autrefois fréquenté par les Rolling Stones.
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Vestige de ce passé flamboyant, un disque d’or dédicacé de Black and Blue trône dans le salon aux tentures rouges. Dans une pièce attenante, tasse de thé à la main, une PJ longiligne entièrement vêtue de noir reçoit avec une ponctualité toute anglaise. Souriante, plus ouverte que par le passé, la chanteuse semble heureuse de parler de son nouvel album Let England Shake, digne successeur de White Chalk.
Entre les deux, il y a eu A Woman a Man Walked by, un album (mineur) cosigné avec John Parish et qu’elle a défendu sans grande conviction – tant en interview que sur scène. Pour donner une suite à ce bloc de craie intimiste et fantomatique que reste White Chalk, formellement proche de la perfection, PJ Harvey a sorti le rouge sang. Let England Shake est un album sombre, bouillonnant, où l’on croise des tanks, des corps en lambeaux, des balles qui fusent.
Rageur, sans concession sur l’état actuel du monde mais aussi étonnamment pop, poétique, nerveux – et bluffant de bout en bout. “J’ai voulu parler de la guerre, du monde qui nous entoure”, explique-t-elle. A 42 ans, Polly Jean Harvey signe le disque le plus politique de sa carrière.
ENTRETIEN
Pour enregistrer cet album, vous dites avoir “regardé l’Angleterre”. Qu’avez-vous vu ? PJ Harvey – J’ai essayé de parler du monde dans lequel nous vivons plutôt que de me concentrer sur l’intériorité. Regarder des événements tangibles, réels. Mais je pense que ça revient toujours à rendre compte de la façon dont les être humains se comportent les uns avec les autres. Ça a toujours été le sujet de mes albums. Parce que tout ce que nous percevons part de là.
Quand avez-vous choisi le thème de la guerre ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’idée de conflit ?
Notre monde est criblé de guerres. Ce qui se passe autour de moi m’a toujours affectée, mais je pense que jusqu’à présent je ne parvenais pas, dans mon travail d’écrivain, à mettre en mots mes sentiments. Je m’en sens capable pour la première fois. J’avais aussi envie de donner à mon travail des résonances historiques, de ne pas me contenter du présent. L’album s’est construit à partir de recherches très concrètes. Je me suis beaucoup documentée, j’ai lu des livres d’histoire, des blogs de personnes qui vivent avec la guerre au jour le jour : des soldats, mais aussi des civils basés dans des zones de conflit. J’ai regardé énormément de documentaires, parlé à beaucoup de gens. J’ai essayé d’avoir une vue d’ensemble. Puis, je me suis mise au travail et j’ai commencé à traduire ça en mots.
Votre façon d’aborder la guerre reste très poétique, jamais littérale. On ne sait jamais en écoutant le disque si ce dont vous parlez se déroule pendant la Première Guerre mondiale, par exemple, ou en ce moment. Aviez-vous envie de cette intemporalité ?
Oui, c’était une idée fondamentale pour moi. Je voulais que les paroles et la musique conservent une ambiguïté et ne se réfèrent pas à une époque particulière. Je voulais que l’album parle de la condition humaine. La guerre a toujours existé et existera toujours.
Un titre tel que The Glorious Land est très politique. Il peut s’écouter comme une dénonciation de la politique étrangère britannique, de son implication dans les conflits en Irak ou en Afghanistan. C’est surprenant : vous n’avez jamais été une artiste engagée…
Tous mes disques sont politiques au sens premier du terme : ils parlent de comment nous entrons en relation les uns avec les autres. Celui-ci l’est plus ouvertement. Tout ce que je veux faire, c’est proposer différentes manières de voir les choses, différentes voix. Ma volonté ou mes opinions n’interviennent finalement que très peu là-dedans.
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