Une exposition confronte deux genres opposés de l’art contemporain : la peinture monochrome et la vidéo. Et parvient à concilier l’inconciliable.
S’il fallait dresser la cartographie de l’art contemporain, à coup sûr l’Espace de l’Art Concret ferait office de terre reculée, d’abbaye cistercienne ou d’îlot pacifique : non qu’il ne vienne personne dans le château de Mouans-Sartoux, situé à mi-chemin de Cannes et de Grasse, mais parce que, placés volontairement en retrait de tout vacarme, de toute précipitation, ignorant les modes et travaillant plutôt au rythme des saisons, les autochtones et leurs visiteurs forment une communauté apaisée et méditative. Et d’abord le patriarche, le peintre Gottfried Honegger, et sa compagne Sybil Albers-Barrier dont la collection nourrit en oeuvres cet Espace de l’Art Concret qu’elle aimerait bien voir transformé en musée. Autour d’eux, les enfants de la commune, accueillis de manière luxueuse dans un récent atelier pédagogique : juste histoire de miser sur le temps, de voir à long terme, d’habituer les populations futures à l’art contemporain un antidote à la montée croissante des détracteurs. Sans oublier André Aschiéri, le maire de Mouans-Sartoux, solidaire de l’entreprise, par ailleurs seul député Vert des Alpes-Maritimes, et qui parvient de surcroît à endiguer les aigreurs d’un FN plutôt virulent dans la région comme partout, mais plus qu’ailleurs. Mélange du public et du privé, expérience franco-suisse, rencontre inédite d’un peintre, d’une collectionneuse et de l’Etat, l’Espace de l’Art Concret, on vous le disait, est une utopie.
Evidemment, c’est un peu comme au paradis : la douceur de vivre, ça a parfois des côtés énervants. On peut d’ailleurs être agacé par la conception de l’art défendue dans ce lieu : en refusant à tout prix la provocation, en estompant les fractures, l’Espace de l’Art Concret opte pour un contact en douceur et essentiellement formel avec l’art, esquisse une pédagogie bienveillante, favorise une approche sensitive, oriente notre attention vers des jeux de lumières, explore en particulier dans le genre du monochrome la rencontre de la matière et de la couleur. C’est donc sans doute pour se commotionner eux-mêmes que les animateurs du lieu ont eu l’idée audacieuse de confronter la contemplation de la peinture monochrome à un art aussi remuant, branché et dégoûtant que la vidéo. L’effet est assez étonnant : la spiritualité de la matière, très présente chez Gary Hill ou Bill Viola, inscrit paradoxalement ces vidéastes dans le prolongement presque naturel de Klein, Aurélie Nemours ou Honegger. A l’inverse, Adrian Schiess compose des vidéos monochromes et nous fait regretter au passage l’absence dans cette expo de Derek Jarman et de son long film en monochrome bleu, réalisé en hommage à Yves Klein. Ailleurs, la Bataille dans laquelle Absalon se débat en boucle contre des ennemis invisibles, vidéo épuisante et magnifique, résiste absolument contre la douceur des formes environnantes et installe enfin une inquiétude.
Mais le miracle est atteint avec une salle où une vidéo de 1968 de Bruce Nauman, Walk with Contrapposto, côtoie des monochromes d’Yves Klein et Imi Knoebel. A l’encontre d’une lecture habituelle qui fait de l’Américain un grand énervé, un artiste du chaos moderne, le contexte particulier de cette exposition révèle un Bruce Nauman beaucoup plus zen, attentif à la souplesse du corps, influencé par la danse contemporaine et par Merce Cunningham.
Evidemment, l’irritation est un leurre : sous couvert de nous énerver, il s’agissait plutôt de réunir deux voies artistiques que, stupidement, on croyait imperméables l’une à l’autre. Une utopie sans idéologie et où règne la douceur : derrière ses aspects de château médiéval, l’espace de Mouans se révèle plutôt new-age.
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