A l’heure où les libraires et les disquaires indépendants redoutent le pire avec le reconfinement, Les Inrockuptibles donnent la parole aux artistes. Musicien·nes, cinéastes, écrivain·es… Elles et ils témoignent du lien personnel entretenu avec une librairie ou un disquaire, et racontent comment ces rencontres leur ont permis de découvrir une œuvre particulière. Aujourd’hui, le chanteur Mathieu Lescop se rappelle du tout premier album acheté chez un disquaire. #Rendeznousnoslibrairies #Supportyourlocaldealer.
“Printemps 1988, je ne me souviens plus du jour exactement, mais j’ai bientôt dix ans. J’ai reçu une solide éducation marxiste, et à l’instar de Trotski qui refusait de donner des pourboires aux serveurs américains pendant son exil new-yorkais, parce qu’il trouvait cette pratique humiliante pour la classe ouvrière, mes parents ne pratiquaient pas une politique d’abondance en matière d’argent de poche. Mais, bref, passons, en économisant un peu je pouvais m’acheter un disque ! Et c’est comme ça que j’ai acheté mon premier disque : Devil Inside d’INXS. Pour moi, ce disque-là, comme bien d’autres, c’était un éveil, c’était le début de la curiosité, une curiosité qui m’amènera plus tard vers le cinéma, le théâtre, les romans, les poèmes…
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“Every single one of us the devil inside”, nous avertissait Michael Hutchence, refrain qui avait le mérite de pouvoir à la fois être pris comme une invitation à la débauche, ou bien comme une ode à l’humilité. J’ai choisi la deuxième interprétation : nous sommes tous des êtres imparfaits, sans doute foncièrement un peu cons, mais grâce à la culture, grâce aux chansons, grâce aux livres on devient plus curieux, plus empathiques. Faut-il vraiment nous priver de l’accès à tout ça en nous refusant l’accès à l’achat de disques et de livres ? En temps de crise, on peut se rapprocher au-delà de nos convictions personnelles, faire des efforts, voire des sacrifices, savoir oublier le temps d’un instant notre bonheur immédiat au bénéfice de l’intérêt commun. C’est même précisément ça qui fait de nous une démocratie, un peuple.
Mais pour comprendre ça, pour que d’autres gamins puissent avoir aussi leur premier émoi, celui qui fera d’eux de meilleures personnes, la culture, la musique et les livres sont fondamentaux, parce que l’accès à la culture c’est, de manière évidente, ce qui fait de nous un peuple libre ! Libre de savoir, libre de comprendre, libre d’agir, libre d’être ensemble, même séparés, même confinés ! Alors non par pitié pas ça ! Pas cette restriction là, elle est moche et obscène !
Pour que demain encore d’autres petits garçons et petites filles puissent à leur tour connaître leur Devil Inside à eux, rendez-nous l’accès aux disques et aux livres.”
“Words as weapons
Sharper than knives
Makes you wonder how the other half die…”
Michael Hutchence (Devil Inside)
Retrouvez ici la carte des disquaires indépendants, et ici celle des librairies proposant le service “click & collect”.
Propos recueillis par Franck Vergeade
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