PNL, Desiigner, ASAP Rocky… Dans le rap, de plus en plus d’artistes ont recours à ces productions de beatmakers amateurs qui copient les recettes des producteurs les plus talentueux.
Si vous tapez le nom des derniers rappeurs du moment – Future, Young Thug, Drake, etc. – dans la barre de recherche de Youtube, il y a de fortes chances pour que le site affiche “type beat” dans les suggestions. Vous pourrez alors écouter des prods composées par des internautes lambda, et y reconnaître des mélodies terriblement similaires à celles de Zaytoven, Mike Will ou encore du Metro Boomin : les grands noms de la production actuelle, responsables de la plupart des tubes de ces dernières années.
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Imiter pour mieux régner
Les type beats, littéralement “beats à la manière de”, sont en plein essor. Avec le développement d’Internet, et des logiciels de beatmaking comme FL Studio ou Logic Pro, les producteurs amateurs se sont multipliés et ont inondé Soundcloud, Youtube ou SoundClick de leurs compositions. Un moyen de répondre à une demande croissante et de capter l’attention en rajoutant des mots-clés tape à l’œil comme “Gucci Mane” ou “Meek Mill”.
“Maintenant y a des tutos partout, on t’apprend à refaire les beats de Zaytoven. En trois clics tu peux télécharger un logiciel pour composer tes instrus”, nous explique le producteur Bone Collector, qui a notamment travaillé pour Booba ou Damso.
Avec le temps, la différence de qualité entre professionnels et amateurs est même devenue difficile à remarquer. Les type beats ne sont plus cantonnés aux petits rappeurs indés, et ont envahi l’industrie. “Je suis tombé sur des DJ Mustard type beats meilleurs que les vrais sons de Mustard !”, assure Bone Collector.
“Certains sont devenus de vrais producteurs. Ils composent en cinq minutes sur FL Studio, mais ça suffit largement. La seule différence entre eux et Metro Boomin, c’est le marketing”, surenchérit le producteur français Shkyd, auteur d’un billet sur les type beats publié sur Medium.
Le beat de Panda, le tube de Desiigner, avait ainsi été posté sur Youtube par son auteur, un Anglais de 22 ans, sous le titre Meek Mill—Ace Hood Type Beat. Le rappeur de Brooklyn, maintenant signé sur le label de Kanye West, l’avait tout simplement acheté pour 200 dollars. 260 millions de vues plus tard, la rentabilité du geste ferait presque flipper.
D’autres gros noms comme A$AP Rocky ou Fetty Wap ont recours aux type beats. En France, l’exemple de PNL est le plus parlant. Le premier énorme tube du duo des Tarterêts, Le monde ou rien, avait été uploadé sur Youtube par son producteur MKSB sous le titre The Weeknd/Bryson Tiller Type Beat. Le titre a depuis été mis à jour pour préciser que le beat a trouvé preneur.
Reste à comprendre ce qui pousse les artistes à récupérer des imitations de grands producteurs, plutôt que chercher à définir leur propre patte.
“Les type beats répondent à une demande du public, qui a pris le pouvoir et veut entendre certains types de sons”, avance Shkyd.
Certains rappeurs vont même jusqu’à chercher l’inspiration en écoutant des type beats eux-mêmes inspirés de leur propre travail. C’est par exemple le cas du New-Yorkais Joey Badass qui a trouvé le beat de son single Christ Conscious en tapant “Joey Badass type beat” dans Youtube. Une mise en abyme qui frôlerait presque l’absurde si elle n’accouchait pas sur des morceaux aussi dingues.
A cela, il faut évidemment rajouter l’intérêt économique, puisque ces productions, souvent faites à la va-vite, coûtent beaucoup moins cher que des “vraies” prods de compositeurs certifiés.
“Les prix dépendent des contrats. Mes ‘lease’ coûtent 50$. Dans ce cas je prête l’instru au rappeur, ce n’est pas une exclusivité, je peux la refiler à d’autres artistes. Normalement c’est pour des projets gratuits comme des mixtapes. Pour les exclusivités, c’est entre 500 et 1000 dollars puis 50/50 sur les revenus. Tout dépend de la qualité sonore du fichier, s’il veut un MP3, un WAV, ou que je lui envoie l’instru piste par piste“, détaille Bone Collector, qui utilise les type beats pour assurer sa promotion en ligne.
“Je ne mets pas tout mon cœur quand je fais des type beats, c’est surtout un moyen d’attirer les artistes sur mon site”, ajoute-t-il, pragmatique.
« C’est comme les frites au Mcdo, c’est pas très cher, et tu sais ce que tu vas manger »
Aujourd’hui, plus besoin de rencontrer le producteur en studio, c’est maintenant le beat qui vient directement à vous, via une connexion internet. Un système que Shkyd préfère résumer par une métaphore culinaire. “C’est comme les frites au Mcdo, ça va plus vite, c’est pas très cher, et tu sais ce que tu vas manger.” Et ce, même si ce n’est pas toujours très bon…
La qualité n’est pas toujours au rendez-vous, et certains craignent un appauvrissement du niveau général des instrumentaux, qui serait tiré vers le bas par ces reproductions multipliées à l’infini. “C’est triste , pour moi c’est une solution de facilité”, indique le rappeur lyonnais Jorrdee. “Un rappeur doit avoir son originalité”, poursuit-il, en reconnaissant cependant un certain talent aux plus pros des imitateurs:
“Les faussaires ont leur valeur aussi. C’est un art de bien savoir copier”.
A ses débuts, Jorrdee a pourtant lui aussi posé sur des type beats, volés sur le net. “Des trucs inspirés de Soulja Boy. Mais c’était surtout pour m’amuser et le mettre sur Soundcloud, ou pour faire une maquette d’un morceau”, précise-t-il. Maintenant il préfère développer son propre style, et ce même si les efforts ne sont pas toujours payants.
“Parfois j’écoute des rappeurs indés, et y en a cinq qui utilisent la même instru, c’est pas marrant”, regrette-t-il.
Plutôt qu’une uniformisation, Shkyd y voit pour sa part l’occasion pour les MCs de se détacher du lot, par leur talent au micro. “Si tout le monde a les mêmes beats, les artistes doivent se démarquer. Les beats de PNL ne sont pas extraordinaires par exemple, c’est leur interprétation qui est remarquable”, plaide-t-il. Bone Collector défend lui aussi cette pratique:
“Si on me commande un son pour Wiz Khalifa, je vais écouter ses albums d’avant, demander quel type d’influence il veut… Au final c’est une forme de type beats!”.
De l’art de reproduire
De quoi alors s’interroger, de manière plus générale, sur le rôle de la reproduction dans l’art. “Dans le rap on a théorisé ce concept de type beats, mais dans la folk ou la country on reprend les mêmes mélodies depuis des décennies”, pointe Shkyd avec justesse.
Au niveau du rap, les origines du phénomène sont largement antérieures à l’ère d’internet et de Fruity Loops. Il suffit par exemple de penser aux ersatz des prods de Dr. Dre qui pullulaient au début des années 2000, quand sa recette grosse basse/synthé/piano était reprise par tout le monde, amateurs ou professionnels.
En 2017, Future, Young Thug ou Zaytoven doivent certainement apprécier le compliment que représentent tous les type beats associés à leurs noms. L’imitation est la plus sincère des flatteries, disait Colton.
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