Jean-Pierre Couteron est président de la Fédération Addiction et psychologue clinicien dans un centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie. Après la mort par overdose de Mac Miller, nous republions cette interview réalisée il y a un an dans notre dossier sur la codéine et le rap
Qu’est-ce que la codéine et quels sont ses dangers ?
Jean-Pierre Couteron – C’est une molécule de la famille des opiacés que l’on trouve dans beaucoup de médicaments et qui agit contre la douleur. La codéine a été d’un accès si facile qu’on en a peut-être oublié que c’est un opiacé. Il y a trois dangers : l’overdose, l’intoxication des organes, et surtout, celui qui est propre à cette molécule, la dépendance.
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Quel est le profil des consommateurs ?
Il est difficile à définir. Il y a d’abord des personnes qui en ont pris pour se soulager de souffrances et se sont accrochées au produit. D’autre part, il y a des personnes qui ont appris à utiliser ce produit pour ses effets secondaires. S’il a un effet sur la douleur, cela signifie qu’il joue sur un certain nombre de centres du cerveau. Il peut rendre euphorique, provoquer une déconnexion douce. Ceux qui recherchent ce type d’effet, en tout cas ceux que je rencontre, sont des jeunes de 16 à 25 ans, lycéens ou étudiants. Ils ont une consommation festive et n’en prennent que de temps en temps. Les patients que je reçois sont des enfants de cadres, ils ne souffrent pas d’exclusion sociale.
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Peut-on parler de la codéine comme de la “drogue des ados” ?
C’est excessif. Si ce comportement s’est répandu, il est loin d’être majoritaire. Dans le groupe que je vois, ce n’est pas le produit qu’ils prennent en premier. On reste sur le triptyque tabac-alcool-cannabis, et on ne sait pas si le phénomène va s’installer. L’usage est plutôt comparable à la prise de MDMA, pas régulière mais plutôt en soirée.
La culture du rap joue-t-elle dans leur consommation ?
Il n’y a jamais de lien mécanique entre une musique et la consommation d’une substance. On m’a tellement engueulé quand j’étais jeune par rapport au rock que je ne veux pas me piéger et faire la même chose avec cette génération. De plus, cela participe plutôt de leur culture de la fête que d’une attitude revendicatrice. Mais cela a été introduit et diffusé par le rap et tous le savent. Pour qu’un produit soit diffusé, il faut qu’il soit popularisé. Incontestablement, de grands rockeurs ont diffusé des modèles de consommation, comme d’autres ont diffusé des modèles de consommation de l’alcool ou encore de l’ecstasy pour la musique techno. Le crack a été diffusé à partir d’une sous-culture dans les villes américaines et dans les ghettos américains. Une épidémie d’addictions ne se développe pas comme une épidémie virale. C’est une évidence que l’on a tendance à oublier, d’où les propos du genre “ce sont ces salauds de rappeurs”. Or il faut rappeler que les addictions partent de nos modes de vie. Il y a une nouvelle façon de faire de la musique, d’écouter, de ressentir et, du coup, de nouvelles façons de consommer.
Quand avez-vous constaté que la consommation de codéine se répandait ?
On l’a signalé en 2014 puis on a eu l’impression que ça avait un peu disparu. Depuis environ un an, les jeunes que je vois parlent de leur prise du sirop, en plus de l’alcool, du tabac et du cannabis.
Comment obtenaient-ils ces produits ?
En pharmacie ou dans celle de la famille… Quand on regarde la liste des médicaments interdits cet été, on constate qu’il n’était pas difficile d’en trouver. Ce sont des produits que beaucoup d’entre nous avaient l’habitude d’avoir quasiment en libre-service.
Cela peut-il être un tremplin vers d’autres drogues plus dures ?
La notion de tremplin dans les addictions n’existe pas. Le vrai piège était que les consommateurs risquaient de devenir dépendants sans y faire attention. Après, le fait qu’une expérience en appelle une autre est un risque mais c’est un risque plus social. Il n’y pas de théorie de l’escalade avec ce produit.
L’interdiction est-elle une réponse appropriée ? Ce durcissement va-t-il dans le bon sens ?
Il serait dommage que l’on ne fasse qu’interdire sans accompagner cette mesure d’actions de réduction des risques. Mais je crains que ce ne soit le cas. C’est un défaut récurrent, on a fait la même chose avec le tabac en l’interdisant dans les lycées sans oser être plus offensif en proposant des substituts aux jeunes fumeurs. Je comprends tout à fait qu’on ait eu besoin de resserrer le cadre, mais si cela avait été possible, j’aurais préféré que l’interdiction de ventes sans ordonnance soit cantonnée aux mineurs.
Cette situation n’est-elle pas symptomatique de la façon dont les addictions sont traitées en France ?
Effectivement, et on a de très mauvais résultats au niveau des addictions. On se contente de deux actions certes indispensables – soigner les malades et punir les délinquants – mais on n’engage pas la troisième : réduire les risques et accompagner les personnes. Les jeunes que je vois font tout pour ne pas être malades et ne pas se faire prendre. Je les considère d’avantage comme des jeunes qui ont envie de s’amuser. Il faut aller les rencontrer sur le terrain où ils sont et non là où on voudrait qu’ils soient, ce qui est le gros défaut de la politique française. L’action éducative et l’action préventive commencent là où est la personne. On va multiplier les campagnes pour dire les risques. Mais si vous ne donnez pas en plus les moyens aux personnes pour faire autrement, vous les laissez un peu seuls avec leurs problèmes.
Propos recueillis par Anaïs Robert
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