Arrangeur surdoué (Arcade Fire, Mika…), le Canadien et ex-Final Fantasy Owen Pallett se révèle mélodiste divin sur un vertigineux album de pop orchestrale. Rencontre avec un démiurge modeste et écoute intégrale.
Ce qui devait être le troisième album très attendu de Final Fantasy sera finalement le premier d’Owen Pallett. Autrefois planqué derrière ce nom de groupe trompeur alors qu’il était seul à la barre, il a dû céder face aux menaces de procès des fabricants du célèbre jeu vidéo. On pourra donc le tenir pour responsable unique, et multirécidiviste, des mélodies enchantées qui plongent dans un drôle d’état quiconque leur tendrait l’oreille – de délicieuses heures de rêve éveillé sur un arc-en-ciel rayonnant qui aveugle les cauchemars.
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A des années-lumière de toute notion de réalité, la musique d’Owen Pallett n’a jamais pu s’acclimater aux lois figées de la pop orchestrale. En l’espace de seulement deux disques et une poignée de maxis, le Canadien s’est imposé comme l’enfant terrible qui ose les extravagances les plus inouïes. Pas par instinct de provocation ni par goût du risque.
Ses compositions sont simplement trop illuminées pour ce bas monde, trop majestueuses pour être contenues dans des règles archaïques. Leur place est ailleurs, là où le merveilleux a triomphé du réel. Ce n’est pas pour rien qu’il a choisi de jouer sous le nom de Final Fantasy, en hommage aux jeux de rôle luxuriants et épiques qui inspiraient ses propres chansons. On se souvient aussi des références à Donjons et Dragons, à La Légende de Zelda et au Monde de Narnia, semées à tout vent sur son disque précédent, He Poos Clouds (2006).
Ce nouvel album promettait donc une nouvelle odyssée vers l’inconnu. A première vue, Heartland a pourtant de quoi effrayer. Sortons tout de suite les mots qui fâchent : il s’agit d’un album conceptuel. Il était une fois un jeune fermier bagarreur, Lewis, qui habitait sur les terres fantasmagoriques de Spectrum. Le créateur et dieu suprême de Spectrum s’appelle Owen. Aïe…
Pendant l’interview, Owen Pallett évoque celui- ci très sérieusement, parlant de luimême à la troisième personne. La perplexité s’évapore dès qu’il explique ses intentions. “J’ai voulu expérimenter certaines théories de Roland Barthes : analyser le langage de l’être aimé, Lewis, comme dans Fragments d’un discours amoureux, faire mourir le narrateur omniscient à la fin comme dans La Mort de l’auteur. Spectrum et le dieu Owen ne sont que des prétextes pour simplifier le processus.” On aurait adoré l’écouter décrire le destrier Imelda, le terrifiant ennemi No-Face, la forteresse d’Alpentine, la forêt de Belvedere ou les prairies verdoyantes d’Avenroe. Il faudra se contenter, un peu frustré, de vagues explications et accepter d’entendre que “chacun doit imaginer ce monde à sa façon” ou que “tous ces lieux ont des modèles réels, mais je ne peux pas en dire plus”.
[attachment id=298]Cet ancien étudiant en opéra contemporain à la fac de Toronto est beaucoup plus loquace lorsqu’il s’agit de disséquer ses méthodes d’écriture. “Travailler avec des lignes directrices prédéfinies rend la création beaucoup plus simple. Après, il suffit juste de vérifier que tous les éléments de la liste sont cochés.” Ça semblerait presque à la portée du premier venu. Pourtant, fabriquer des pièces montées à la fois légères et denses requiert un certain génie. Avec ses arrangements frappadingues, les cordes de l’Orchestre philharmonique tchèque, ses millefeuilles de mélodies aux influences éparses, Heartland aurait pu être un fourre-tout boursouflé, envahi de broussailles entremêlées.
Et là, Owen Pallett réussit l’inconcevable : contenir toute la démesure des structures de musique classique en une seule pop-song de trois minutes à la fluidité stupéfiante. En parallèle de cette carrière de songwriter déjà très honorable, Pallett a un épais CV d’arrangeur d’orchestrations. Il a été en charge des arrangements de cordes d’une jolie brochette de disques, des deux Arcade Fire au dernier Mika, des Last Shadow Puppets aux Pet Shop Boys, de Grizzly Bear aux Mountain Goats. Tout le monde s’arrache ses doigts de fée.
On a aussi pu aussi entendre le souffle lyrique de son violon chez Beirut ou Arcade Fire, ses amis de longue date. L’un de ses derniers exploits a d’ailleurs été écrit en collaboration avec Win Butler et Régine Chassagne : les trois Canadiens ont signé la bande originale du dernier thriller oppressant de Richard Kelly, The Box. Il dit apprécier ces devoirs en groupe qui donnent un équilibre à ses compositions en solitaire. Mais sur ses oeuvres solo, même seul sur scène, Owen Pallett sait transformer une simple chanson en une symphonie, un peu à la façon du Magicien d’Oz qui, dissimulé derrière ses manettes, déploie les merveilles les plus prodigieuses.
Album : Heartland (Domino/Pias)
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