Julian Casablancas a enregistré à part les voix du nouvel album des Strokes. Vieilles rancoeurs, absence de communication : Angles, qui sort aujourd’hui, pourrait bien être le dernier disque du groupe. Qui dit pourtant le contraire.
Ca ne sent pas encore tout à fait le sapin pour les Strokes. L’un des groupes rock mythiques de ces dix dernières années, celui par lequel tout est revenu, est encore en vie. Et publie même la semaine prochaine son quatrième album, Angles, suite d’un First Impressions of Earth vieux de près de cinq ans et venant après l’éclatement du groupe dans de multiples projets solo. Non, ça ne sent pas le sapin. Mais ça sent le savon, celui dont on enduit les planches dangereusement inclinées vers le néant.
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Car si le groupe respire encore, il semble inexorablement glisser vers son trépas : les nouvelles, depuis des mois, ne sont pas bonnes. Dans le schéma classique sortie-promointerview, on court derrière les Américains depuis des semaines. De ce que l’on sait, leur séquence de promo est un cauchemar pour attaché de presse, somme d’indices assez probants sur l’état de délabrement d’un collectif d’amis devenu panier de crabes : impossible ou presque de les mettre ensemble dans une pièce, unique session photo qui ne satisfait aucun des ego, rendez-vous individuels auxquels les boys ne daignent pas se pointer. Leur leader Julian Casablancas joue même au boudeur, se livrant à des déclarations contradictoires dans la presse.
Ça n’a pas été plus simple de les faire parler : autant essayer de convier Benoît XVI à un strip poker. Une rencontre est prévue, puis annulée, puis à nouveau planifiée, puis repoussée. Après quelques nouvelles acrobaties, l’interview se fait finalement au téléphone, avec le bassiste Nikolai Fraiture. Le garçon n’est sans doute pas le plus loquace du groupe et traîne derrière lui une légère réputation de langue de bois – qui sent le sapin. On fera avec. La discussion est étrange. S’il se détend au fur et à mesure et, las des relances, finit par dévier un peu du discours préfabriqué du vendeur de voitures d’occasion, Fraiture semble d’abord dérouler ses réponses comme on lit un prompteur. Le débit est lent. Il a l’air triste, presque désespéré. Les réponses sont courtes, voire lapidaires. Mais c’est dans les non-dits, les longs silences, les formules discrètes mais signifiantes (il parle plus souvent de “la plupart d’entre nous” que du groupe) que tout se déroule. Et ce que l’on subodore depuis des mois se confirme : les Strokes ont vécu l’enfer. Et c’est peut-être un peu plus d’enfer qu’ils entrevoient au bout du tunnel.
Les premiers signes du désamour frisant la haine dans laquelle les Strokes se sont enfoncés étaient venus d’une interview de Julian Casablancas, à Los Angeles fin 2009, pour la sortie de son disque solo Phrazes for the Young. Paradoxalement, le garçon était presque plus bavard quand il s’agissait de cracher un venin amer sur ses compagnons que sur son propre album. Il annonçait que le groupe se remettait à l’écriture mais, déjà, sous-entendait les montagnes à venir. “Cet album solo, expliquait-il alors, je l’ai fait par défaut, après que les autres membres du groupe ont décidé de le faire de leur côté. J’étais parfaitement satisfait avec les Strokes, mais les Strokes, eux, n’étaient pas satisfaits de moi. J’avais l’impression de tout faire pour les tirer vers le haut, pour faire en sorte qu’on ait de la gueule, j’avais l’impression de me ramasser toute la merde. Et d’un coup, ils partent tous faire des disques sans moi.”
Expliquer aux médias ce qu’il n’est plus capable de dire à ses camarades, une spécialité de Casablancas, qu’il n’a d’ailleurs pas abandonnée. “La communication au sein du groupe s’est écroulée, détaille aujourd’hui Fraiture. Et une chose complique tout : quand Julian a quelque chose à nous dire, il le dit dans la presse plutôt qu’à nous. C’est du téléphone arabe. Ce qu’il pense nous revient aux oreilles déformé, ça crée un ressentiment dont on pourrait se passer.”
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