Initié par François Raffinot en 1997 dans le cadre des programmes de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) en Avignon, Vif du Sujet permettait d’abord d’inviter un danseur à choisir un chorégraphe, celui-ci devant lui écrire un solo. Depuis que Karine Saporta l’a repris en main, elle provoque rencontres, retrouvailles et met l’accent sur l’éphémère de chaque aventure. Rencontres avec Grand Magasin, Bernardo Montet et François Raffinot.
Grand Magasin/Christophe Salengro : Au coeur du paradoxe
Avant d’intégrer la compagnie de Philippe Decouflé, Christophe Salengro fut l’interprète des duettistes Pascale Murtin et François Hiffler, bricoleurs d’un théâtre à nul autre pareil. Pas d’histoires ni de personnages, si peu de dialogues, mais du mouvement, des manipulations, des problèmes à résoudre, des expériences à tenter, des décisions à prendre, des actions à exécuter…
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Pascale Murtin et François Hiffler (Grand Magasin) : Plutôt rigolo, ces retrouvailles. Mais nous sommes en totale contradiction avec ce qui définit Grand Magasin. D’abord, nous demander une chorégraphie, de chercher des mouvements, alors que nous ne nous intéressons pas spécialement à la danse.. Ensuite, on déteste les solos et on l’a toujours dit ! Enfin, on fait des choses qu’on n’exécutera pas nous-mêmes. Alors, nous avons choisi un poème de François Villon qui résume bien la situation : « Je meurs de soif auprès de la fontaine ». Ecrit à l’occasion du Concours de Blois où l’art du paradoxe était porté à son comble et le premier vers imposé, il est construit sur l’antagonisme et la contradiction : être au monde sans jamais pouvoir le goûter. Avec un penchant, dans la forme du spectacle, pour les fatrasies (de fatras, XIIIè siècle, poème du Moyen-Age, d’un caractère incohérent ou absurde, formé de dictons, proverbes, etc., mis bout à bout, et contenant des allusions satiriques, Petit Robert). Des mots tirés au hasard constituent les titres de morceaux ayant pour thème une contradiction. Ce qui nous permet de contourner l’idée de composition qui nous ennuie beaucoup, cette volonté de démonstration qu’on trouve dans tant manifestations spectaculaires. On ne voulait pas se saisir de cette chose-là. Nous n’avons retenu que les cinq premiers vers du poème, qui se termine par « Nu comme un ver et vêtu comme un président ». Ce solo est un portrait emblématique de Christophe Salengro.
Bernardo Montet/Wilfried Romoli : le solo ou l’écueil du soi
Installé au Quartz de Brest comme artiste résident, Bernardo Montet est sur tous les fronts. On vient de le voir au festival Montpellier-Danse où il présentait Dissection d’un homme armé et participait au projet Potlatch, dérives, initié par Mathilde Monnier. Au cinéma, on peut le voir dans Beau Travail de Claire Denis. Pour Le Vif du Sujet, il chorégraphie le solo de Wilfried Romoli, Premier Danseur de l’Opéra National de Paris.
Bernardo Montet : C’est Karine Saporta qui a pensé à nous réunir. J’avais tellement de projets quand Brigitte Lefèvre (directrice de la Danse à l’Opéra) m’a téléphoné pour m’en parler que j’ai voulu refuser. Mais j’ai rencontré Wilfried Romoli et j’ai eu envie de travailler avec cet homme-là. Il a 37 ans, donc une fin de carrière à l’Opéra, il n’est pas devenu Etoile et tout son parcours est bizarre. Il m’a touché et on est parti sur l’idée d’un archaïsme culturel, très présent à l’Opéra. Pour la première fois, j’enseigne les mouvements, je chorégraphie tout de A à Z. Lui me dit qu’il n’est pas inventif et je l’ai fait improviser pour la première fois de sa vie. Ce qu’il y a d’étonnant avec les danseurs de l’Opéra, c’est cette hyperdisponibilité, cette facilité d’imitation. Tout le travail consiste à mettre du fond dans la forme. Avec le solo, on se confronte à l’écueil du soi, notamment à travers la figure de l’androgynie. On touche là encore à une chose très archaïque : comment ça se vit, la masculinité. On ne naît pas homme, on le devient. Après, ça dérive…
François Raffinot/Lisette Malidor : Retour à l’envoyeur
François Raffinot lança Le Vif du Sujet en 1997. Karine Saporta lui a proposé d’écrire un solo pour Lisette Malidor, actrice martiniquaise repérée au cinéma sous la direction de Joseph Losey (La Truite), au théâtre avec Marcel Maréchal et vedette des revues parisiennes (Casino de Paris avec Roland Petit, Moulin-Rouge et Folies Bergères).
François Raffinot : Lisette était contente qu’on lui propose ce solo et, en même temps, ça lui faisait bizarre de se remettre à la danse. Je pense que Karine Saporta a pensé à moi en voyant le spectacle que j’avais présenté à Avignon l’an dernier, axé sur Salman Rushdie et la parole. Cette théâtralité des paroles constitue notre point de départ, avec le poème de Pablo Neruda : Rituel de mes jambes. Dans le corps de Lisette, les jambes sont… fondamentales ! On a commencé à travailler l’ambivalence masculin-féminin et je me suis souvenu du travail d’une plasticienne, Muriel Toutlemonde. Elle a fait un film sur l’entraînement des chevaux sur tapis roulant où l’on voit les jambes d’un cheval dans un galop immobile. Sur ce canevas de théâtre, qui s’élimine peu à peu du solo et aura peut-être disparu au terme des répétitions, on s’est concentré sur la course d’une femme. Après, les idées se croisent : même si Lisette n’est pas familière des rituels vaudous, on pense aux danseurs en transe qui sont chevauchés par les esprits. Jusqu’à la création musicale de Roland Auzet qui amplifie le trot martelé de la bande-son du film.
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