[Archive] Au rayon politique, John Lennon reste celui qui aura le plus souvent (et violemment) agité le cocotier des consciences occidentales, quitte à avoir recours à des méthodes publicitaires. À l’occasion de la diffusion du documentaire d’Arte sur le premier grand concert du chanteur après l’éclatement des Beatles, dans le cadre de la programmation « Summer of Peace », nous republions cette archive sur l’engagement du chanteur.
Si l’on s’en tient aux déclarations et aux coups de force médiatiques, et surtout à leur portée planétaire, il ne souffre aucune contestation que Lennon fut un bien plus habile manipulateur que McCartney, jusqu’à se réincarner après le 8 décembre 1980 en icône messianique pour tous les orphelins déboussolés du baby-boom qui, après Trotski, Mao ou Che Guevara, aiment à se vêtir de T-shirts arborant le visage de ces prophètes contemporains. Pourtant, l’action politique de Lennon fut brève et peu fertile en idées révolutionnaires. Elle se concentre essentiellement entre les années 1968 et 1972, dans la dynamique de sa rencontre avec Yoko Ono qui en fut le détonateur, la sangsue nippone trouvant un double intérêt à entraîner sa proie sur le terrain de l’agit-prop: distendre les liens entre Lennon et les Beatles, donner un coup de projecteur sur son propre travail d’artiste d’avant- garde en mêlant performances et propagande. On voudrait se moquer en disant que John et Yoko ont fait de la politique comme des glands qu’on ne serait pas loin de la vérité.
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La première de leurs actions communes fut en effet, en 1968, d’aller planter deux glands devant la cathédrale de Coventry, l’un dirigé vers l’est, l’autre vers l’ouest, symbolisant à la fois l’Orient et l’Occident ainsi que les deux blocs de la guerre froide. Mais pourquoi des glands? Parce que c’est la nourriture qu’on donne aux cochons? Allez savoir. Après ce premier round foireux, le suivant fut autrement plus porteur et l’année 69 celle de tous les combats. D’abord avec le bed-in de l’hôtel Hilton d’Amsterdam, puis celui de Montréal, où le couple resta couché plusieurs jours d’affilée en protestation contre la guerre du Vietnam et, plus vaguement, en faveur de la paix dans le monde.
Insupportable de narcissisme et d’autopromotion acrimonieuse (humiliation des journalistes venus les interviewer, moulinage de poncifs sur le bien et le mal), cette opération fut surtout pour Lennon l’occasion d’expier une faute remontant à cette fameuse interview de 1966 où, sortie de son contexte, la phrase “nous sommes plus célèbres que Jésus” avait commis d’importants dégâts, notamment aux USA. L’obsession christique parasite alors totalement le message de Lennon, qui ne se prend pas qu’à moitié pour Jésus (voir le déguisement qu’il adopte alors, notamment sur sa pochette d’Abbey Road), et ses déclarations lors du bed-in font désormais sourire:
“Tout ce que je dis, c’est paix. Nous ne montrons personne du doigt. Il y a les bons et les méchants. C’est dans les esprits que le combat se déroule. Il nous faut enterrer nos propres monstres et cesser de condamner les autres. Nous sommes tous des Christ et nous sommes tous des Hitler. Nous essayons d’actualiser le message du Christ. Nous voulons que le Christ l’emporte”.
Et la chanson Give Peace a Chance de prendre le relais à grand renfort de déclamation extatique. Plus intéressante est la démarche entreprise en novembre 1969, lorsque Lennon renvoie à Buckingham Palace la MBE (Member of the Order of the British Empire) que la Reine avait remis aux Beatles en 1965. Dans la lettre à Sa Majesté, il proteste contre “l’implication de la Grande-Bretagne dans l’affaire Nigeria-Biafra, son soutien à l’Amérique au Vietnam et contre le fait que Cold Turkey dégringole dans les charts”.
Puis, à Noël, le tintamarre recommence avec la floraison opportuniste sur les murs de onze villes du monde d’une affiche reprenant le titre du futur single, War Is Over! (If You Want It) – “la guerre est finie, si vous le voulez”. Lennon, depuis toujours, ne fonctionne qu’à partir de slogans, de formules, et l’articulation de son propos politique est essentiellement publicitaire. La chanson Come Together fut d’ailleurs écrite pour servir de slogan à la campagne avortée pour la présidentielle de 1969 de Timothy Leary. Mieux inspiré lorsqu’il laisse un peu tomber les grandes effusions pour écrire des chansons engagées dont il maîtrise directement le sens, Lennon frappera fort les esprits avec un titre comme Working Class Hero, sur l’album Plastic Ono Band, dénonçant avec une certaine acuité le système des classes très diviseur au Royaume-Uni – même si, sur le sujet, Harrison l’avait devancé avec Piggies, sur le Double blanc. Et c’est avec l’une de ses chansons les plus ouvertement combatives, Imagine, qu’il va paradoxalement accéder au statut de messager universel en 1971. Imagine dénonce pourtant l’illusion de la religion, le danger du nationalisme et celui, encore plus sournois, du capitalisme, mais le public ne veut y voir qu’une jolie ballade utopiste. Verdict de Lennon:
“Je comprends maintenant ce qu’il faut faire: faire pas ser son message politique avec un peu de miel”.
Interviewé cette même année par l’organe de l’ultragauche britannique Red Mole, Lennon écrit une autre chanson à double fond et d’une force inusitée, Power to the People, un morceau qui semble appeler à la révolte prolétaire alors qu’il stigmatise au contraire la mollesse du peuple. Depuis Revolution et ses deux versions contradictoires, Lennon n’en finit plus de larguer dans le public des bombes à détonations multiples. L’année 71 est celle où le couple Lennon-Ono monte sur tous les fronts et sert de caisse de résonance aux combats de l’époque, des plus nobles aux plus extrêmes, notamment lorsqu’il s’installe aux Etats-Unis.
Ils soutiennent en vrac les Irlandais du Nord, les féministes (avec Woman Is the Nigger of the World, formule trouvée par Yoko), Angela Davis et le Black Panther Party, John Sinclair et le White Panther Party (qui militait pour la drogue, le rock et la baise en toute liberté) ou encore les révoltés de la prison d’Attica. Un grand brouhaha qui culminera en 1972 sur l’album Some Time in New York City mais cessera dès lors que Lennon, menacé d’interdiction de territoire par l’administration Nixon, concentrera son écriture à ses problèmes de couple, sa paternité ou tout autre domaine moins sensible.
A côté de tout ça, l’engagement à la manière McCartney peut paraître d’une pâleur qui n’est pas sans conséquences sur l’image que l’on gardera à terme de l’un et l’autre Beatles.
On connaît les chevaux de bataille de Macca, mais ce n’est pas avec le végétarisme et la lutte contre les mines antipersonnel que celui-ci a pu se forger aux yeux de l’opinion un profil de combattant. Lennon avait tout accaparé du terrain médiatique, y compris lorsqu’il demanda au public d’applaudir et aux privilégiés squattant les loges de “se contenter d’agiter leurs bijoux” lors d’un fameux concert. McCartney était un vrai working class hero ayant grimpé l’échelle sociale jusqu’à son sommet grâce à la musique, alors que Lennon était un enfant des classes moyennes qui en gardera toujours une certaine frustration, son élévation étant du coup moins méritoire. Macca a donc occupé les marges avec une extrême discrétion métaphorique, notamment sur la chanson Blackbird qu’il voyait comme une petite contribution fragile à la lutte des Noirs pour les droits civiques, employant l’image d’un merle qui doit survivre malgré une aile brisée.
Plus tard, Get Back s’en prendra avec une certaine ironie au racisme des Anglais et à leur désir de voir les immigrés rentrer chez eux. L’engagement de McCartney contre la discrimination raciale, notamment en Afrique du Sud, trouvera au début des années 80 son illustration la plus nette à travers un duo il est vrai un peu couillon avec Stevie Wonder, Ebony and Ivory. “Un peu de miel”, telle était la recette de Lennon, alors que McCartney a carrément déversé tout le pot, noyant du coup dans le sucre une initiative de bonne volonté, à l’époque où le mur de l’apartheid n’était pas encore tombé.
Christophe Conte
Le premier grand concert de John Lennon depuis l’éclatement des Beatles – Documentaire diffusé sur Arte dans la nuit du 22 au 23 août à 2h00
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