Omniprésent depuis son retour avec l’impressionnant “Async”, le maestro japonais Ryuichi Sakamoto se fait subtilement remixer par la scène actuelle, et retrouve Alva Noto dans un cocon de verre, le tout dans la même semaine. Concerts immanquables début mars à Metz, Paris et Nantes.
Le retour aux affaires de Ryuichi Sakamoto, tout juste remis d’un cancer de la gorge, ne pouvait pas tomber plus à point l’année dernière. Le milieu électro raffole en ce moment de toutes les nipponeries vintage pop ou new age que des chaînes Youtube relayent à foison et que des labels de rééditions remettent dans les bacs.
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Nombre d’entre elles émanent d’ailleurs de son ancien groupe, Yellow Magic Orchestra, véritables Beatles techno-pop dont l’influence jaillit toujours (l’intro du dernier MGMT en témoigne). Avec ça, le terme « ambient », auquel il est presque aussi lié que son géniteur Brian Eno, fête fièrement ses 40 ans et lutte savamment pour gagner en radicalité artistique, voire politique.
Un chef-d’œuvre tranquille
C’est dans ce contexte fort accueillant que l’artiste de 66 ans à la stature de sage a délivré son vingtième album Async, chef-d’œuvre tranquille de romantisme et de mise en scène, qui a fini au sommet de tous les bons tops fin 2017 (une jolie performance pour un disque de classique contemporain d’une figure institutionnalisée de longue date). Marqué par la vitalité retrouvée d’un homme qui a échappé à la maladie et la force d’écriture d’un compositeur de bande-sons iconiques, c’est une matière riche qui est désormais offerte à la relecture de quelques bonnes têtes de l’avant-garde électronique des quinze dernières années sur la compilation Async Remodels.
D’entrée de jeu, c’est la pièce la mélodramatique du disque, Andata, qui reçoit les traitements les plus irrévérencieux : la coqueluche de Warp Oneohtrix Point Never en force le trait jusqu’à la faire basculer dans une séquence émotion de manga, alors que le duo synthétique canadien Electric Youth lui colle un vernis futuriste à la Kavinsky, cheap mais rafraîchissant. Aucun des remodels suivant ne s’éloigne autant de l’aura introspective de l’original, mais tous en imaginent une émanation trouble, sinon une délicate extension. Parmi les plus respectueux, le grand paysagiste Fennesz passe Solari sous de grandes douches métalliques, là où le compositeur Johann Johannsson, récemment disparu, en élargit les zones d’ombres.
La grande tirade existentielle en plusieurs langues de Fullmoon (tirée d’Un thé au Sahara de Bertolucci, dont Sakamoto avait signé la BO) se retrouve floutée ou noyée dans les limbes par les Américains de Motion Graphics et de S U R V I V E. Mais les gestes les plus marquants restent ceux du Mancunien Andy Stott, ou des performeurs queers Yves Tumor et Arca, qui osent plaquer quelques beats lourds et laisser planer un semblant de doute sur le lac de sagesse d’Async.
Dans la maison de verre
Il plane en revanche plus qu’un doute, peut-être un halo de silhouettes translucides, sur Glass, septième rencontre entre Sakamoto et le chirurgien de la glitch-techno teutone Alva Noto, qui paraît sur le label de ce dernier dans la foulée. Loin du lyrisme parfois compassé qui les réunissait jusque-là, cette pièce de près de 40 minutes, statique mais habitée, se pose presque comme le rapport sonore d’une sonde en reconnaissance dans un milieu donné, et ce n’est pas étranger au contexte dans lequel elle a vu le jour. Invitée à improviser dans la Maison de Verre de Philip Johnson, fleuron de l’architecture moderne posé dans un domaine du Connecticut et connu pour la transparence de ses parois (bien des oiseaux trop empressés en ont fait les frais), la paire a délicatement joué avec les propriétés sonores du lieu, de son mobilier, de ses baies vitrées, tandis qu’un orage grondait dehors.
Malgré tout le feng shui de la performance, Glass est une expérience dense, climatique, et surtout vivante, à laquelle on revient facilement. Car c’est avec autant de force et de générosité que Ryuichi Sakamoto se livre à des expériences formelles qu’à des mélopées à portée universelle, comme celle de Merry Christmas Mr Lawrence (extraite du film Furyo avec David Bowie) sur laquelle le tandem japonais de patinage artistique vient de défiler aux Jeux olympiques d’hiver.
Glass (Noton) / Async Remodels (Milan)
Concerts : 4 mars (Metz – Centre Pompidou) / 7 & 8 mars (Paris – Maison de la Culture du Japon) / 10 & 11 mars (Nantes – Lieu Unique)
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