Si la musique jamaïcaine a beaucoup donné, elle sait recevoir, s’inspirant régulièrement des autres.
De par sa proximité géographique, la Jamaïque a de tout temps entretenu des relations étroites avec le grand voisin américain. Situés à portée de radios, les Jamaïcains n’ignorent rien des derniers développements musicaux ayant cours aux Etats-Unis. Le rhythm’n’blues et le jazz ont servi de matrice aux premières productions locales. Durant les années 50 et 60, bon nombre des musiciens qui officiaient dans les studios avaient fait leurs classes dans les grands hôtels de l’île, où ils jouaient pour un parterre de riches touristes étrangers les succès des big-bands américains dans leurs arrangements originaux.
Parmi les standards qui se sont vu infliger un nouveau traitement, on peut mentionner I’m in the mood for love de McHugh & Field qui, interprété par Lord Tanamo et les Skatalites, devient I’m in the mood for ska. De nombreuses versions de ce morceau seront enregistrées par la suite sur des tempo rocksteady ou reggae par des artistes tels que les Techniques, les Heptones ou Frankie Paul. Autre standard passé à la moulinette reggae, Take five de Dave Brubeck qui, interprété par le vétéran du saxophone Val Benett, devient Russians are coming.
La soul a elle aussi exercé une influence prédominante sur la musique jamaïcaine. De Sam Cooke à Al Green en passant par les Temptations ou Marvin Gaye, aucune figure majeure de ce courant n’a échappé à la reprise d’un de ses morceaux par un artiste jamaïcain. Le plus populaire et par conséquent le plus influent d’entre eux est sans conteste Curtis Mayfield, dont le répertoire est revisité sans cesse. Quelques-uns des meilleurs chanteurs jamaïcains lui doivent tout ou partie de leur style (Slim Smith, Ken Parker, Pat Kelly, Cornell Campbell et même Bunny Wailer). Mais, surtout, les harmonies de son groupe, les Impressions, ont servi de modèle à la plupart des trios vocaux jamaïcains, à commencer par les Wailers de Bob Marley. Ainsi retrouve-t-on, derrière deux des plus beaux classiques de la période rocksteady des Techniques Queen majesty et You don’t care , Minstrel & queen et You’ll want me back de Curtis Mayfield. Et One love des Wailers, le premier tube post mortem de Marley, est une adaptation de People get ready, l’un des plus gros tubes des Impressions.
Lorsqu’il s’agit de reprendre un morceau, l’imagination des artistes jamaïcains est sans limite. Tout y passe. Outre le jazz et la soul, ils s’attaquent aux musiques latines (Tear up de Mongo Santamaria par les Skatalites), à la country (Green green grass of home de Porter Wagoner par Delroy Wilson), au folk (Bridge over trouble water de Simon & Garfunkel par Jimmy London), à la pop (Englishman in NY de Sting qui devient, interprété par Shinehead, Jamaican in NY), au rhythm’n’blues moderne (I believe I can fly de R Kelly par Sanchez), au hip-hop (Missing you de Puff Daddy par Beenie Man, Tony Curtis et ARP), aux génériques de films ou de feuilletons TV (Mission : impossible ou Le Bon, la brute et le truand par Sly & Robbie), à la musique classique (La 5ème symphonie de Beethoven, toujours par Sly & Robbie), sans oublier les tubes les plus infâmes comme la Macarena (reprise avec brio par Captain Barkey). Et lorsqu’on écoute les morceaux hardcore qui font fureur actuellement dans les dance halls de Kingston, la parenté musicale avec la techno, voire avec l’euro-dance, est flagrante. Wrigleys de Red Rat, l’un des tubes de 97, se caractérise par un gimmick de clavier tout droit sorti du tube planétaire de Reel 2 Reel, I like to move it.
Comme quoi, même s’ils ont souvent ouvert la voie, les Jamaïcains savent aussi capitaliser sur les découvertes d’autrui.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
V. T.
{"type":"Banniere-Basse"}