L’effronté. Parce qu’il savait conjuguer sonorités anglo-saxonnes et carte du Tendre à la française, Michel Polnareff demeure l’un des rares mélodistes dont nos sixties pudibondes peuvent être fières. Avec la parution d’un coffret 3 CD regroupant l’essentiel de sa prime création, longtemps séquestrée, on explore l’une des veines les plus voluptueuses de la chanson. En […]
L’effronté. Parce qu’il savait conjuguer sonorités anglo-saxonnes et carte du Tendre à la française, Michel Polnareff demeure l’un des rares mélodistes dont nos sixties pudibondes peuvent être fières. Avec la parution d’un coffret 3 CD regroupant l’essentiel de sa prime création, longtemps séquestrée, on explore l’une des veines les plus voluptueuses de la chanson.
En raison d’un inextricable noeud d’embrouilles juridiques que le principal intéressé lui-même s’appliquait à rendre depuis des années de plus en plus coton à démêler , la soixantaine de chansons enregistrées par Michel Polnareff de 66 à 72 n’étaient jamais parues autrement que sous la forme bâtarde de compilations dépourvues des plus élémentaires soins artistiques et chronologiques. On ignore par quel miracle ce que l’on attendait depuis des années ce que l’on n’attendait plus, à vrai dire a fini par arriver, mais voilà, c’est là : d’une part un coffret de trois CD rassemblant, sous le titre Les Premières années, tout ce que Polnareff a gravé avant de tourner le dos dans tous les sens du terme à la société française, d’autre part la réédition des trois albums originaux publiés pendant la même période. Une occasion nettement plus digne, après la fausse excuse du navrant Live at The Roxy de l’an passé, pour reparler de Polnareff, et surtout pour réécouter Polnareff, compositeur impérissable et interprète magnifique trop souvent réduit à la caricature d’une batavia à lunettes montrant son cul à tous les passants, ennemi déclaré des percepteurs et des rombières pompidoliennes.
On oublie en effet un peu vite qu’avant de la fuir, Polnareff a beaucoup donné à la France. Sans lui et une poignée d’autres, nos sixties hexagonales n’auraient ressemblé qu’à un ridicule parc d’attractions pour débiles légers, twisters de Saint-Tropez et autres yéyés retardataires. Grâce aux doses d’euphorisants distillées par Gainsbourg à travers les veines ingénues de France Gall Teenie Weenie Boppie, à réécouter d’urgence ! , à la bonne humeur pamphlétaire d’Antoine et à quelques autres dérapages incontrôlés par la censure, le bon peuple de France allait découvrir au gré des apparitions non filtrées à l’écran et dans les transistors périphériques que la génération Age tendre n’avait pas toujours la langue de bois. Dispersées par lot de quatre ou deux titres par saison, les chansons de Polnareff auront, elles aussi, contribué de manière impressionniste au dessin du nouveau paysage des moeurs françaises de la fin des sixties.
Dès 66, dès le premier single, difficile de ne pas entendre derrière l’innocente Poupée qui fait non une supplique pour l’abandon des vieilles rigidités morales d’un autre siècle qui servaient encore de ferment à l’inconscient gaulliste. Plus pour longtemps : la France venait de découvrir les joies du suffrage universel et en avait profité pour ballotter son Grand Homme dans les urnes, ajourant ainsi la chape de béton sous laquelle on l’avait laissé gentiment ronronner pendant que Mon Général s’occupait de tout. L’abstinence sexuelle imposée d’en haut, quasiment par décret divin, est l’un des thèmes qui chatouille le plus Polnareff au début, à tel point qu’il y consacre les deux principales chansons de son second maxi : Love me, please love me et L’Amour avec toi. En 67, il s’attaque à la mitraillette Ta-ta-ta-ta au tabou suprême de l’adultère. Mais la France est encore un peu dure d’oreille : au lieu de comprendre « femme que j’aime, c’est TA femme que j’aime », on ne retient que l’onomatopée ta-ta pour en déduire que Polnareff, non content d’avoir les cheveux longs et de vouloir dérouter nos écolières du couvent des Ursulines, possède en plus des penchants homosexuels avoués.
On s’emmerdait ferme à l’époque, les chanteurs yéyés procuraient des distractions. Rien n’empêchera pourtant Polnareff de devenir une idole des jeunes, l’importateur numéro un des sonorités venues d’Angleterre et l’agitateur d’idéaux le mieux inspiré, le plus novateur sans doute avec Gainsbourg. Encore maintenant, malgré les trois décennies qui nous séparent du Bal des Laze, de Mes regrets ou d’Ame câline, on demeure littéralement foudroyé par la richesse de ces arrangements, par la comparaison qu’ils continuent de soutenir avec les plus raffinées des productions anglo-saxonnes de la seconde moitié des sixties. Très tôt attiré par l’Angleterre, où il a séjourné avant même d’entamer sa carrière, Polnareff a d’ailleurs enregistré à Londres, dans l’enceinte du légendaire studio Pye cher aux Kinks, la plupart de ses mini-symphonies et de ses pop-songs pétulantes, souvent avec le concours de toute l’orfèvrerie locale : sections de cordes et de cuivres, ingénieurs du son ou musiciens. On doit ainsi la volupté baroque d’Ame câline et de Mes regrets à la présence lors des sessions d’une quarantaine d’instrumentistes issus des écoles classiques britanniques. Lui-même de formation classique il a obtenu à 11 ans le Premier Prix de solfège au conservatoire de la rue de Madrid , Polnareff a dans un premier temps remisé à la consigne de sa jeune effronterie cet encombrant bagage, préférant adhérer à la sauvagerie primitive du rock’n’roll, notamment par défi envers son père, le pianiste Léo Poll. Mais lorsque la pop anglaise se laisse imprégner d’éléments symphoniques et remet au goût du jour des instruments longtemps voués aux brocantes comme l’orgue d’église ou le clavecin, Polnareff retrouve sans forcer de précieux automatismes.
Entre-temps, il se sera passionné pour le folk américain et pour la philosophie beatnik adjacente, influence prédominante sur les premières chansons parues courant 66. Furtivement, il se cherche mollement en Dylan francophile Time will tell , mais la place est heureusement déjà squattée par Hugues Aufray. Polnareff sera donc un authentique compositeur pop à la française, très pointilleux sur les équilibres harmoniques, maniaque quant aux textures instrumentales et toujours à l’affût des dernières bizarreries testées et approuvées outre-Manche. Dame dame, sorti fin 67, est un monument de pointillisme psychédélique, inspiré par un séjour au Maroc dont il ramène des effluves également popularisés par Brian Jones. La grandiloquence rococo des Moody Blues et de Procol Harum l’impressionne, au point qu’il se lance immédiatement dans l’écriture de ce qui restera sa grande oeuvre, parue début 68, en compagnie du vieux réac Pierre Delanoé, qui pour soixante années de poujadisme a connu au moins une heure de pur génie : celle où il écrivit l’immense Bal des Laze.
A l’heure où les gens de son âge Polnareff n’a alors que 24 ans cherchent la plage sous les pavés de la rue Gay-Lussac, Polnareff s’isole dans une tour de verre, tel un éternel amant stendhalien en proie aux vertiges d’une perfection jamais atteinte, aux limites sans cesse repoussées. Avec Les Grands sentiments humains, il repasse une couche à propos de la chasteté « Tes sacrés principes ne remplacent pas le désir » , signe qu’un an après l’été des fleurs et quelques mois après Mai 68, la France de Guy Lux vivait toujours comme avant guerre. Pendant toutes ces années, Polnareff aura toutefois eu une sale et constante habitude, que ces nouvelles rééditions mettent fâcheusement en relief : il calera toujours les armoires imposantes de ces chefs-d’oeuvre avec des babioles assez stupides, ces Y’a qu’un cheveu, Oh ! Louis ou Pipelette qui parasitent un peu la majesté suprême de Tous les bateaux, tous les oiseaux ou Dans la maison vide.
En 70, pour faire taire les rumeurs galopantes sur sa prétendue homosexualité, il demande à Delanoé de lui écrire une ode à la virilité hétéro-beauf, le très rance et indigne Je suis un homme, auquel on est largement en droit de préférer le subtil et délicat Ça n’arrive qu’aux autres, tiré du film du même nom. Si les deux premiers albums n’étaient que des compilations de maxis, le troisième, Polnareff’s, qui sort en janvier 71, est le premier conçu tel un véritable long format. Essentiellement autobiographique, voire autoparodique Né dans un ice-cream, Petite petite , on en retiendra surtout le fabuleux Voyages, un instrumental de haute voltige qui annonce les fuites sans retour et escapades futures vers les chimères hollywoodiennes. L’histoire, ici, s’interrompt avec un ultime single rassemblant Holidays et La Mouche, doublé gagnant qui se classera numéro un des hit-parades en 72. L’année suivante, après le triomphe de l’Olympia celui annoncé par la fameuse affiche interdite , Michel Polnareff signera chez Atlantic, traversera l’Atlantique, et l’on n’entendra dès lors parler de lui qu’à travers l’écho fourni des rumeurs, des scandales et de ponctuelles renaissances rarement convaincantes. Peu importe : au roi des fourmis, à l’oiseau de nuit et à la mouche (du coche), la compagnie des hommes demeure éternellement reconnaissante.
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Le Bal des Laze, Love me, please love me, Polnareff’s et le coffret 3 CD – Les Premières années (Universal).
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