Cette année, plus que jamais, les artistes ont assumé leurs failles, leurs angoisses et leurs complexités. Voici une sélection de 15 des plus belles pochettes 2019 qui illustrent les ambitions esthétiques décuplées des musicien.ne.s qui ont marqué cette fin de décennie.
Il n’y a guère plus que sur quelques disques de Noël ou de country music où l’on voit encore les artistes poser fièrement sur les pochettes de leurs albums. Les disques qui portent les portraits de leurs auteurs en étendards (ou arguments commerciaux) se font de plus en plus rares. S’y substituent des objets visuels évidemment pensés pour les nouveaux canaux de communication et de consommation de la musique qui doivent remplir deux fonctions : capter l’attention en quelques secondes sur un format équivalent à un timbre-poste et servir de porte d’entrée à un territoire expérientiel qui mène au Graal commercial en 2019 : l’idée de communauté.
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A les voir maltraités, déformés, hybridés, déshumanisés au travers de leurs visuels (photos presse, clips, pochettes), on réalise que les musiciens n’ont peut-être jamais été aussi troublés et inquiets. Certains assument fièrement leurs failles et font de leur humanité et de leurs angoisses un facteur d’empathie et donc d’identification potentielle. Le format album, même s’il est de plus en plus boudé au profit de playlists éditorialisés par des plateformes de streaming, reste le grand manifeste créatif des artistes. Les pochettes que nous avons sélectionnées portent en elles la complexité du paysage musical actuel et l’ambition créative immense de ceux qui bougent les lignes.
15 – KANYE WEST Jesus is King
Aboutissement d’une véritable opération de reconquête de son public menée avec son groupe gospel Sunday Service, le neuvième album de Kanye West est celui d’un repentant qui investit pour la première fois aussi frontalement le sujet religieux. Cette pochette bleue électrique appelle à l’apaisement et la transcendance à l’image des lumières de l’artiste visuel James Turrell, pour lesquelles le rappeur controversé s’est pris de passion.
14 – KIM GORDON No Home Record
Après 38 ans de carrière, Kim Gordon se réinvente une fois de plus dans une approche mutante et moderne. Cette pochette aux couleurs pastel et pop porte un symbole fort : une figure humaine adulte agrippée à des frites de natation dont on se demande si elle pourra se jeter à l’eau. La sortie de cet excellent disque est une forme de réponse.
13 – JIDENNA 85 to Africa
Sur son nouvel album, Jidenna explore ses racines africaines en inventant une autoroute métaphorique qui lie les USA au Niger de son enfance. Les morceaux ultra-efficaces naviguent entre pop afro, soul spirituelle et hip-hop US malin. A classer quelque part entre D’Angelo et Diplo.
12 – LISPECTOR Small Town Graffiti
Cette année, la songwriter Lispector a effectué son grand retour avec un disque touchant et fort. Cette esthétique du fait main, entre références à la pop culture et naïveté enfantine se retrouve dans la pochette dessinée par Sylvain Havec
11 – WEYES BLOOD Titanic Rising
Le grand disque de pop de cette année s’est engouffré dans la tendance aquatique (lointain clin d’œil à l’iconique bébé du Nevermind de Nirvana) que l’on retrouve sur de nombreuses pochettes de 2019. Figée sous les eaux, dans une mise en scène théâtrale, Nathalie Mering semble évoluer dans une Atlantide personnelle : un disque ambitieux et rassembleur.
10 – TYLER THE CREATOR Igor
Alors que certains continuent de recycler encore et encore l’esthétique définie par Odd Future au début de la décennie, Tyler The Creator se réinvente en Prince gothique. Fâché de ne pas être diffusé en radio, le musicien invente ici un chemin de traverse pour la pop music qui devient, sous ses doigts, complexe, étrange et terriblement accrocheuse.
9 – 100 GECS 1000 Gecs
Quelque part entre une esthétique black metal et l’imaginaire de l’adolescence désœuvrée, le duo 100 Gecs illustre avec cette pochette hypnotisante sa musique totalement ovni qui catapulte noise, R’n B, pop et énergie hardcore.
8 – PI’ERRE BOURNE & YOUNG NUDY Slim’erre
Figure centrale du rap américain de ces dernières années, Pi’erre Bourne représente à sa façon une nouvelle génération de musiciens, qui passe en un clin d’œil du rap au beatmaking. Ce dessin d’une figure enfumée, presque évanescente illustre parfaitement ces lignes artistiques floues.
7 – EFRIM MANUEL MENUCK & KEVIN DORIA are SING, SINCK, SING
Les deux musiciens ont sorti ensemble et avec une relative discrétion le plus beau disque politique entendu ces dernières années. Cette photographie convoque une image funeste qui fige une forme de violence indescriptible.
6 – GIRL BAND The Talkies
Si les héros outsiders du post punk anglais ont laissé d’autres simplifier leur propos et remporter le pactole, leur nouvel album reste une des plus belles preuves de la vitalité et de l’inventivité de leur musique. Cette pochette aux lignes abstraites et déstructurées embrasse parfaitement la profession de foi de ce groupe essentiel.
5 – CATE LE BON Reward
Cate Le Bon, figure suractive de la scène indie, pose-t-elle au bord du gouffre ou descend-elle rejoindre une forme d’humanité ? Cette scène, à l’image de sa musique ne se livre pas si facilement et pousse le récepteur à lire (et écouter) entre les lignes et les présupposés.
4 – DECIBELLES Rock Français
Soutenu par la production de Steve Albini, Décibelles confirme sa place à l’avant-garde d’un rock’n roll énervé et primal capable de déboulonner un paquet de préjugés en quelques riffs secs. Cette pochette évoque une figure féminine forte qui brise ses chaînes sans totalement se prendre au sérieux.
3 – BUTTER BULLETS Noir metal
“Je suis le seul blanc de ce rap de merde qui soit pas une grosse merde”, Sidisid n’a toujours pas l’air de vouloir se faire des amis. Encore plus sombre, toujours aussi malin, le nouvel album du duo français, injustement sous-côté dans la scène rap française, exprime une vision nihiliste du monde, entre obsessions mode et mort. Antéchrist superstar.
2 – LIZZO Cuz I Love you
Qu’on aime ou non sa musique, il y a un avant et un après Lizzo. La représentativité du corps féminin s’est enfin libérée (en partie) des carcans de la culture patriarcale. Ce genre de pochette (et le succès du disque qui y est associé) donne un sacré coup d’accélérateur au processus, prouvant une fois de plus que l’entertainment reste le terrain roi pour changer les mentalités.
1 – PHARMAKON Devour
Peu encline depuis ses débuts à jouer le jeu des médias, l’américaine Margaret Chadier, derrière son projet indus noise Pharmakon, donne à voir et entendre une vision brute et cauchemardesque de l’humanité. Cette photo de l’artiste qui dévore son effigie est une métaphore parfaite du statut du musicien en 2019, dans une époque qui voit à la baisse les ambitions conceptuelles et intellectuelles au profit d’une communication simplifiée un peu vaine. Une esthétisation de la notion d’effondrement extrêmement impressionnante.
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