Compte-rendu de l’édition 2006 des Nuits Sonores qui s’est déroulée du 24 au 28 mai dernier, en présence des plus grands noms de l’électronique internationale.
Pour leur quatrième édition, les Nuits Sonores s’imposent haut la main (sans réel concurrent) comme LE festival français dédié aux musiques électroniques. Alors que les principaux festivals français de renommée ont mis dix, voire vingt ans à s’imposer, les Nuits Sonores ont connu une ascension fulgurante en tout juste quatre ans. Malgré une affluence conséquente (48000 personnes), le festival a su garder son âme défricheuse avec une programmation pointue et audacieuse dans des lieux originaux.
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Comme les années précédentes, le festival commence dès le mercredi soir avec un plateau des plus alléchants. A noter que cette année les trois grosses soirées auront toutes lieu dans les entrepôts du Port Rambaud pour cause de réfection des Subsistances. Après un passage par la traditionnelle inauguration à la Piscine du Rhône, on se dirige aux docks. On rate malheureusement le live des deux anglais de MFA, auteurs d’une poignée de maxis intéressants sur B Pitch et Border Community, pour retrouver Luciano et Ricardo Villalobos. Les deux DJ sud américains sont l’une des têtes d’affiche de cette première soirée et l’affluence confirme le succès grandissant de la scène minimale. Les deux compères semblent décidés à faire danser le chaland. Connus pour leurs ritournelles minimales et obsédantes, ils étonnent d’entrée par la puissance de leur son. Ils offrent ce soir en ping pong un set sans concession tout à fait au goût du public lyonnais qui en redemande un peu plus à chaque montée.
Située à l’autre bout du site, la scène Kompakt est moins remplie. Il faut dire que les lives de Mathias Aguayo, Roccness et Reinhard Voigt ne sont pas des plus palpitants. Si sur disque, ces artistes ont indéniablement une certaine classe, le passage à la scène n’est pas forcément à leur avantage. Alors que les deux cousins sud américains tabassent sérieusement, l’électro pop minimale made in Cologne ne fait pas autant recette que sur la capitale : la salle Kompakt restera à moitié remplie pendant une bonne partie de la soirée. Michael Mayer, qui assure les interludes entre les lives et la fin, sera le seul à tirer son épingle du jeu grâce à ses pépites deep techno dont lui seul a le secret.
La scène 2, petite scène coincée entre les deux scènes principales, accueille ce soir quelques fines fleurs de l’expérimentation musicale d’hier et d’aujourd’hui. Avec des légendes underground comme Faust ou bien encore l’iconoclaste Jad Fair, elle offre une alternative de qualité au bpm au kilomètre. Nous n’y passerons que brièvement en fin de soirée pour voir un bout du live des allemands de Warren Suicide. Si leur disque était l’une des bonnes surprises du début de l’année, on est moins séduit par leur prestation scénique qui se démarque peu de la plupart des groupes électro/rock.
Vers 3h30, nos deux berlinois d’adoption, Villalobos et Luciano quitte la scène sous un tonnerre d’applaudissements et de cris de joie. C’est à présent au tour de Mr Hell de prendre les commandes du dancefloor. Capable du pire comme du meilleur, celui que l’on surnomme « Munich Machine » n’ira pas ce soir par quatre chemins. Dès les premières galettes, DJ Hell emboîte le pas de ses prédécesseurs avec une techno racée et percutante, parsemée de voix dérangeantes. Alors que le genre électro est en passe de retourner en seconde division, l’habile DJ allemand (qui a beaucoup fait pour la reconnaissance du genre grâce à son label Gigolo) évite habilement le cliché. Grâce à une culture musicale et un sens du djing incomparable, Hell retourne littéralement le dancefloor en construisant pas à pas un mix impeccable et percutant. Heureux mais épuisé, on quitte les docks vers 6h du mat alors que « Mr Gigolo » continue de lâcher ses Panzer division sur les bords de la Saône. Rave is back !
La deuxième journée est traditionnellement consacrée à un parcours musical dans toute la ville. Le bien nommé Circuit Electronique s’est imposé comme l’une des caractéristiques principales des Nuits Sonores, mélangeant artistes locaux et internationaux, inconnus ou super-stars, dans une multitude de lieux répartis sur l’ensemble de l’agglomération lyonnaise. Impossible de tout voir mais nous signalerons tout de même le set des mystérieux Non Stop Le Beat en ouverture de la scène Divine rue de la Platière. Cette scène connaîtra plus tard l’apothéose avec le live de Funkstörung qui a littéralement retourné la petite rue bondée en fin de soirée.
A la Piscine du Rhône, dans le cadre de la carte blanche à Paris, Laurent Garnier (qui avait clôturé avec maestria le festival l’année dernière) offre aux happy fews qui ont réussi à se procurer un ticket, dix heures de pur bonheur musical. Accompagné d’un saxo, d’un clavier et de ses machines, Garnier nous démontre une fois de plus qu’il reste l’un des DJ les plus étonnants en activité et l’un des seuls capable de passer d’un genre à l’autre avec autant d’aisance. Les bords du Rhône sont d’ailleurs autant rempli que la piscine elle-même.
Alors que la nuit commence à tomber, notre vaillante équipe doit maintenant faire face à un choix de taille : Alexander Kowalski et Silures (Vitalic + Linda Lamb) en live au Transbordeur ou Damian Lazarus et les Wighnomy Brothers au Ninkasi Kao. Nous pencherons finalement pour la deuxième option. Première bonne surprise en arrivant : l’endroit est vraiment bien foutu et comporte une scène en extérieur. Alors que l’un des deux Wighnomy s’empêtre dans un set électro ennuyant au possible, en extérieur, le vétéran Freddy Fresh fait trembler la terrasse avec son megamix hip hop / jungle. Certes, il y a beaucoup de hits mais le tout est mixé avec malice.
Retour à l’intérieur pour écouter Damian Lazarus. Son set restera sans hésitation comme l’un des meilleurs de cette quatrième édition. Croisé quinze jours auparavant à la Cité de la Musique pour la soirée We Love Rebels, Lazarus nous avait déjà bien scotchés mais il s’était fait voler la vedette par un Smagghe en très grande forme. Ce soir, le patron du passionnant label Crosstown Rebels s’en donne a c’ur joie. Planqué pendant deux bonnes heures sous sa casquette, les yeux le plus souvent fermés, Lazarus nous emmène dans un mix électro deep minimal des plus jouissifs.
Vendredi soir, troisième jour de festival. Retour aux docks à 22h30 pour voir le live de Nathan Fake. Nous sommes d’emblés frappés par l’affluence nettement plus conséquente que le mercredi soir. L’incroyable succés de The Sky was Pink y contribue sûrement. Le live de Fake est à l’image de son album, un voyage profond et planant dans des méandres de nappes électroniques. Nathan Fake est accompagné par un VJ qui mixe des images séquencées avec sa musique. Son live a un réel côté poétique qui serait sans doute plus adapté au plein air qu’aux vastes hangars.
On file ensuite rapidement voire les filles de ESG dont le concert est l’un des événements de la soirée. Dès les abords de la grande salle, la basse groovy, véritable marque de fabrique des filles du Bronx, fait vibrer les murs. Très déçu par leur performance il y a quelques années aux Transmusicales, on sent rapidement qu’on va enfin pouvoir se rattraper ce soir. Pendant plus d’une heure, les cinq filles vont offrir aux Nuits Sonores, le concert de l’année. S’il ne reste à présent plus que deux des trois membres de la formation originale (la percussionniste et la clavier), la relève est bien assurée par les filles des fondatrices. Même si la batterie est parfois un peu à la traîne, la recette fonctionne à merveille : l’énorme basse est reconnaissable parmi des centaines d’autres. Quant à la jeune chanteuse, sorte de Diva, tout de rouge vêtu, elle ne manque pas d’artifices pour chauffer le public conquis qui en redemande. Ce dernier verra son appétit récompensé lors d’un rappel d’anthologie.
Les bougresses nous ont vraiment donné envie de danser et nous rejoignons la scène 2 pour la fin du set de The Hacker. Si l’électro tech dark du grenoblois ne fait pas dans la plus grande originalité, elle a au moins l’avantage de faire réagir l’auditoire qui le raccompagne sous des applaudissements massifs.
Trentemoller prend la suite. Le jeune danois est l’un des nouveaux producteurs en vue de la scène électro minimale. Le set commence doucement et monte de manière assez graduelle quand soudain débarque en plein milieu le Song 2 de Blur qui remet le feu à la salle. Les premières mesures du live de Bookashade nous font changer d’atmosphère. Loin des ennuyeux live laptop, les deux co-fondateurs du label Get Physical offrent un vrai show. Le premier frappe comme un forcené sur sa batterie électronique pendant que son alter ego triture ses machines. Leur tech-house groovy est énorme et la moitié des morceaux (Mandarine Girl, Body Language ?) sont de vrais tubes imparables. Pendant une heure, le live de Booka Shade ne lâche pas le moindre danseur dans une salle bondée à craquer. Sans aucun doute, l’un des meilleurs live electro en activité sur la scène internationale et à coup sûr l’un des meilleurs de ces Nuits Sonores.
L’enfant du pays, Agoria, ne pouvait pas rêver meilleure rampe de lancement pour sa consécration. Contrairement à son dernier CD mixé Cut & Cult, le dj lyonnais s’exerce ce soir à construire un « set montagne russe » dans la plus pure tradition techno. Grosse montée, grosse descente et ainsi de suite pendant deux heures. L’exercice peut être un peu lassant mais la qualité du mix et de la sélection de disques est irréprochable et nous fait tenir jusqu’aux aurores.
Le beau temps s’installe pour l’avant dernier-jour du festival. Samedi oblige, les anciens entrepôts font le plein avec presque 8000 personnes sur l’ensemble de la soirée. Nous avons de très bons échos de la prestation de Clinic et des inclassables icônes underground rock Père Ubu que nous avons malheureusement raté. Le live de Richard Davis débute à 23h30 aux docks de Port Rambaud. Auteur du splendide Details, l’un des plus beaux albums de tech-house minimale chantée de l’année, Davis se montre sur scène assez fidèle au disque.
La grande salle est réservée ce soir au hip hop (avec il est vrai, une très belle affiche : finale DMC, Subtle, Q Bert et Cold Cut) est déjà pleine à craquer, la scène 2 l’est beaucoup moins. Elle se remplit pourtant très vite pour le live de Patrick Chardronnet. Dans un genre beaucoup plus minimal que Booka Shade, le live de Chardronnet est sans conteste l’un des plus beau live electro de la soirée. Tout en douceur et précision, les sons du protégé de Steve Bug sont d’une pure beauté. Sa performance se finit par le somptueux Eve by day, digne successeur du Sky was Pink passée à la moulinette Holden.
Après lui, Alex Smoke déçoit. C’est l’occasion d’aller jeter une oreille à Q Bert. Le pape du « turntablism » se fait de plus en plus rare, surtout en France. Pourtant la démonstration devient vite ennuyeuse, comme c’est souvent le cas quand la technique prend le pas sur la seule sensibilité musicale.
Sur la petite scène, la jeune garde française invitée par notre confrère Trax fait le plein haut la main. Alors que Tekel, Automat, Justice ou bien encore Para One plus tard, font dans le massif, on préfère revenir aux sources avec Mr Weatherall. Véritable parrain de la musique électronique, Andrew Weatherall va droit au but : le dancefloor sans oublier pour autant son immense culture musicale, qu’il passe en revue tout au long d’un mix classieux à souhait. A la fin, acclamé par le public, il le saluera respectueusement tel un général qu’on féliciterait pour une mission réussie.
L’imposant Abe Duque fait immédiatement sourire dès qu’il prononce la première parole de sa voix passée au Vocoder version « ténèbres de l’au-delà ». Seul représentant américain pour ce qui est des musiques électroniques, Abe Duque dirige un live techno torturé et puissant. L’omniprésence des voix (il est en plus accompagné d’une chanteuse) donne un petit côté cheesy à l’ensemble. Après lui, John Lord Fonda, le petit protégé de Vitalic enchaîne et prend le micro en hurlant « La Puissance » avant de balancer les canons de Navaronne. Grossière copie qui frise le cliché.
A l’aube, on rejoint la scène Trax où Jennifer Cardini fait des étincelles. Ce n’est certes pas la première fois qu’on la voit, mais ce soir notre Jennifer aura largement méritée les louanges. Sa joie et son énergie lui confèrent une grâce folle. Du côté des platines, elle se permet tout sans jamais faillir, alors que le soleil emplit le hangar elle relance le dancefloor avec un remix du Banquet de Bloc Party. Le feu ne s’éteindra pas avant 7h du matin.
Réveillés vers midi nous filons sur les pentes de la Croix Rousse pour les Siestes Sonores dans le Parc de la Cerisaie autour de la Villa Gillet. Jusqu’à quinze heures l’ambiance est calme puis soudainement le parc se remplit et les bpm reprennent le contrôle devant un parterre de fêtards pas encore rassasiés.
José Lagarellos, programmateur des Nuits Sonores, puis Paul et P.Moore répondront avec sérieux à leurs requêtes. Au même moment, de l’autre côté de la Villa, sur une deuxième scène de fortune, une vaillante équipe de médias parisiens et lyonnais tente d’offrir une alternative. Mais il faut l’avouer, ils ne feront pas vraiment d’ombre au gros son !
Après cinq jours et cinq nuits de festivités, ces quatrième Nuits Sonores s’achèvent en beauté. Avec dix milles spectateurs de plus que l’an passé, le festival a su, cette année encore, contourner avec dextérité les problématiques de croissance. Rendez-vous à Lyon du 16 au 20 mai 2007 !
– Remerciements : Vincent et Kristin/Arty Farty, Malick/Divine, Samuel
– Photos : Laurent Lafon et Sam / cortosam@yahoo.fr
– Site Internet : www.nuits-sonores.com
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