Les troisièmes Universités d’été du fanzine se tiendront du 25 au 27 août, à la Fanzinothèque de Poitiers. L’occasion de revenir sur l’édition 2022, riche en découvertes. Reportage.
Samedi 20 août 2022, il y a presque pile un an. J’arrive à Poitiers pour la deuxième édition des Universités d’été du fanzine, qui se déroulent sur quatre jours, du 18 au 21, à la Fanzinothèque. Vénérable institution montée en 1989, ce centre de documentation un peu particulier se niche au cœur du Confort Moderne, sorte de complexe artistique jouant le rôle de salle de concert, de centre d’art et de résidence d’artistes.
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La Fanzino, comme on dit là-bas, compte près de 60 000 ouvrages publiés depuis les années 1960 jusqu’à nos jours, ce qui en fait le plus grand lieu d’archivage du genre en Europe. Ce samedi, l’une des tables rondes à laquelle j’assiste s’intitule : Autobiographies : se raconter sans se la raconter. C’est pourquoi ce papier sera écrit à la première personne du singulier.
Rencontres et atelier
Au total, six rencontres de ce type seront proposées tout au long du week-end, avec des invité·es aux statuts divers et variés : auteur·rices, documentalistes, dessinateur·rices, journalistes, chercheur·euses. On y parlera féminismes et scènes DIY, fanzine et foot, fanzine et politique, ou encore fanzine et rap. Dans l’espace du Confort Moderne, les créateur·rices de fanzine campent derrière leur stand et évoquent leur travail avec les badaud·es et lecteur·rices potentiel·les qui se pointent pour tailler le bout de gras. Il y a même un atelier de confection de fanzine.
En tant que reporter aux Inrocks, je me fais gentiment envoyer bouler par un auteur à l’éthique punk chevillée au corps : “comme dirait Fugazi, je ne vois pas pourquoi je répondrais aux questions d’un journaliste qui écrit pour un journal que je ne lis pas”, me glisse-t-il, le regard planté dans le mien et sans trembler. Une piqûre de rappel salutaire, et avec la manière ! Les choses ont donc encore du sens : il existe mille raisons de se lancer dans l’aventure fanzine, et le rejet de ce que les canards vendus en kiosque ont à dire est l’une d’entre elles.
Une passion punk
Pas vindicative pour un sou, Cora Wang-Chang, fondatrice il y a dix ans du zine Bobby Pins, à Clermont-Ferrand, établie aujourd’hui à Bordeaux, me confie que pour rien au monde elle ne voudrait voir son travail édité professionnellement : “Je fais tout en DIY et je veux rester là-dedans. Pourquoi pas faire une anthologie de mes travaux, mais toujours en auto édition.” Wang-Chang était invitée à la table ronde “autobiographies”, aux côtés de Violette Gauthier (du fanzine Eau de javel), Delphine Bucher (des éditions de La dernière chance), Adrien Durand (fondateur du Gospel et collaborateur régulier des Inrocks) et l’inénarrable Guillaume Cardin aka David Snug, pape de la BD et musicien underground (croisé, entre autres, chez Jessica 93 et Trotski Nautique). Le tout modéré par Guillaume Gwardeath, co-réalisateur avec Laure Bessi et Jean-Philippe Putaud-Michalski du film Fanzinat – Passion et histoire des fanzines en France (2022), sorti en octobre dernier (et dans lequel on peut croiser le pote Pacôme Thiellement).
Dans Bobby Pins, Cora parle donc de sa vie “parfois sous un prisme militant”.“J’aime bien écrire sur le féminisme ou le végétarisme, je raconte mes expériences avec la précarité, les difficultés à se loger, d’avoir de la thune”. La jeune femme fait tout, toute seule. Bobby Pins est manufacturé de A à Z par elle, à part le dernier coup de massicot, dévolu à la Corep, une boutique de reprographie. “C’est un zine entièrement fait aux ciseaux et à la colle, sans photoshop, mais avec un peu de Word. Et parfois avec une machine à écrire. Tout à la photocopieuse, sans impression numérique, à la punk”, poursuit-elle.
Fan de musique, elle traîne dans les concerts punk, interviewe des groupes punk et des activistes punk : “je fais aussi des chroniques de disques et de bouquins, et je donne des recettes de gâteaux, de crêpes”, dit-elle en laissant échapper un petit rire. Comme c’est souvent le cas, les exemplaires de ces petits canards faits mains sont disponibles dans un périmètres de distribution restreints, chez les disquaires du coin, dans les salles de concert ou à la Fanzinothèque.
Rencontres intergénérationnelles
D’aucun·es diront qu’il y a autant de fanzines qu’il existe de gens pour les faire. Le petit échantillon des possibles rassemblé au Confort Moderne cette année-là en donne une bonne idée. Je croise notamment le dénommé Tom Van Der Meersch, de Club de Bridge, qui partage son temps entre Berlin et Poitiers. Lui bosse plutôt sur des installations et des sérigraphies. Il a commencé son fanzine sur Instagram pendant le confinement, avant de décliner son travail dessiné dans un format papier. Il collabore beaucoup avec d’autres fanzines, des collectifs militants et le public, œuvrant à “se faufiler dans une brèche artistique pour trouver de nouvelles manières de rassembler les gens autour de causes politiques, notamment queer, écolo et anti-capitaliste”, me rencarde-t-il. Pas loin, je retrouve deux rédacteurs de Dig It!, fanzine garage rock et psychédélique toulousain actif de 1993 à 2020, qui s’est arrêté avec la mort de son fondateur Gildas Cospérec et de sa compagne Marie-Noëlle Le Guen, en 2020. L’un des premiers en France à parler des Limiñanas (entre autres). “Dig It!, c’est une institution, une référence en matière de bon goût et de rock’n’roll ! Et pas seulement rock garage ! C’est un truc de passionnés”. Les deux sont venus avec, sous le bras, des exemplaires de l’ultime numéro du fanzine sorti en octobre 2020 et le bouquin consacré à Gildas, intitulé (selon une référence aux Cramps) Confession of a Garage Cat : L’histoire orale non censurée du garage en France, via Dig It ! et la scène toulousaine (2021) et publié aux éditions Les Musicophages, un centre de ressources dédié à la musique à Toulouse.
Et comme ça, plus d’une vingtaine de stands est présente. On parle science-fiction (Forgotten Generation), musique, récit de voyage et balades urbaines (Ductus Pop) ou encore peinture, dessin et sérigraphie avec Brulex. “C’est difficile de faire rentrer le fanzine dans une case et c’est encore plus difficile de le présenter dans une bibliothèque, me confie Gregor Martin, documentaliste à la Fanzinothèque depuis cinq ans. On a organisé les Rencontres des fanzinothécaires, un terme un peu pompeux pour qu’entre documentalistes, nous nous réunissions pour comparer nos pratiques, parler de nos difficultés et essayer de trouver des solutions. Il y a une grosse constante qui revient : tout le monde trouve compliqué de présenter un fond de fanzines, notamment à partir d’un certain volume. Et nous, on a un fond énorme en termes de volumes.”
Connecter les gens
Gregor bosse sous la direction de Marie Bourgoin, documentaliste à la Fanzino depuis sa création en 1989. Subventionnée depuis ses débuts, cette association s’est donnée comme mission d’entretenir cet héritage culturel protéiforme, support des premiers récits de science-fiction dans les années 1930 et devenu l’avatar des cultures punk et underground dans les années 1970 et 1980. “On a opté pour un classement alphabétique, un classement thématique n’aurait pas de sens parce que le fanzine est trop transversal”, poursuit-il. Lui s’occupe plutôt des nouveautés (la Fanzinothèque reçoit une cinquantaine de titres par mois, sans vraiment savoir s’il y aura une périodicité à ces titres) et Marie plutôt du fond ancien. La Fanzinothèque s’est ainsi dotée d’un programme de numérisation, qui permet, gratuitement, d’accéder à distance à des milliers de références (comme la poignée de numéros du fanzine punk de San Francisco Search & Destroy, dont je vous parlais dans les Inrocks), tout en offrant à tous·tes la possibilité de consulter sur place ou d’emprunter cette collection inestimable : “C’est un fond d’archives à la base, l’intérêt est donc de le mettre à disposition du public. Et puis on fait vivre les collections en les déplaçant, en fonction des besoins des événements sur lesquels nous nous rendons. Il y a un véritable travail de médiation, on sensibilise aux différents formats qui existent, à la variété des sujets, dans le cadre d’ateliers”.
La force des Universités d’été du fanzine, c’est son ancrage dans le présent. Depuis la fin des confinements successifs, note Gregor, beaucoup de fanzines – allant de simple billet à plusieurs pages reliées à l’agrafeuse – ont fait ou refait leur apparition. “On essaye d’éviter le côté muséification et la mythification du punk, qui est quelque chose qui se fait souvent. Pour moi, la Fanzinothèque a vocation à organiser des choses autour de ce qui est actuel et vivant, et de documenter le fond ancien […] Les fanzines sont les proto-réseaux sociaux, plus que de la presse en tant que telle. Bien sûr, c’est lié à la presse, mais un fanzine se caractérise aussi par la façon dont il va être fabriqué et distribué, un truc de la main à la main, de proche en proche, dans un cercle par nécessairement fermé, mais restreint, avec l’idée de se stimuler les uns et les autres”.
Twitter est mort, vive le fanzine.
La troisième édition des Universités d’été du fanzine, se déroulera du 25 au 27 août, à la Fanzinothèque de Poitiers (86) (Le programme est à retrouver ici)
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