On n’a pas vu Bashung dans le Vercors, mais à Montréal, sauter à l’élastique avec Christophe, Diane Dufresne et Daniel Darc. Compte-rendu éclairé d’un festival qui débute sur les chapeaux de roues.
C’est désormais officiel : le meilleur festival de « chanson française » – au sens extra large du terme bien entendu – ne se trouve plus en France, mais bien à Montréal, Québec, Canada. Depuis leur soirée d’ouverture, les Francofolies de Montréal édition 2005 (fait beau, fait pas beau, mais au moins pleut pas pendant les concerts) ont tapé fort, très fort, avec en tête un triumvira « patrimonial » Bashung-Christophe-Daniel Darc affolant de cohérence et d’émotion (et pas si « patrimonial » que ça vous verrez). Et ce tout en cherchant aussi et surtout à taper dans tous les sens, et dans tous les genres (tiens prends ça), en offrant de la place, et beaucoup de place, à ceux qui uvrent à le retaper et le tordre, ce maudit patrimoine. On pense là aussi bien aux mecs de TTC qu’à la toujours plus impressionnante Camille, en n’oubliant pas l’incroyable producteur hip-hop Ghislain Poirier dont le concept de « bounce le gros » doit, c’est aujourd’hui certain, absolument franchir l’Atlantique plus qu’il ne l’a franchi (« bounce le gros » = « bouge ton luc », dira-t-on pour être poli – et pour l’avoir testé, ça fonctionne plutôt pas mal le truc à Poirier).
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Du fort, du très fort, disait-on donc pour débuter avec cette triplette Bashung, Christophe, Daniel Darc organisée autour du premier cité. Le meccano, avec tout ce qu’il a de fragile, de subtil et d’évident, n’avait pourtant jamais été tenté formellement. Pas même à la Cité de la Musique à Paris, où Bashung recevait pourtant ces derniers mois comme il a reçu ces derniers jours à Montréal. Au centre, donc, Bashung, qui trouve en quelque sorte ici au Québec l’endroit rêvé pour assouvir son fantasme le plus tenace : mêler le français malade et malaxé à la terre vaste et croûteuse de l’Amérique, mélanger le bel héritage de la chanson à textes (à trous) à celui des loulous à tenue de cuir du rock’n’roll vintage. Trente ans et plus que Bashung travaille là-dessus, d’arrache-bottes, à tel point qu’il met encore ses pantalons dedans – dedans ses bottes quoi. Et à Montréal soudain, tout est devenu cohérent, simple, limpide, lumineux. Tout se fondait de fait. On a mis Bashung comme une sorte de pivot, et on lui a adjoint, au cours de deux soirées – que l’on se jure de ne jamais oublier – tout ce que la France et le Québec comptaient d’amis possibles et naturels : Christophe et Daniel Darc, donc, mais aussi Diane Dufresne, Robert Charlebois (un type qui brasse sa bière lui-même ne peut pas être foncièrement mauvais), Dumas, ou encore le très prometteur Yann Perreau.
Et alors que tout le monde tournait autour de Bashung, lui semblait prendre racines ici aux Francofolies, tout en en inventant d’autres, avec la nonchalance qu’on lui connaît. En voyant Bashung ici à Montréal, on s’est pris à rêver d’une collection comme celle que le producteur Rick Rubin offrit jadis à l’immense Johnny Cash. Une série de reprise sèches et profondes, balayant l’héritage sans aucune retenue, sans aucun a priori. Ce qui nous fait dire ça, c’est ce moment si précieux ou Bashung, avec Christophe, a repris Frédériccette chanson qui met les larmes aux yeux, uvre de Claude Léveillée, grand chanteur québécois qui jadis écrivit pour Piaf (le pont, le pont, déjà). Frédéric, chanté par Bashung et Christophe, puis par Christophe tout seul lors de son concert à lui, est pour l’instant le plus beau moment du festival : d’abord pour la beauté du texte que l’auteur de ses lignes ignorait mais c’est réparé, et puis surtout parce qu’il n’existait plus, à ce moment-là, ce que l’on appelle parce qu’il le faut bien « la chanson française ». Frédéric, chanté par Bashung et Christophe, était tout simplement plus que ça, une sorte de folk discret, beau, et un peu perdu, loin du cliché de ce que représente souvent le vocable « chanson française » (et on ne vous parle même pas de la « nouvelle chanson française »). Oxygène de Diane Dufresne, hurlé jusqu’à la mort par la sus nommée, et dans un sens Je reviendrai à Montréal de Charlebois (rappelons qu’un type qui brasse sa bière lui-même ne peut pas être foncièrement mauvais) appartenait aussi à cet « entre-deux » inventé par Bashung, « entre-deux » qui n’exista que deux jours, mais deux jours précieux, desquels devraient logiquement partir des trucs.
Deux jours, disons plutôt trois avec le très beau concert commun donné à la suite par Christophe (qui venait pour la première fois à Montréal vous imagiez ?) et Daniel Darc (qui lui en soldat de l’éphémère s’imaginait certainement y venir pour la dernière, mais mon cul oui). Le concert de Christophe fut d’une merveille de minimalisme. Celui de Darc d’une merveille d’un peu too much. Bonne balance. Après tout ça, il a fallu se remettre de l’émotion, et danser un peu, faire l’andouille aussi. On a fait l’andouille avec TTC, alors, qui a mis le feu à la casquette d’un jeune public hip-hop montréalais tout heureux de voir combien la bande emmenée par Teki Latex avait progressé sur scène, pour être aujourd’hui avec Dionysos et quelques autres ce que l’ont trouve de mieux en live en France. A la fin, les trois MC les plus vicieux de l’hexagone invitaient même les filles et rien que les filles à les rejoindre, avec une main en l’air et l’autre un peu baladeuse : bien les gars, bien. On a dansé aussi beaucoup grâce à Bubblestar & Sweetpete, alias Isabelle de Prototypes et Pierre Gourde, un incontournable de la scène rock montréalaise, qui avaient investi ce lieu formidable qu’ont inventé les Francos : le Shag, un repaire de fin de soirée ou les DJ viennent finir les festivaliers en beauté, dans une ambiance décontractée du gland. Un endroit dont Ghislain « bounce le gros » Poirier a réussi à exploiter toutes les possibilités, en offrant un set d’une classe, d’une vivacité et d’une tenue incroyable, où la tête s’agitait tout autant que les doigts de pieds, et où se croisaient aussi bien le Saïan Supa Crew que les White Stripes. Même des fois on s’est même pris à rire tout seul tellement on était content.
Eh, « bounce le gros quoi » : c’est certainement une expression que Camille, rigolote comme tout lors de son premier passage en plein air, va ramener en France. Lors de son premier concert en plein air, Camille a tout simplement été parfaite : drôle, funky, légère, émouvante, laissant le vaste public qui était venue la voir complètement baba, déroulant son Fil avec une grâce inouïe, avant de remettre le couvert le lendemain en salle, mais ça c’est ce qu’on vous racontera plus tard. Allez, on y retourne
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