Sur les podiums de défilés et dans les pages de pub, le pop, c’est cool : le marketing appliqué à un cliché omniprésent.
Les cuisines, la décoration intérieure, la mise en pages des magazines : beaucoup de choses ont été, et récemment encore, « minimales ». A d’autres époques, elles ont été « conceptuelles » et distribuées en « concept-stores ». Si aujourd’hui, on ne compte rien de « nouveau réaliste », la faute en incombe moins aux qualités des uvres rassemblées et théorisées par Pierre Restany qu’à la définition formée par ces deux mots accolés, peu exploitable en dehors de ses attributions premières.
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Et aujourd’hui, probablement dans la perspective de la nouvelle exposition du Centre Pompidou, diverses choses deviennent « pop ». La collection de Stella McCartney entre autres, comme nous l’apprend Le Monde du samedi 3 mars. Est-elle pop parce qu’elle « mixe les images de la bohème rock-chic des années 70 », ou simplement parce que le nom de McCartney évoque les Beatles ? En quoi est-elle plus pop que celle de Viktor & Rolf, qui utilisent le drapeau américain ? Peu importe, elle est pop, et ça, c’est cool. Tandis que le champagne « pop » fait un retour appuyé dans les soirées parisiennes, le Journal du dimanche (dimanche 4 mars) déclare que la vitrine du magasin Hermès de la rue du Faubourg-Saint-Honoré est pop, car toute en couleurs fluo, psychédéliques, joyeuses…
La bonne nouvelle, c’est qu’une exposition dans une institution parisienne rencontre ou stimule l’imaginaire d’autres champs créatifs, mais cela, on l’avait maintes fois constaté, en particulier dans la publicité. Gilbert & George au musée d’Art moderne de la ville de Paris réapparaissent quelques mois plus tard en spot publicitaire pour une voiture. La mauvaise nouvelle, c’est qu’au bout du compte, les réalités historiques et sémantiques convoquées sont invitées à nous foutre la paix pour laisser place à des stratégies marketing vraiment efficaces. Car au fond, toutes ces choses estampillées « pop » ont-elles un lien véritable, c’est-à-dire qui dépasserait le cliché visuel qu’on peut s’en faire ? Rien n’est moins sûr.
Ainsi, par exemple, la dimension dramatique du pop semble rarement convoquée, et l’on oublie peut-être que les Marilyn de Warhol voisinent avec les images de la chaise électrique et des Most wanted men. Ainsi oublie-t-on aussi que les objets de Claes Oldenbourg, se présentant « dégonflés » comme de vieux ballons finis, chantent la mort des objets du consumérisme.
Jamais en retard d’une contradiction, la mode célèbre quoi qu’il en soit, simultanément, le retour en force de l’iconographie punk (mouvement parfaitement antipop) et l’émergence d’une « pop attitude ». Tout est dans tout, et réciproquement. Apparu dans les années 50 aux Etats-Unis, la pop-music (abréviation de « popular music ») a fourni un modèle élargi en tous sens pour, dans les décennies suivantes, servir de contrepoint au rock. Paradigme identique, le pop (art) semble aujourd’hui servir de modèle de substitution à l’art minimal et conceptuel, mais selon des méthodes passées au rouleau compresseur du marketing. La mode, la publicité, les magazines ont eu beau jeu, s’étant soi-disant emparés de « l’Art », d’y sélectionner ce qui leur ressemble : beaucoup de surface, peu de profondeur. Souvent réduit à une évocation caricaturale du psychédélisme (formes arrondies, couleurs violentes et acidulées, ces deux termes suffisant amplement), il ne semble plus question de restituer la véritable nature du pop art, comme Jean-Louis Pradel tente cependant courageusement de le faire dans Beaux-Arts Magazine (mars 2001).
Dans son édition de mars, Numéro interroge : « Qu’est-ce qui est pop ? » « Pop ? Ah là là ! Vous m’en posez de ces questions ! Je n’y avais jamais pensé », répond Brigitte, doctoresse l’hôpital est rarement pop. « Nightclubbing… baise… drogues… dépression… La vie, quoi ! », répond pour sa part François Gaye-Hamard, « playboy », quand Marie Gillain dit « Allen Jones et les blondes de Roy Lichtenstein. » Ils ont tous raison, ils ont tous gagné. Warhol ne disait-il pas lui-même que « le pop art, c’est aimer les choses » ? Parions qu’aux côtés de ce concerto festif et bariolé, l’historienne Lucy R. Lippard aura peu de chance de se faire entendre, qui affirme en préambule de son livre 1 : « On a répandu tant d’idées fausses sur le pop art qu’avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à dire que je ne considère comme artistes pop guère plus de cinq artistes new-yorkais et à peine davantage sur la Côte Ouest des Etats-Unis et en Angleterre. »
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1. Lucy R. Lippard, Le Pop art (Thames & Hudson), 216 pages, 99 f, indispensable.
Eric Troncy
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