Deux albums de démesure, en groupe et en ermite, ne suffisent pas à contenir toutes les questions de Katerine, à poil et culotté. Vous connaissiez Katerine, chanteur Playmobil à la voix hermaphrodite, amuseur public, homme qui armait les femmes de textes à double détente et d’orchestrations faussement chabadabada, héritier de Demy et demi-giclée de la […]
Deux albums de démesure, en groupe et en ermite, ne suffisent pas à contenir toutes les questions de Katerine, à poil et culotté.
Vous connaissiez Katerine, chanteur Playmobil à la voix hermaphrodite, amuseur public, homme qui armait les femmes de textes à double détente et d’orchestrations faussement chabadabada, héritier de Demy et demi-giclée de la variété légère. Une chanson, extraite de ses deux nouveaux albums simultanés, la déjà célébrissime Je vous emmerde, achève de taillader cette image de violente et revancharde façon (« Dégage, Playmobil ! »). Katerine pose à poil sur la pochette, se met à nu (« Je suis une merde ») et déloque de la sorte états d’âme et amertumes, tumescences personnelles et plaies collectives. Philippe Katerine est à poil mais c’est son disque le plus culotté, de très loin. Ses Créatures, ainsi qu’on nomme ces monstres qui échappent à leur créateur, prennent souvent la forme divagatrice de chansons free, tardives extractions du mélange nitroglycérigène Brigitte Fontaine/Art Ensemble Of Chicago. Son ensemble à lui se nomme Les Recyclers, et ils contribuent amplement tout au long de ce premier volet orchestré à décanter des flagrances sauvages, limite barbares, et à rouleau-compresser ce qui restait du Katerine encore yéyé des Mauvaises fréquentations, lesquelles mauvaises fréquentations démarrent ici. Jazz tordu et tendu, climat cinématique, avalant les perspectives comme des spaghettis métalliques, filant dans d’improbables dédales urbains reconstitués en studio (Américaine, Mon meilleur ami est un chien), les arrangements n’arrangent pas vraiment le profil de Katerine, le poussent sans ménagement dans les cordes, l’acculent à sec, le désarticulent, lui secouent les puces et les habitudes. Une légère abstraction formelle contre-éclairée par des textes d’une effrayante limpidité, pas vraiment tendres envers leur auteur, relevant à proportions égales du masochisme ordinaire et de la coquetterie narcissique. On en tiendra pour exemplaires la description atonale d’un poulet élevé dans le plein air de Vendée et dégusté à Paris, « chaud le midi, froid le soir », ou la description de la propre mort du narrateur, « d’une complication pulmonaire peut-être », le 8 décembre 2008, en réponse glaçante à J’ai 30 ans, autoportrait en forme d’inventaire à la pervers. Egalement là pour atténuer les grincements, la prise de son amidonnée signée par deux Mellow en heures sup, l’ameublement douillet de L’Appartement et la ballade rêveuse Au pays de mon premier amour, deux des gourmandises aux reliefs de violons Michel Legrand, très grands.
Le second disque, L’Homme à trois mains, enregistré seul par Katerine, acoustique mais trompeusement famélique, démarre par cette précision : « Non, je ne suis pas schizophrénique. » Mise au point utile car il ne s’agit pas là du négatif des Créatures mais au contraire de son prolongement, de son excroissance, le monstre du monstre, l’enfant bâtard de Mister Hyde et de la créature de Frankenstein. D’autres inventaires (Combien d’hommes ?) et d’autres personnages auxquels Katerine offre sa carcasse en pâture (Le Simplet, Monsieur Patrick, l’exorcisme sonore de Créatures), un chant qui traîne une lourde carriole d’obsessions cabossées, un cortège de malfaçons et des propositions de chansons malhonnêtes. Katerine « s’interroge sur les mathématiques » mais ne trouve jamais un compte rond dans l’addition de ses mille et une idées pour combiner des mots et des sons, ouvrant plus de parenthèses qu’il ne clôt de chapitres, montrant autant de directions que n’en montreront jamais quinze chanteurs français réunis, n’évacuant pas un trop-plein mais paraissant au contraire n’avoir en vingt-six chansons fait que partiellement le tour de sa question. Il paraît qu’après s’être présentés ensemble, ces deux disques feront scission, comme les étages d’une fusée ou l’ovule qui donne naissance aux faux jumeaux. Les Créatures et L’Homme à trois mains feront donc chambre à part dans les bacs, les unes étalant leurs acrobatiques coucheries musicales au grand jour, l’autre « se branlant dans son lit » avec ses trois mains, son Pyjama de soie et sa honte de soi. On leur souhaite beaucoup d’enfants, beaucoup de monstres, beaucoup de bonheur. On nous les souhaite.
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