En reportage dans la province de Québec, où se tient du 15 au 18 novembre l’édition 2023 du festival M pour Montréal, indispensable rendez-vous indie, où se croisent professionnel·les du secteur musical et artistes émergent·es depuis 2006, notre journaliste François Moreau vous écrit.
Mercredi 15 novembre – Il fait nuit à Montréal. En fin d’après-midi, le Québec apprenait la mort de Karl Tremblay, chanteur des Cowboys Fringants, un groupe culte ici. Il avait 47 ans et se battait contre un cancer de la prostate depuis plus d’un an. Au comptoir du Bruno Sport Bar, le rade du Napolitain Agostino, des copains, tous mouillés jusqu’au cou dans le racket de la musique, s’en émeuvent, mais s’en remettront. Ils me demandent : “C’est qui, l’équivalent en France ?” Johnny Hallyday, peut-être, mais lui a déjà raccroché les gants. Tenter de répondre à cette question, c’est comme vouloir traduire littéralement une expression idiomatique. Les proportions ne sont pas les mêmes.
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Tout le monde ici connaît Tremblay, et même celles et ceux qui n’avaient aucune appétence pour sa musique connaissent les chansons des Cowboys Fringants. Un appel à l’initiative d’un certain Jean-Philippe Marcil, directeur des programmes de la radio 107.3 Rouge FM a même été lancé pour que le maximum de radios québécoises jouent simultanément le lendemain, à 8 heures, la chanson Sur mon épaule, l’un de leurs morceaux les plus populaires.
Viva España
Un peu plus tôt dans la journée débutait la première journée du festival M pour Montréal avec des ateliers, conférences et autres rendez-vous de réseautage. Des trucs de professionnel·les de la musique, concerné·es par des questions de publishing, de façons rénovées de promouvoir les artistes, de réseaux d’échanges. Les premiers concerts de la journée, sur les coups de 12 h 30, sont à mettre au crédit de la délégation espagnole, venue à Montréal avec trois groupes dans le cadre du module Sounds from Spain. Un intitulé qui sonne comme le nom d’une compile Light in the Attic, pour un enjeu d’exportation à l’étranger des artistes musicaux·les made in España, dont Rosalía est devenue l’emblème en trompe-l’œil, tant tout ce qu’il se passe là-bas nous reste parfaitement inconnu.
En route pour la Sala Rossa, où se déroule cette petite sauterie, je passe devant l’ancienne maison de Leonard Cohen, rue de Vallières, à l’écart du boulevard Saint-Laurent – artère emblématique de la ville –, juste en face du petit parc du Portugal, dont l’entrée est signalée par des azulejos. Sur place, je rencontre Isabel Aranda, cheffe du département musique de la puissante ICEX España Exportación e Inversiones, entité publique de promotion à l’internationale des entreprises espagnoles, dont Sounds From Spain est l’un des programmes culturels. En gros, m’explique-t-elle, le but ici est de filer un coup de main aux PME de la musique espagnole qui ont dans leur catalogue des projets au potentiel d’exportation fort et qui ne donnent pas forcément dans le flamenco – déjà inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, dixit l’Unesco.
Sur scène ont défilé trois bands : Ghouljaboy, Júlia Colom et Belako. Le premier est le one-man band de Jordi Arroyo, un jeune type venu de la localité de Jerez (Andalousie) qui donne dans la bedroom pop. Il est d’habitude accompagné d’un groupe sur scène, mais il explique que ses musiciens sont restés en Espagne pour participer à un championnat de e-sport. On a tous ici-bas nos priorités. Toujours est-il que le gars se débrouille bien avec sa guitare, son sampler et ses boîtes à rythmes. Lui, chante en castillan. En revanche, Júlia, originaire de la petite île de Mallorca, convoque la musique populaire et traditionnelle de chez elle, en catalan des Baléares. Son interprétation est viscérale, intense et sensible, traversée par des émotions typiquement espagnoles liées à la terre et à la mémoire – le meilleur exemple, c’est ce morceau, Olivera, qui évoque les champs d’oliviers de là où elle a grandi.
De son côté, Belako jouit déjà d’une petite notoriété, notamment en Angleterre, où ils sont régulièrement mentionnés. Venu de la région de Vizcaya, au Pays basque, le band a déjà fait les premières parties de Liam Gallagher et la joue rock nineties, emo 2000 – Cris, au chant, arbore un t-shirt d’Avril Lavigne. Bien en place, Belako a détaillé son catalogue en anglais et en euskara, qui parle de la “perte”, a précisé Cris dans un français impeccable, mais aussi de la violence machiste, dans un éventail large d’expression rock et de mélange des genres.
Cocktail de rentrée
Plus tard dans l’après-midi, j’ai passé une tête au cocktail d’ouverture du festival, où les invité·es se promènent avec leur badge autour du cou comme dans un séminaire IBM. Je croise des copains, je serre des pinces, je regarde Teon Gibbs, un rappeur venu de Vancouver fan de Nas, sauter partout sur scène. Et puis j’ai filé au Bruno Sport Bar.
Avant de retourner dans la salle de l’Ausgang, où l’immense Boy Golden a livré, avec ses acolytes (trois guitares, une basse, une batterie), une performance 100 % americana bluffante, qui aurait réjouit Willie Nelson et Townes Van Zandt, je fais un saut dans le bar/resto/salle de concert Le Système, sur St. Hubert, monté par Sebastian Cowan, fondateur du mythique label montréalais Arbutus. Un show est en cours. C’est Zach Frampton, qui réunit, autour de ses claviers, une bande de musiciens jazz donnant dans l’improvisation, avec un chanteur/poète et crieur public, exaltant des forces mystiques qui semblent sur le coup nous dépasser. Si la musique est la courroie de transmission qui nous réunit, la frontière entre musicien·nes et non-musicien·nes reste une ligne qui continue de séparer deux mondes spirituels distincts.
La suite demain.
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