A l’occasion de l’entrée au répertoire de la Comédie-Française du Mariage de Witold Gombrowicz, rencontre avec sa femme, Rita Gombrowicz, qui nous éclaire sur la relation ô combien contradictoire de son mari avec le théâtre….
Comment définiriez-vous l’attitude contradictoire de Witold Gombrowicz vis-à-vis du théâtre qui consistait à trouver le théâtre détestable, ce qui ne l’a pas empêché d’écrire trois pièces et, surtout, de considérer que toute son uvre était théâtrale ?
C’est très compliqué. Je me suis toujours demandé pourquoi il a commencé par écrire une pièce de théâtre. Yvonne, princesse de Bourgogne a été écrite immédiatement après sa sortie de l’école, avant même Ferdyduke. Donc, il se sentait homme de théâtre. C’était en 1935. Il a fait lire sa pièce à des acteurs et une grande actrice de Pologne a dit : « Ça ne vaut rien. » Alors, il ne l’a pas publiée tout de suite. Il détestait les acteurs !
Il m a raconté qu’il écrivait couché dans son lit ; mais, pour cette pièce, il était allongé sur le sol pour surveiller son père qui était très malade en décembre 1933. Publier cette pièce, pas tellement pour être joué, correspondait plutôt à une nécessité profonde et interne. Gombrowicz, c’est d’abord et avant tout un metteur en scène ; ça part du problème de la forme et de l’immaturité. Il n’était pas bien dans sa peau et il se mettait en scène pour essayer d’être à la hauteur des choses. Il a passé sa vie à mettre en scène son moi, notamment dans son Journal.
Ensuite, son accès au théâtre a été complètement retardé parce qu’on n’a pas joué cette pièce, Yvonne, princesse de Bourgogne, la guerre est arrivée et il a dû tout recommencer en Argentine. Il écrit Le Mariage, une pièce difficile, presque injouable. A l’époque, il n’était pas connu et elle n’a pas été publiée. Puis, elle est publiée mais pas jouée Mais son retour à la littérature en Argentine, c’est du théâtre. Et il a terminé sa vie avec Opérette, en écrivant du théâtre.
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Comme s’il condensait toute l’expérience accumulée par ailleurs dans trois uvres écrites à des moments-clés.
Moi, je crois que c’était inhérent à sa nature, le théâtre, la mise en scène. Pourquoi n’aimait-il pas les acteurs ? Il avait une conception extrêmement aristocratique de l’art et c’était le créateur qu’il mettait en premier. A notre époque, le metteur en scène est la vedette, les acteurs deviennent des vedettes. Pour lui, c’était comme si le secondaire prenait le dessus sur ce qui est fondamental, c’est-à-dire la création. Et c’est pourquoi il aimait tant la composition musicale qu’il mettait très au-dessus de la littérature. Il y avait la musique, la philosophie et la littérature. Mais tout ce qui était interprétation, il faisait semblant de le mépriser ! Il avait un monde très hiérarchisé du point de vue artistique, une conception à l’ancienne. Il payait de sa personne car il considérait que l’art est extrêmement exigeant, presque une conception monacale.
Etait-ce important pour lui que les pièces soient jouées ?
Je dirais que le théâtre, pour lui, c’est comme le sex-appeal de son uvre. Le théâtre lui permettait d’accéder directement à un public. Et puis, toute cette conception de « l’Eglise inter-humaine », c’est très théâtral : A en face de B n’est pas le même qu’en face de C’
Mais ce terme d’Eglise fait du théâtre une sorte de rituel.
N’oubliez pas qu’il était de formation catholique, même s’il était athée, il restait une structure Il s’appuyait sur ce qu’il avait en lui, c’est un polonais.
On retrouve les thèmes de ses pièces dans ses romans, ses poèmes ou son Journal. Que cherchait-il en opérant cette transcription de thèmes similaires d’une forme littéraire à l’autre ?
Il avait une immense admiration pour Shakespeare. Il me disait : « Dis-moi deux vers de Shakespeare et je te dirai dans quelle pièce ils se trouvent.. » Ça lui correspondait. Si vous regardez toute l’ uvre de Gombrowicz, chaque texte est une parodie d’un genre littéraire. Donc, son théâtre est une parodie de Shakespeare. Dans Le Mariage, on retrouve Hamlet. Dans le troisième acte du Mariage, il y a une scène terrible avec la jeune fille quand le héros, Henri, est possédé par la jalousie, comme dans Othello. On retrouve toujours Shakespeare et toutes ses grandes scènes, comme, à la fin, le grand cortège funèbre qui nous entoure. Il partait d’une parodie, et à travers elle, il pouvait s’exprimer. C’est toujours sa conception de la forme, qui n’est jamais authentique : c’est à travers le théâtre, à travers le côté artificiel de l’être qu’il utilise, qu’on est dans la liberté.
Sauf que, chez Shakespeare, la jalousie est provoquée par des agents extérieurs qui l’instillent au c’ur d’un être. Or, dans sa présentation du Mariage, Gombrowicz précise que les actions ne sont pas des actions, c’est l’intériorité d’Henri qui se manifeste sur les autres personnages.
C’est le rêve d’Henri. En fait, il n’y a qu’un acteur dans Le Mariage, c’est Henri. Tous les autres ne sont que le produit de son imagination. Mais c’est aussi provoqué de l’extérieur. Prenez la jalousie chez Gombrowicz : c’est la forme qui crée la forme qui est entraînée dans cette sorte de boule de neige sans fin qui produit la forme Marguerite doit épouser Henri pour retrouver sa dignité. Ne la voyant jamais à côté du meilleur ami d’Henri, il place une fleur derrière eux de façon à provoquer la jalousie d’Henri. La forme de la fleur a déchaîné la jalousie d’Henri. C’est tout ce qu’il y a de plus extérieur comme agent de la jalousie d’Henri. Alors, il demande à son ami de se suicider, pour supprimer la cause de sa jalousie ! C’est le théâtre de la cruauté.
Que pensait Gombrowicz de la prédominance du metteur en scène dans le théâtre du XXè siècle ? Je pense notamment à Kantor qui a monté La Classe morte en s’inspirant de son roman Ferdyduke.
Sans doute y avait-il des liens avec Witkiewicz concernant cette notion de la « forme pure », mais ce n’est pas le même univers. Le théâtre de Gombrowicz est un théâtre d’idées où le biologique est très fort. Mais je ne crois pas qu’il ait voulu formuler des conceptions théoriques sur le théâtre : ça ne l’intéressait pas.
En fait, il n’allait jamais au théâtre.. Il a vu, exceptionnellement, avec un ami, en Argentine, Le Procès de Kafka par Jean-Louis Barrault et il l’a rencontré pour voir s’il pouvait mettre en scène Le Mariage ! ! Il était vraiment dans la contradiction, car c’était lui-même un grand metteur en scène et un acteur, et il n’allait jamais au théâtre comme il n’a jamais assisté à une répétition de ses pièces ! Il donnait carte blanche, comme si ça ne lui appartenait plus.
Voilà qui pose très précisément le problème de la forme
C’est aussi une forme de grandeur de rester dans sa création et de laisser les autres interpréter sa propre création. Il ne voulait jamais être dans l’interprétation.
Avait-il le désir de faire du Mariage une pièce quasiment injouable ?
Je crois qu’il ne désirait rien d’autre que son uvre soit lue par le plus grand nombre et qu’elle soit jouée. Simplement, il ne faisait pas de concessions en ce qui concernait l’écriture. Il voulait réécrire Le Mariage parce qu’il ne connaissait des mises en scènes de cette pièce que les critiques qu’il en avait lues, et il avait très peur d’ennuyer, donc il voulait couper dans le texte. Plus on éditait le texte, plus il voulait le reprendre et couper.. C’est la pièce qu’il aimait le plus. C’est théâtral, mais pas au premier degré comme Opérette.
D’ailleurs, à propos d’édition, j’aimerais vous signaler la parution des uvres complètes de Gombrowicz en poche chez Folio-Gallimard. Cela lui aurait fait plaisir, car il n’aimait que les livres de poche. Quand on lui envoyait des éditions rares, il les renvoyait !
Manifestations autour de l’ uvre de Witold Gombrowicz
10 mai
19 h, Institut Polonais
Des personnalités lisent des extraits de textes de Gombrowicz et commentent leur choix.
12 mai
De 15 h à 18 h à l’Institut Polonais
Lectures d’extraits de l’ uvre de Gombrowicz par des amateurs.
Projections permanentes de : Bibliothèque de poche, interview en français de Gombrowicz, réalisée par Michel Polac, et de Moi, Gombrowicz, réalisé par Andrzej Wolski.
16 mai
17 h 30, FNAC Saint-Lazare
Rencontre autour du spectacle Le Mariage présenté à la Comédie Française. En présence des comédiens et de Rita Gombrowicz, animée par Jean-Loup Rivière.
Du 21 au 27 mai
Cinéma MK2 Hautefeuille
Cycle Gombrowicz. Projections de films inspirés de ses uvres.
21 mai
20 h 30, La moindre des choses, de Nicolas Philibert. Suivi d’un débat en présence du réalisateur.
22 mai
12 h, Signs and Wonders de Nossiter Jonathan.
29 mai
18 h 30, Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Lecture de la Correspondance Gombrowicz-Dubuffet (Editions Gallimard, 1995) par Jean Dautremay. Réalisation Jean-Loup Rivière.
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