Ce week-end se tenait à Nîmes la cinquième édition de This Is Not a Love Song, un festival marqué par des excès scéniques en tous genres, un soleil de plomb et la présence massive du gang des Turbojugend. Des délires psychédéliques de Pond aux outrages de Royal Trux, retour sur un week-end assourdissant.
« Les tribus n’existent plus en musique ; aujourd’hui, il y a juste la musique, dans une énorme orgie dégueulasse. » Quelques dizaines de minutes après son concert avec Make-Up dans la Grande Salle de Paloma, Ian Svenonius, leader charismatique et éclairé d’une scène rock underground encore bel et bien vivante, reçoit une poignée de gens des médias pour parler de la sortie française de son best-seller, Stratégies occultes pour monter un groupe de rock (éditions Au diable Vauvert). Ironie de l’Histoire, sur la même scène qui a vu Svenonius s’enflammer comme une torche humaine trois heures plus tôt, jouait Turbonegro. Tout en outrance kitch, le groupe de deathpunk made in Oslo a drainé sur son passage des centaines de membres de la Turbojugend, fan-club historique de la formation norvégienne et gang burlesque au look badass. L’une de tribus rock les plus importantes de ces dernières décennies.
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Des outrances scéniques
Dans les dédales de Paloma, scène de musiques actuelles inaugurée à Nîmes en septembre 2012, et de son jardin éphémère, on en croise partout. Facilement reconnaissables, ils portent des vestes en jean floquées du nom de leur communauté et du logo du groupe : une casquette en cuire façon YMCA. De l’avis général, pourtant, le concert de ce soir n’a pas convaincu outre mesure. Ce qui n’empêchera pas la Turbojugend de passer le week-end à Nîmes. Il faut dire qu’en matière d’outrances scéniques, il y avait de quoi faire.
Comme avec HMLTD, par exemple. A la manière de Richie Finestra face aux New York Dolls dans la série de Martin Scorsese Vinyl, beaucoup ont eu une révélation en voyant les londoniens pour la première fois sur scène. Quelque chose de l’ordre d’un vieux fantasme rock’n’roll ressuscité, dans une époque où épiphanies dubstep et guitares surf peuvent cohabiter sur un même morceau sans faire tiquer. Ou presque. Rencontré quelques heures plus tôt, Henry Spychalski, chanteur du groupe, nous confie à quel point les concerts de HMLTD peuvent susciter des effets puissants d’attirance et de répulsion chez le public : « il y a une communauté qui se crée entre nous et notre public. En revanche, ceux qui détestent sont capables de quitter la salle. On est un groupe qui divise ». On l’avait constaté lors de leur passage dans la salle parisienne du Point Ephémère le mois dernier, on a pu de nouveau le vérifier ce week-end. Tuant maintes fois Ziggy dans une série de gesticulations glam et androgynes, Henry s’est imposé en showman incontesté, tandis que le groupe a tenu son set contre vents et marées, malgré quelques problèmes techniques et, sans doute, la pression de vouloir se montrer trop grand.
Pas de problèmes techniques du côté de Royal Trux en revanche, qui jouait sur la même scène. Mais il s’est dégagé de la formation de D.C. une véritable tendance autodestructrice, voire carrément suicidaire, flirtant avec quelque chose de l’ordre de l’escroquerie géniale et radicalement rock. Ce qui n’a rien de nouveau, mais qui surprend encore tant le spectacle donné à voir au public fascine. Sous le regard de Michel Cloup au premier rang, Jennifer Herrema titube une bouteille à la main, braille ses chansons, repart backstage, revient, tout cela au milieu d’un set crasseux et jouissif. « C’est vraiment une honte, tout ça n’est tellement pas professionnel », lâchera-t-elle en marmonnant, avant de s’allumer une énième clope. Le groupe sort un album live ces jours-ci, qui donne à entendre à quel point Royal Trux est génial. Il n’aura clairement pas été enregistré à Nîmes ce week-end. Mais quelle claque !
https://www.youtube.com/watch?v=0mlVzN4wbG8
Des révélations
Dans un autre style, les bourguignons de Johnny Mafia ont retourné le patio de Paloma. Une pinte nous a même frôlé l’épaule avant de venir s’écraser sur le visage d’un type dans le public. Une pluie de bière s’est abattu sur les premiers rangs dès les premiers accords de ces sales mômes, que l’on croirait échappés d’un film de Richard Linklater. On pense évidemment à Black Lips, mais aussi à toute la scène slacker époque Mac DeMarco pré-Salad Days. Le genre de groupe à guitares capable d’introduire une chanson avec des phrases débiles du genre « la prochaine chanson s’appelle Secret Story, parce qu’on était des grands fans », qu’on ne pensait pas revoir de sitôt.
Dans un genre plus garage-revival 60’s, Johnny Mafia recommande au public de TINALS de se déplacer pour assister au concert des Grys-Grys, formation montpelliéraine signé sur le label anglais Dirty Water Records, que nous n’aurons malheureusement pas l’occasion de voir. Les nostalgiques des Yardbirds peuvent écouter cela ici-même.
Petite claque également du côté du nord de l’Angleterre, avec la cool performance des mancuniens de Spring King. On vous parlait ici déjà de l’étonnante scène garage de Manchester, en prédisant un avenir radieux à ce quartet. Deux ans plus tard, les voilà signés sur une major et programmés à la même heure que Moderat dans l’un des festivals les plus importants de France. Quelque part entre la morgue post-punk d’un groupe comme Shame (qui jouait juste avant) et la déconne plus chill de Fidlar.
Sous un solide cagnard, jouait dimanche KoKoKo ! Le collectif d’artistes congolais, fringués en combinaison jaune comme les Américains de Devo, s’est associé avec le génial producteur français Débruit, qui poursuit ici son champ d’exploration et d’expérimentation des musiques africaines. Alliant instruments entièrement DIY et musique électronique, cette collaboration fait plus que jouer avec les rythmes hybrides à cheval entre tradition et modernité, elle invente carrément une esthétique nouvelle qui, sur scène, fait se confondre fête synthétique et cérémonie expiatoire.
Des confirmations et des déceptions
Côté esthétique nouvelle, Danny Brown tient aussi sûrement quelque chose. Malheureusement, le rappeur de Détroit se fout éperdument d’être ici parmi nous et assure un service minimum, multipliant gimmicks un peu vains et signes de lassitude, qu’il revendique insidieusement en portant un t-shirt floqué d’un enfants riches déprimés bien cynique. Au même moment, de l’autre côté du festival, Chris Cohen assure avec grâce un set sensible et quasi-virtuose.
Le lendemain, Echo & the Bunnymen n’a pas pu s’empêcher de clasher U2 entre deux classiques d’Ocean Rain. « Vous me prenez pour qui ? Cet enfoiré de Bono ? », lâchera Ian McCulloch, après avoir feint de reprendre un morceau a capella. Un peu plus tard, Requin Chagrin continue de montrer des signes de progression et confirme son statut de groupe incontournable de la pop chantée en français. Après en avoir discuté autour d’une bière, on apprend notamment qu’ils se sont libérés d’un trac paralysant à force de tourner, et qu’un nouvel album est en cours d’écriture.
En parlant d’incontournables, John Dwyer et Thee Oh Sees étaient encore de la partie, tout comme Stu Mackenzie et King Gizzard & The Lizard Wizard (que nous n’aurons pas le temps de voir, mais dont nous vous parlions la semaine dernière ici). Ils étaient programmés aux côtés de Black Angels, Primal Scream et Pond. Un peu comme si Pink Floyd, les Beatles et Grateful Dead avaient rejoint le line-up du festival d’Altamont aux côtés des Rolling Stones en 69. Les heurts meurtriers en moins. On se souviendra longtemps de la classe en toute circonstance de Bobby Gillespie et de l’insolente gouaille juvénile d’un Nick Allbrook (leader de Pond) qui va, contre toute attente, fêter ses trente ans cette année.
https://www.youtube.com/watch?v=EcZtAq7CbqQ
En attendant peut-être de voir un jour PIL jouer This Is Not a Love Song à TINALS, on notera une recrudescence dans le public de la pratique du air guitar sur les solos de synthé et que si, comme Ian Svenonius le dit, énorme orgie musicale il y a en 2017, celle-ci est loin d’être dégueulasse.
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