Des artistes contemporains dévoilent pour la première fois leurs collections personnelles dans les murs de la fondation Yvon Lambert en Avignon. Collections d’artistes, est la plus privée des expos de l’été, et nous confronte à une histoire de l’art plus intime qu’officielle.
C’est souvent sur le mode du troc, de l’échange amical, de la reconnaissance mutuelle que les artistes du XXe siècle constituent une bonne part de leurs collections personnelles. Elles sont ainsi faites de rencontres plus ou moins fortuites, d’amitiés durables, voire d’échanges ratés, tel cet impressionnant portrait de Barceló par Warhol, qui mourra avant d’en recevoir la contrepartie.
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On entre ici dans une autre histoire de l’art, plus affective que muséale, on suit les relations continues de Nan Goldin et de David Armstrong, on reconnaît autour de Douglas Gordon, David Shrigley et Jonathan Monk, le petit groupe artistique de Glasgow, et l’on découvre chez Daniel Buren, outre ses relations avec Sol LeWitt, Dan Graham, Carl Andre et avec tout le milieu artistique des années 70, un attachement profond à l’Internationale situationniste qui l’a amené à acquérir la seule peinture de Guy Debord.
Mais peut-on être artiste et collectionneur ? A cette question, les collections d’artistes contemporains présentées en Avignon sont évidemment variées : d’une part, il y a la « collectionnite » assumée de Jean-Jacques Lebel, possesseur entre autres d’encres sur papier de Baudelaire ou de Guillaume Apollinaire, et de l’autre côté on enregistre très souvent, comme chez Nan Goldin, Christo ou même Jasper Johns, pourtant possesseur de dessins de Cézanne, d’ uvres de Matisse ou Duchamp, un vrai refus de se dire collectionneur.
Cette méfiance permet aux collections d’artistes de se démarquer radicalement des autres collections, privées ou étatiques, à l’image de la Dark room de David Armstrong, qu’on n’imagine dans aucun musée : un cabinet privé où le photographe américain donne vie à son imaginaire homosexuel, depuis une photo dédicacée de Cocteau jusqu’au portrait de Joe Dallessandro, l’icône des films underground de Warhol. Un musée fantasmatique.
De fait, ce qui marque dans cette exposition aussi rare que précieuse, c’est l’éclectisme absolu de ces collections d’artistes, ouvertes très largement aux arts non occidentaux : chez Arman, des statuettes de l’île de Pâques, des cache-sexe africains, un bouclier aborigène et d’impressionnantes armures japonaises côtoient des peintures de Picasso ou d’Yves Klein.
Au dernier étage, l’exposition ressemble davantage encore à un cabinet de curiosités où s’accumulent les objets religieux obsessionnellement compulsés par Andres Serrano, mais aussi les reliquaires, ossements de saints, chaussures chinoises, animaux empaillés, objets en sucre et tresses de cheveux d’enfants morts qui constituent la part la plus énigmatique de la collection de Nan Goldin.
Au contraire des grandes collections publiques qui tendent à construire une histoire officielle de l’art, ces Collections d’artistes sont à chaque fois une vraie proposition de contre-culture. Abolissant les frontières et les hiérarchies, faisant se côtoyer le grand Art et les objets triviaux, donnant autant de prix à une grande toile de Basquiat qu’à un bout de papier crayonné par un ami sur un coin de table, luttant parfois pour la réhabilitation d’artistes méconnus, comme Jean-Pierre Raynaud présentant ici l’ uvre de Gérard Deschamps, les artistes montrent combien ils ont l’œil vif, mais aussi l’esprit ouvert, et surtout le regard large. C’est en définitive tout le sens de cette exposition : un galeriste rend hommage aux artistes, à leur pulsion scopique, à leur façon de voir monde.
Collections d’artistes, Hôtel de Caumont, 5, rue Violette, Avignon.
Tous les jours sauf le lundi, de 11 h à 19 h, jusqu’au 14 octobre
Tél : 04.90.16.56.20
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