Si la Britpop ne semble plus susciter de vocations, le Royaume-Uni continue d’être un terreau fertile. Face à un contexte politique et social difficile, la jeunesse cherche de nouvelles formes d’expression.
Big Joanie reprend le combat rock
“Hello, nous sommes Big Joanie, un groupe punk, noir et féministe !” C’est par cette formule répétée comme un mantra et distribuée comme un tract que le trio londonien formé par Stephanie Phillips, Chardine Taylor-Stone et Estella Adeyeri a pris l’habitude de se présenter sur scène et en dehors. Ça veut dire quoi, être punk ? “Ce n’est pas juste une façon de faire de la musique, c’est une manière de challenger l’ordre des choses. Un espace dans lequel en tant que femmes queer et noires, on pouvait entrer et s’épanouir. Tout est punk, parce qu’on est punk”, martèle Stephanie.
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Le punk et le féminisme sont entrés en collision avec elle après la découverte du mouvement Riot grrrl et sa rencontre avec Chardine lors d’un meeting féministe noir, où cette dernière s’était rendue avec un sac estampillé du nom The Raincoats. Il n’en fallait pas plus pour monter un groupe qui reprend le combat rock là où The Clash, Sleater-Kinney ou encore X-Ray Spex l’avaient laissé.
Si vous aimez : The Raincoats, The Clash, Sleater-Kinney.
Morceau de référence : In My Arms.
Heartworms ravive la flamme goth
Découverte par Dan Carey du label Speedy Wunderground, Jojo Orme, alias Heartworms, ravive la flamme goth avec une certaine audace. Un jour, alors qu’elle publie des morceaux sur Soundcloud, elle est contactée par Dan via Instagram : “Il m’a DM pour me dire que j’avais une belle voix et m’a proposé de faire un morceau. Je me suis dit : ‘Holy fuck!’ Ça a donné Take One for the Family. Après ça, mon ex m’a encouragée à lui envoyer mes demos. Et me voilà ici aujourd’hui.” À l’âge de 14 ans, Jojo est surprise par sa mère en train de fricoter avec un garçon et se retrouve assignée à résidence : “Je n’avais droit ni aux réseaux sociaux ni à mon ordinateur. Je me suis donc consacrée à la guitare.”
La première chanson qu’elle apprend à jouer est Hey There Delilah, de Plain White T’s, puis viendront Jeff Buckley, Grateful Dead, First Aid Kit. Du jazz aux variations emo du rock, Jojo ratisse un large pan de la musique, avant de trouver sa voie dans le postpunk aux relents gothiques et industriels. Son premier EP, Consistent Dedication, évoque un The Cure funky (Pornography est l’un de ses albums préférés), où synthétiseurs, boîtes à rythmes et guitares se tirent la bourre, et laisse présager du meilleur.
Si vous aimez : The Cure, PJ Harvey, Joy Division.
Morceau de référence : Consistent Dedication.
Rainy Miller se shoote au grime
Rainy Miller vient de Preston, ville portuaire située entre Blackpool et Blackburn, mais est établi à Manchester depuis belle lurette. À l’instar de Space Afrika, Iceboy Violet, Aya ou Blackhaine (le 10 juin au festival Ideal Trouble, à Paris), Rainy a trouvé dans les rues de l’ancienne cité ouvrière les motifs d’exaltation musicale qu’il cherchait depuis tout gosse, quand il a entendu pour la première fois Prodigy : “Notre rapport à la géographie a changé, il ne s’agit plus de trouver un endroit, mais des gens avec qui construire quelque chose. Il se trouve qu’il y a un fort contingent de ces personnes à Manchester en ce moment”, nous dit-il.
Sa mère avait sa carte de membre à l’Haçienda, club mancunien mythique et épicentre du Second Summer of Love dans les années 1980, et son beau-père écoutait The Style Council. Lui, c’est au grime qu’il se shoote et, comme sa bande de potes, n’a que faire des figures héroïques de la ville que sont Joy Division ou les Smiths. Son Haçienda à lui, c’est le White Hotel, rade de tous les possibles. Ses atmosphères, plutôt celles d’Autechre. Limbs (2019), son premier album, en a fait le Frank Ocean britannique. Desquamation (Fire, Burn. Nobody) (2022), le deuxième, l’a vu s’aventurer sur des terrains plus expérimentaux.
Si vous aimez : Autechre, Frank Ocean, Oneohtrix Point Never.
Morceau de référence : Way Out.
Bar Italia plonge dans des mondes engloutis
Si Bar Italia cultive l’art du mystère – le trio formé par Nina Cristante, Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi n’accorde aucune interview –, c’est peut-être parce qu’il n’y a rien de plus à ajouter. Les deux premiers albums des Londonien·nes, Quarrel (2020) et Bedhead (2021), sont sortis chez World Music, le label de l’incontournable Dean Blunt. Le troisième, Tracey Denim, vient d’être publié par Matador, sans que la capacité du groupe à fasciner ne soit diminuée.
Sur scène, Bar Italia cultive l’immobilité et se contente de se laisser happer dans les boucles bruitistes et mélodieuses de ses guitares qui peuvent rappeler Sonic Youth ou le Velvet. Sur disque, c’est une plongée dans un monde englouti sous les échos et les larsens que Nina et ses acolytes nous proposent, comme si ces trois-là s’étaient fixé l’objectif de nous balader dans les recoins interlopes d’une mégapole sur laquelle le jour ne point jamais. Éphémère ou non, Bar Italia marque déjà quelque chose, sans savoir s’il est l’époque ou son exact opposé.
Si vous aimez : Sonic Youth, My Bloody Valentine, The Velvet Underground.
Morceau de référence : Polly Armour.
Nabihah Iqbal voyage en songes sonores
“En Écosse, le soir, j’assistais aux nuits les plus noires que j’avais jamais eu l’occasion de voir. Tout était si calme, si apaisant, si inspirant. J’y ai vu la possibilité de penser ma musique différemment, de m’autoriser les silences, la respiration”, confiait Nabihah Iqbal aux Inrockuptibles en avril dernier. La Londonienne d’origine pakistanaise revenait alors sur le contexte d’écriture de Dreamer (2023), son deuxième album après le visionnaire Weighing of the Heart, paru en 2017.
C’est drôle, parce que cette légèreté de l’âme, ces respirations, cette impression d’engourdissement nous saisissent à l’écoute de la musique de Nabihah, qui tient moins des références conscientes qui percent à travers son nuage sonique (The Cure, Kate Bush) que de cette volonté d’abstraction et de soustraction du brouhaha de l’époque. Ce n’est sans doute pas un hasard si Dreamer s’appelle Dreamer, tant tout ici relève du voyage et de la matière en suspension.
Si vous aimez : Kate Bush, Boards of Canada, Cocteau Twins.
Morceau de référence : Zone 1 to 6000.
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