Les New-Yorkais ont enregistré “Juice B Crypts” en fonçant tête baissée pour un résultat explosif.
Subitement, les feuilles mortes crépitent, les arbres s’illuminent, le ciel devient écarlate, l’air s’électrise, tout l’automne flamboie : c’est l’effet magique de Juice B Crypts, le quatrième album de Battles, qui surgit, éclatant, au beau milieu de ce mois d’octobre. Il succède à Mirrored (2007), Gloss Drop (2011) et La Di Da Di (2015), quatre ans séparant chaque nouvel enregistrement du précédent.
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Mû avant tout par une fantastique dynamique rythmique, le groupe – qui s’était révélé au monde avec les deux maxis EP C et B EP, réunis sur un même long format en 2006 – maintient ainsi une impeccable régularité de production en dépit des changements internes survenus depuis sa mise en branle.
Un album enregistré en situation d’urgence
Formé à New York au début des années 2000 par le (phénoménal) batteur John Stanier, le guitariste/claviériste Ian Williams, le bassiste Dave Konopka et le multi-instrumentiste/chanteur Tyondai Braxton, Battles a donc d’abord opéré sous forme d’un quatuor. Braxton ayant quitté le navire après l’immense premier lp, la formation s’est alors reconfigurée en trio et se trouve à présent réduite à un duo après le départ de Konopka. Ce dernier s’est éclipsé en 2018, même si la nouvelle n’a été officialisée que récemment, en amont de la sortie de Juice B Crypts.
“Il n’y a pas de raison majeure à son départ, assure John Stanier, de passage à Paris en septembre. Je pense qu’il n’en avait simplement plus envie. Il ne voulait plus du tout partir en tournée, il était fatigué d’être dans Battles. Ian et moi n’en avions pas du tout conscience. Ça nous a donc pas mal surpris mais, avec le recul, je pense que c’était un mal pour un bien.”
“En tout cas, ça s’est passé sans heurt. Si quelqu’un n’est plus heureux dans un groupe, n’a plus envie de continuer, il ne faut pas le forcer. Sinon, la situation risque de devenir vraiment pas drôle…” Konopka désormais hors jeu, Stanier et Williams, bien résolus à poursuivre l’aventure, se sont retrouvés en situation d’urgence et ont foncé tête baissée dans la confection de l’album.
La parfaite bande-son d’une métropole moderne
“Dave est parti alors que nous commencions à peine à travailler sur l’album, raconte John Stanier. Nous étions déjà en retard, nous n’avions pas le temps de méditer longuement sur la forme à donner. Au tout début, Ian a passé des heures en studio, générant des sons, faisant des boucles, manipulant la matière et enregistrant tout ce qu’il produisait.”
“Il y avait donc énormément de matériau disponible. Ensuite, je suis entré dans la partie, j’ai choisi ce qui me stimulait le plus dans tout ce matériau, et nous avons commencé à travailler ensemble à partir de là. Nous avons fonctionné en allers-retours. Les pièces se sont bien imbriquées, et tout a fonctionné comme il fallait.”
“New York a eu une grande influence, même s’il est difficile de l’identifier précisément”
Hautement énergétique et joyeusement kaléidoscopique, parfaite bande-son d’une métropole moderne, Juice B Crypts est le premier disque de Battles entièrement conçu à New York, les trois précédents ayant tous été réalisés aux studios Machines with Magnets dans l’Etat de Rhode Island, en mode réclusion intensive.
“Nous avions besoin de changer d’endroit, nous voulions quelque chose de nouveau, déclare John Stanier. C’était génial de faire l’album à New York. La ville a eu une grande influence, même s’il est difficile d’identifier précisément cette influence, de la pointer ici ou là. Elle est plutôt d’ordre subliminal. Aurions-nous fait le même disque si nous l’avions enregistré dans le désert en Arizona ? Probablement pas (rires).”
Une pléthore d’invités
John Stanier et Ian Williams – qui vivent tous les deux à Brooklyn, à proximité l’un de l’autre – ont eu l’opportunité d’enregistrer aux Red Bull Studios en interaction étroite avec Chris Tabron, jeune producteur et ingénieur du son new-yorkais déjà nanti d’un CV rutilant (Beyoncé, The Strokes, Son Lux, Mobb Deep, Ratking…).
“Notre manager connaissait Chris Tabron, explique John Stanier. Nous nous sommes très bien entendus avec lui. Il travaille très vite et contribue beaucoup au processus créatif. C’était exactement ce dont nous avions besoin.” De fait, Chris Tabron semble avoir joué ici le rôle de troisième membre, ce qui était sans doute nécessaire à ce moment-là de la vie de Battles.
Plusieurs invités, et non des moindres, ont par ailleurs contribué à l’album : de Sal Principato (chanteur de Liquid Liquid, groupe phare du New York des années 1980) à Tune-Yards en passant par Shabazz Palaces, Xenia Rubinos (jeune auteure-compositrice-interprète new-yorkaise), Prairie WWWW (groupe taïwanais XXL de rock psyché) et Jon Anderson (le chanteur de Yes, oui, oui, John Stanier étant un fan de rock progressif ) – ces deux derniers sont réunis sur un même morceau, le torrentiel Sugar Foot.
Se distinguant du précédent (La Di Da Di), 100 % instrumental, et se rapprochant davantage de Gloss Drop, Juice B Crypts conjugue instrumentaux et morceaux chantés pour un résultat d’ensemble absolument ébouriffant. Concis et percutant (onze morceaux, quarante minutes), il est sans doute le plus direct et accrocheur de Battles, parfait condensé de la musique unique du groupe : ce free rock sous forte influence techno, à la fois sophistiqué et sauvage, rigoureux et tempétueux, méthodique et chaotique.
Construit comme une boucle infernale (les premières notes du premier morceau faisant écho aux dernières notes du dernier), il appelle des écoutes à répétition et montre une fois encore que la boucle est vraiment l’arme fatale de Battles (l’un des morceaux s’intitule même A Loop So Nice…). Avec cet imparable nouvel album, le groupe se révèle toujours aussi inventif et explosif : indispensable.
Album Juice B Crypts (Warp/Differ-Ant), sortie le 18 octobre
Concert Le 30 octobre, Paris (Trabendo)
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