Produit par Mark Ronson, le sixième album des sales gosses américains au flower punk exubérant pourrait bien être leur meilleur. Interview de deux Black Lips et écoute intégrale d’Arabia Mountain.
Deux ans après 200 Million Thousand, les quatre Américains sont de retour avec Arabia Mountain, album aussi efficace que viscéral produit par l’Anglais Mark Ronson.
Dans un long entretien, Jared Swilley et Cole Alexander nous parlent de la création de ce sixième essai, de leur collaboration avec Ronson, d’Atlanta, de gospel, de l’école et de Plastic Bertrand.
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Vous êtes contents d’avoir enfin de nouvelles chansons à jouer ?
Jared Swilley (chant, basse) : C’est toujours cool d’avoir de nouveaux titres, on est très contents d’en jouer certains sur scène. On doit encore apprendre à les adapter au live mais ça va venir. Dès que l’album sera sorti, on en jouera plus. Pour l’instant, on n’en fait que quatre ou cinq : Modern Art, Dumpster Dive, Family Tree…
Etiez-vous lassés de 200 Million Thousand ?
Jared : Pas vraiment. En concert, on mixe toujours nos anciens titres et ceux de l’album pour lequel on tourne, donc ça nous permet de ne pas trop être écœurés. En plus, on change la setlist tout le temps.
Vous êtes en tournée perpétuelle : quand avez-vous trouvé le temps d’écrire et composer Arabia Mountain ?
Jared : Sur la route justement. Ceci dit, en y réfléchissant, j’ai écrit la plupart des paroles en studio pendant qu’on enregistrait. L’enregistrement a été un long processus. On a fait plusieurs sessions entre l’année dernière et janvier de cette année. On essayait de composer dès qu’on avait un peu de temps.
A Atlanta ?
Jared : Ouais, j’ai beaucoup composé à Atlanta. On a eu notre plus long break là-bas l’année dernière : quatre mois sans concert. On n’avait jamais fait ça auparavant, et comme à côté du groupe, je n’ai pas de job et pas grand-chose à faire, j’en ai profité pour bosser sur de nouvelles chansons (rires).
Vous écrivez chacun de votre côté ?
Cole Alexander (chant, guitare) : Quelques fois oui, mais parfois, on écrit tous ensemble et chacun suggère des bouts d’idées.
Jared : Sur cet album par exemple, j’ai composé une chanson tout seul, mais je galérais sur les paroles, donc je l’ai donné à Cole et c’est lui qui les a écrites.
Ça a l’air très démocratique tout ça…
Jared : Oui, tout suit un processus très démocratique chez nous (rires).
Vous ne vous engueulez jamais sur une idée ou une chanson ?
Cole (lançant un sourire à Jared) : Parfois, mais pas tant que ça.
Vous avez pris beaucoup plus de temps pour enregistrer Arabia Mountain que pour enregistrer vos précédents albums. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ? Vous pensez avoir pu faire de meilleures chansons grâce à ça ?
Jared : Bien meilleures. J’avais enregistré certaines de mes chansons tout seul et nous les avons réenregistrées ensuite pour leur rajouter quelques éléments par exemple. Je suis très content qu’on ait eu le temps de revenir sur ces titres. A un moment, on a cru que l’album était fini, puis on s’est dit « non, on ne peut pas sortir ce disque comme ça, il n’est pas prêt ». Avoir le temps d’enregistrer des titres, de partir en tournée quelques jours, puis revenir et réécouter les morceaux avec un certain recul, c’est un luxe qu’on n’avait jamais eu. On a enfin pris le temps de penser à ce que l’on faisait.
Vous êtes plutôt du genre hyperactif, toujours sur les routes : vous ne vous êtes pas ennuyés enfermés en studio ?
Jared : Non, au contraire, c’est très excitant de travailler en studio. Une fois que tu arrives enfin à recréer sur bande le son que tu as dans la tête depuis des semaines, c’est très stimulant.
A quel moment vous dites vous que vous tenez une bonne chanson ?
Jared : Hum… c’est difficile à expliquer. Ça me fait une sorte de déclic dans la tête. J’ai toujours eu du mal à décrire les sons et les mélodies auxquels je pense, ça me frustre beaucoup, donc quand j’entends enfin sur disque ce que j’avais dans la tête, je sais que ça fonctionne.
Vous fonctionnez beaucoup à l’instinct ?
Cole : Oui, on se fie beaucoup au ressenti que l’on a vis-à-vis d’une chanson. C’est effectivement très instinctif.
Jared : On aime beaucoup le gospel et, bien que je ne croie pas en dieu, je pense qu’on ne peut pas faire plus authentique que cette musique. Ces gens chantent pour ce qu’ils croient être l’éternité et celui qui gouverne cette Terre, on peut difficilement faire plus puissant que ça. Ils chantent pour quelque chose qui, selon eux, durera pour toujours. On ne peut pas recréer une chose pareille. Les plus vieux disques de gospels sont probablement les albums les plus forts et passionnés qui existent, ceux qui ont le plus d’âme – rien à voir avec chanter sur les filles, les fêtes ou les cuites qu’on se prend (rires). J’ai toujours été fasciné par tout cela, et je trouve ça très intéressant d’essayer de s’en approcher au maximum. Et puis j’ai grandi dans une église…
Ton père est pasteur c’est ça ?
Jared : Oui, dans une église gospel. Les gens qui y venaient pour l’office devenaient plus fous que toutes les personnes que j’ai pu croiser sur ma route depuis vingt-sept ans, le tout à dix heures du matin, un dimanche, sans alcool et sans intention de baiser (rires). Cette passion, ce lâcher-prise, ces gens qui tombaient dans les pommes… c’était captivant. Je sais qu’on ne pourra jamais recréer ça au même niveau avec les Black Lips, mais on essaie de s’en approcher.
Ces scènes de passion collective ont du beaucoup t’impressionner quand tu étais enfant…
Jared : Carrément. L’interaction entre les gens me fascinait complètement. L’énergie brute qu’ils dégageaient était aussi très impressionnante. Je n’ai jamais participé à tout cela mais ça ne m’empêchait pas de trouver ces scènes incroyables. Ça m’a beaucoup marqué.
On connait très bien votre réputation scénique, mais on a beaucoup plus de mal à vous imaginer au travail en studio : à quoi ressemble une session d’enregistrement typique des Black Lips ?
Jared : Pas à nos concerts en tout cas ! Personne ne nous jette des cannettes de bières dans la gueule (rires). Ça dépend en fait. Nos potes passent souvent nous voir en fin de journée. On traîne, on rigole, on fume des joints. C’est assez tranquille en fait.
Vous n’allez pas me faire croire que vous êtes hyper sérieux…
Jared : On peut l’être. Lorsqu’on est en studio, on est plutôt concentrés parce qu’il faut payer pour y rester (rires). On ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi.
Où avez-vous enregistré Arabia Mountain ?
Jared : La plus grande partie de l’album, celle produite par Mark Ronson, a été enregistrée dans un studio à Brooklyn.
Cole : Oui, au MetroSonic Studio.
Jared : C’est un endroit très confortable. Les gens qui y bossent sont super sympas. Je crois que c’était ma session préférée, très facile, très détendue.
Et ensuite, retour à Atlanta ?
Jared : Oui. C’est là qu’on a travaillé avec Lockett Pundt de Deerhunter, puis Mark de nouveau avec qui on a terminé l’album.
Comment s’est passée la collaboration avec Mark Ronson ? Vous le connaissiez avant de travailler avec lui ?
Cole : On avait des amis communs donc on savait ce qu’il faisait mais on ne l’avait jamais rencontré avant. Quand il a dit qu’il voulait produire notre album, on était très excités. C’est un mec très gentil, très flegmatique. Je m’attendais à ce qu’il soit égocentrique ou quelque chose comme ça, mais pas du tout. Au contraire, il est très ouvert d’esprit, très flexible.
Vous n’aviez pas peur qu’il tente de vous mettre au pas ou qu’il essaie de changer votre son d’une manière trop violente ?
Cole : Je n’avais pas réellement peur. J’ai tout de suite eu un bon feeling vis-à-vis de lui et ça s’est effectivement très bien passé ensuite.
Jared : Tout s’est passé de façon très naturelle en fait. Et puis, j’étais très heureux de pouvoir apprendre des trucs avec lui, de voir comment on produit vraiment un album.
Cole : Je crois qu’on lui a aussi appris des trucs ceci dit. Cela fait des années qu’on produit nos propres albums et vus nos moyens, on a accumulé quelques petits tours de passe-passe pour enregistrer.
Vous vous êtes transformés en parfaits geek avec Mark ?
Cole : Ian (Saint-Pé, voix/guitare, ndlr) est le plus balaise d’entre nous pour tout ce qui est matos et trucs techniques, mais c’est vrai qu’on a un peu fait les geeks (rires).
J’imagine que Mark a apporté pas mal de matériel vintage en studio ?
Jared : Oui, c’était l’un des aspects les plus cool de nos sessions. Il connaît un type qui fournis tous les studios de New York en matos vintage et il l’a fait venir avec des tas de trucs parmi lesquels on a pu choisir. C’était génial.
Votre son a toujours été vintage : qu’est-ce que cela a changé d’avoir de vrais instruments vintage pour l’enregistrement d’Arabia Mountain ?
Jared : Je dirais que notre son est plus authentiquement vintage. On a déjà utilisé ce genre d’équipement mais Mark, lui, sait comment les utiliser pour qu’ils produisent ce super son des années 60. J’adore le lo-fi mais j’aime aussi la production parfaite des disques des sixties. Mark a su faire sonner l’album comme ça et j’en suis très heureux.
Quelles sont les meilleures choses qu’il a apportées à cet album ?
Jared : Les endroits où il mettait les micros étaient surprenants et cool. Je crois qu’on n’a utilisé qu’un seul micro pour la batterie, un vieux micro des années 30, et Mark a su le mettre exactement où il fallait pour avoir le son qu’on voulait.
Cole : C’est un vrai professionnel.
Vous ne pensez pas l’être vous-même ?
Cole : On est des professionnels-amateurs (rires).
Vos façons de chanter sont un peu différentes sur cet album par rapport aux précédents. Est-ce que Mark vous a donné des conseils là-dessus aussi ?
Jared : Il m’a énormément aidé. Je suis très préoccupé par ma façon de chanter, je passe mon temps à demander si ça va. Mark m’a donné de nouvelles pistes. Il m’a orienté pour chanter d’une façon un peu différente. Un jour où je faisais des prises de voix pour un titre et où je n’étais pas très content du résultat, il a même fait venir Q-Tip de A Tribe Called Quest pour me donner des conseils, c’était super cool.
Pensez-vous avoir perdu quelque chose, votre côté DIY très brut peut-être, en enregistrant avec un producteur comme Mark ?
Jared : Non, je ne pense pas. Au contraire, c’est peut-être la meilleure chose qu’on ait faite. Dès le début, on était confiant parce que Mark est arrivé en disant « hé les gars, je ne veux pas changer votre son ». Il a gardé tout ce qui fait ce que nous sommes en tant que groupe tout en ajoutant sa touche pour améliorer tout ça. Il a amené des idées que nous n’aurions jamais eues sinon.
Et qu’en est-il de Lockett Pundt (de Deerhunter, ndlr) qui a lui aussi produit des titres sur votre album ?
Cole : Lockett a produit deux titres sur Arabia Mountain. On s’est mis à travailler ensemble sur ces morceaux pour s’amuser au départ, puis ils ont finalement fait partie de l’album.
Vous êtes amis avec Deerhunter non ?
Jared : Oui, ils sont d’Atlanta, comme nous. On les connait depuis très longtemps. Ils ont commencé Deerhunter dans la cave de notre maison.
Cole : On a même sorti leur premier single !
Jared : Tu vois la pochette de leur premier album, celle avec un mec à poil ? Et ben c’est moi (rires).
Cole : Deerhunter et nous, on est comme des frangins.
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