Annoncée officiellement par Catherine Tasca, ministre de la Culture, l’Année des arts du cirque débute cet été. Dans la foulée, le Centre des arts du cirque de Cherbourg-Octeville donne carte blanche à huit jeunes artistes avec Les Baraques, parcours forain à travers le cirque d’aujourd’hui.
Entre théâtre forain et cirque, les frontières sont poreuses. Disons que les montreurs d’ours du Moyen Age sont à ranger sous la rubrique théâtre forain, puisqu’il faut attendre 1768 pour tenir la preuve de la naissance présumée du cirque moderne, dans un village proche de Londres avec la création de la Riding School par Philip Astley, un militaire démobilisé mais pugnace. En 1782, il crée l’amphithéâtre Anglois à Paris, premier cirque stable en France, et prend sur lui de ramener le diamètre de la piste à 13 mètres, dimension désormais universelle. Sauf que… en deux siècles, merci bien, le cirque a fait comme tout le monde : il a évolué.
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L’ouverture de plusieurs écoles en France depuis les années 70 compte pour beaucoup dans le renouvellement des arts du cirque tel que nous le connaissons aujourd’hui, et notamment la création du Cnac (Centre national des arts du cirque) en 1986. Mais, si le public s’est désormais habitué à ne plus confondre les propositions du nouveau cirque avec celles de la piste traditionnelle, la reconnaissance officielle et les moyens qui l’accompagnent laissaient à désirer. C’est à combler l’écart grandissant entre les attentes du public, des artistes du cirque et la réalité d’une corporation marginale que vient de s’engager l’Etat, avec une série de mesures aides au fonctionnement, à la création, aux résidences, à l’itinérance, à la diffusion, à la promotion de pôles régionaux, à l’amélioration des conditions d’exercice de la profession (dont la charte d’accueil des cirques en ville) et à la diversification de l’enseignement qui fait passer le budget alloué aux arts du cirque de 45 mf en 1999 à 65 mf pour 2002.
N’en étant pas à un paradoxe près, disons d’emblée que le cadre structurel et institutionnel que l’Etat propose aux circassiens va leur permettre, dans le meilleur des cas, d’en repousser toujours plus loin les frontières ou de les transgresser. C’est ce que fait Jean Vinet depuis sa nomination à la direction du Centre des arts du cirque de Basse-Normandie inauguré en septembre 2000 à Cherbourg, ville où est implantée depuis vingt ans la compagnie Le Cirque du docteur Paradis. Outre la résidence de cette compagnie pour trois ans, Jean Vinet, qui fut directeur pédagogique du Cnac de 1992 à 1998, entend faire du centre de Cherbourg un lieu de métissage. Avant Les Baraques, deux temps forts ont été proposés au printemps, axés sur l’image (vidéo ou cinéma) au cirque et sur la science, avec la participation de Francis Lestienne, un biomécanicien qui travaille sur l’origine et l’organisation du mouvement dans le corps. Chercher ailleurs ce qui est au c’ur des préoccupations circassiennes pour en élargir l’horizon : « Seul le métissage peut apporter un éclairage artistique sur les axes de recherche en danse, au théâtre ou au cinéma. Mais on trouve peu d’endroits qui offrent ce genre d’opportunités ; ou alors ce sont des lieux-refuges comme les Laboratoires d’Aubervilliers fondés par le chorégraphe François Verret. » La proposition faite à huit jeunes circassiens est simple : concevoir et réaliser un moment spectaculaire dans un nouvel espace de représentation. Chaque participant a reçu 80 000 f, certains s’en sont contentés, d’autres se sont débrouillés pour trouver un peu plus d’argent ailleurs. Le choix des participants ne s’est pas fait au hasard : tous viennent du Cnac et, selon Jean Vinet qui les connaît bien, « on trouve chez chacun d’eux le début d’un langage propre qu’on ne voit pas ailleurs. Surtout, ils ont tous une conscience scénographique qui leur permet de réfléchir en même temps sur un dispositif et sur un contenu. Le principe de la mise en scène est désormais dépassé : il y a des créateurs et j’espère que le cirque va rester ce lieu de liberté où des artistes peuvent imaginer d’autres formes. Les Baraques sont un projet exemplaire dans la mesure où je mets en chantier aujourd’hui ce que je rêve de voir dans dix ans ! »
Ils sont voltigeurs, acrobates, jongleurs, trampoliniste, danseur, manipulateur d’objet, contorsionniste, chanteur, ont fondé leurs compagnies ou en ont rejoint d’autres. Mais si l’essentiel du quotidien d’un circassien consiste à vivre en troupe, ils défendent seuls, le plus souvent, leurs Baraques. Exceptions faites de Dimitri Jourde, à la fois membre du Cirque Désaccordé et du collectif Kubilaï Khan Investigations, qui a conçu un Tipi, cercle de l’intime où s’élabore une « danse d’accroche » entre lui et Cynthia Phung-Nooc ; de Jean-Paul Lefeuvre qui a transformé sa Serre en un tunnel où végètent deux esprits terre à terre, et du quatuor proposé par Emmanuelle Reisch, au titre moins énigmatique qu’il n’y paraît, La Chatière cat-walk, quand on sait que les quatre filles sont tout occupées à nous faire découvrir leur garde-robe.
Les autres se lancent en solo et, à première vue, c’est fou le nombre de choses qu’on peut faire seul. La Boîte à images de Jeanne Mordoj se rit des élans voyeuristes et a percé sa caravane de petits trous d’où l’on suit la réalisation hasardeuse d’une recette de cuisine
« contorsionnée ». Jörg Müller, jongleur et interprète de Mark Tompkins, intitule sa baraque C/O et la présente comme une vague dans l’océan, certes, mais munie de trente et une portes d’entrée et de six fermetures. Après les jeux d’eau, les Jeux de miroirs de Laurent Pareti font planer le reflet suspendu d’un jongleur, thème également retenu par le jongleur Mads Rosenbeck : par la grâce de la force centrifuge et de l’aide avisée de l’architecte Jean Martin, son Carrousel se déploie comme un parapluie. Quant à Mathurin Bolze, trampoliniste, acrobate et voltigeur hors pair, il a imaginé une Cabane aux fenêtres dans laquelle puissent rentrer son trampoline et son désir de vivre en volume, à la verticale et surtout pas à plat. Une cabane idéale pour inviter Côme, le Baron perché d’Italo Calvino. « Le pari consiste à ne plus mettre le pied par terre, à trouver une architecture mentale d’où puisse surgir une société autre, à créer une vie où les perspectives sont renversées. L’intérêt du projet est qu’on est libre de la manière dont on « mène sa baraque » : reste à passer à l’acte ! »
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Les Baraques, au Centre des arts du cirque de Cherbourg-Octeville, du 4 au 6 juillet ; à Saint-Vaast-la-Hougue, du 10 au 12 juillet ; à Caen, du 17 au 19 juillet ; à Regnéville-sur-Mer, du 23 au 25 juillet ; à Alençon, 30-31 juillet et 1er août ; à la Grande Halle de La Villette, 15 et 16 décembre. Tél. 02.33.88.43.73.
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