Ben Watt, musicien (Everything But The Girl)
As-tu un souvenir précis de tes premières émotions liées à la musique ?
Je me souviens très bien de mon père, qui était musicien de jazz, rentrant des clubs où il allait jouer, très tard la nuit. Il ramenait des amis à la maison pour écouter des disques. Il allait me chercher dans ma chambre, me réveillait, me portait dans les escaliers et m’installait confortablement, juste en face de la chaîne hifi. Je devais avoir 4 ou 5 ans, et je restais là à écouter Count Basie, Bud Powell, Gil Evans pendant que mon père et ses amis buvaient et jouaient aux cartes. Habituellement, je m’endormais devant, ou bien ma mère débarquait et disait à mon père « Maisqu’est-ce que tu fais ? Ce petit garçon devrait être au lit ! » Et là, mon père répondait invariablement « Je fais son éducation. »
Enfant, quels disques aimais-tu particulièrement ?
J’aimais beaucoup les disques de jazz de mon père, des trucs que je trouvais rigolos, comme cet album de Dizzy Gillespie où il raconte qu’il s’est fait assommer à coups de poêle à frire, ou ce disque de Roland Kirk où on entend une horloge à coucou. J’aimais bien aussi les disques de mes frères et soeurs, tous plus âgés que moi : les Beach Boys, Do it again de Steely Dan, Daniel d’Elton John. Adolescent, j’ai développé une double personnalité : j’achetais du punk et de la new-wave comme les Clash, les Buzzcocks et Joy Division, mais aussi des disques de George Benson et Earth Wind & Fire… Je garde un souvenir très intense du jour où j’ai découvert Decade, le triple album de Neil Young que j’avais récupéré parce que mes frères n’en voulaient plus.
Je ne savais absolument pas qui était Neil Young, mais j’aimais bien ses accords profonds et puissants, comme sur Cortez the killer. Mais quand j’avais 16 ans, mon idole absolue était Ian Curtis, de Joy Division. Je le trouvais tellement profond… Malgré ses paroles très explicites, personne ne s’attendait vraiment à son suicide. C’était vraiment terrible quand John Peel a annoncé à la radio que Curtis s’était donné la mort. J’ai essayé de l’expliquer à ma mère, mais je savais qu’elle ne comprendrait pas que je puisse être aussi bouleversé par la mort d’une rock-star inconnue. J’allais à tous les concerts de Joy Division à Londres. J’avais une petite mobylette et je filais en cachette avec mon casque sous le bras. J’ai aussi acheté tous les disques du groupe, y compris les raretés et les inédits. A partir de là, je me suis mis à suivre de près l’actualité des labels : Postcard, Rough Trade, Factory. En même temps, j’achetais Quincy Jones, Chic, McFadden et Whitehead… Aujourd’hui, j’achète surtout des singles, et principalement des trucs underground en vinyle, de la deep-house, de la drum’n’bass. J’ai quand même quelques albums dans ma voiture : une compilation de Guidance Records, Substances de DJ Cam, Secret name de Low, le premier album des Red House Painters, quelques Gil Evans et Vaughn Williams.
La lecture joue-t-elle un rôle important dans ta vie ?
Beaucoup moins que la musique, alors que Tracey (Thorn, chanteuse d’Everything But The Girl) passe son temps dans les bibliothèques. Moi, je ne me souviens précisément que de quelques bouquins, lus au cours des dix dernières années, des livres de Richard Ford, Bruce Chatwin… Quand j’étais à la fac, j’aimais beaucoup la dramaturgie du 17ème siècle : John Webster, Thomas Middleton. Et aussi les fictions américaines des années 30, John O’Hara, John Steinbeck. Bien avant ça, enfant, j’avais adoré Max et les Maximonstres de Maurice Sendak.
Es-tu amateur de cinéma ?
En théorie, oui, mais je n’y vais plus beaucoup, je regarde surtout les films en vidéo. Mon plus grand souvenir de cinéma, c’est Apocalypse now, que je suis allé voir à sa sortie, tout seul dans un cinéma de quartier, et j’étais au premier rang. Ce film a changé ma vie. Tellement puissant, génial… Récemment, j’ai vraiment apprécié The Ice storm d’Ang Lee et Boogie nights de Paul Thomas Anderson. Et puis j’ai adoré Sean Penn dans Carlito’s way et David Thewlis dans Naked.
Y a-t-il d’autres domaines culturels qui t’attirent ?
Je suis fasciné par Internet, par la mode, par la publicité. Par contre, je ne vais pas au théâtre,
ni beaucoup dans les galeries d’art. Si, récemment, j’étais dans le sud de la France et je suis allé à la Fondation Maeght, près de Saint-Paul-de-Vence. C’était fantastique, il pleuvait, j’étais dans la
cour, sous la pluie, et je marchais autour des immenses et longilignes sculptures de Giacometti. Totalement cool.
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